Remarque : cet article a été publié pour la première fois sur le site Web du cabinet Carbert Waite LLP (disponible uniquement en anglais). Il est reproduit avec autorisation.
Dans son rĂ©cent arrĂŞt, A.H. v Fraser Health Authority 2019 BCSC 227 (disponible uniquement en anglais), la Cour suprĂŞme de la Colombie-Britannique a affirmĂ© la primautĂ© de la libertĂ© et de l’autonomie des patients vulnĂ©rables, et le fait que la dĂ©tention illĂ©gale d’une femme de 39 ans violait les droits protĂ©gĂ©s par les articles 7, 9 et 10 de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s. Il s’agit du droit Ă la vie, Ă la libertĂ© et Ă la sĂ©curitĂ©, du droit Ă la protection contre la dĂ©tention arbitraire, et du droit d’avoir recours sans dĂ©lai Ă l’assistance d’un avocat et de faire contrĂ´ler la lĂ©galitĂ© de sa dĂ©tention.
La question dĂ©coulait de la dĂ©tention involontaire d’A.H. par la Fraser Health Authority pendant près d’un an, soit du 6 octobre 2016 au 22 septembre 2017. Au dĂ©part, A.H. a Ă©tĂ© dĂ©tenue pour la protĂ©ger contre la maltraitance et la nĂ©gligence alors qu’elle Ă©tait incapable d’accorder ou de refuser son consentement Ă la prestation d’assistance. L’article 59 de la Adult Guardianship Act (AGA) accorde Ă des entitĂ©s spĂ©cifiĂ©es certains pouvoirs pour intervenir en cas d’urgence sans le consentement de l’intĂ©ressĂ© lorsque l’adulte est [traduction] « apparemment maltraitĂ© ou nĂ©gligĂ© » et « apparemment incapable d’accorder ou de refuser son consentement » et lorsque le personnel de l’entitĂ© est convaincu qu’il faut « agir immĂ©diatement » pour protĂ©ger la vie de l’adulte ou le protĂ©ger contre de graves prĂ©judices.
La Cour a remarquĂ© qu’A.H. est une femme très vulnĂ©rable ayant des troubles de la santĂ© mentale et des dĂ©ficiences cognitives, outre qu’elle a vĂ©cu, par le passĂ©, des problèmes de toxicomanie, des violences familiales et des agressions sexuelles. A.H. vivait sur un territoire des Premières Nations avec sa mère et d’autres personnes qui la maltraitaient et la nĂ©gligeaient grandement. En octobre 2016, sur la foi de rapports adressĂ©s Ă la FHA selon laquelle elle Ă©tait maltraitĂ©e et nĂ©gligĂ©e, A.H. a Ă©tĂ© apprĂ©hendĂ©e et dĂ©tenue contre son grĂ© en vertu de l’alinĂ©a 59(2) e) de l’AGA qui autorises une entitĂ© spĂ©cifiĂ©e Ă prendre [traduction] « toute autre mesure d’urgence nĂ©cessaire pour protĂ©ger l’adulte de tout prĂ©judice ».
Il n’Ă©tait pas contestĂ© qu’au moment de la dĂ©tention initiale, les conditions Ă©noncĂ©es Ă l’article 59 Ă©taient rĂ©unies, Ă savoir qu’A.H. Ă©tait maltraitĂ©e et nĂ©gligĂ©e sans possĂ©der la capacitĂ© pour consentir Ă un soutien et Ă une assistance, ce qui obligeait la FHA Ă agir sur le champ pour prĂ©venir tout grave prĂ©judice qu’aurait pu subir A.H.. Devant les tribunaux, c’est la portĂ©e de l’alinĂ©a 59(2)e) de l’AGA qui Ă©tait en cause. Plus prĂ©cisĂ©ment, la question de savoir si les pouvoirs accordĂ©s par cette disposition s’Ă©tendent Ă la dĂ©tention contre le grĂ© de la personne ou Ă la dĂ©tention de longue durĂ©e contre le grĂ© de la personne.
Au dĂ©but, il n’a Ă©tĂ© donnĂ© Ă A.H. aucune raison Ă©crite pour cette dĂ©tention, au cours de laquelle elle a fait l’objet d’importantes restrictions. Elle n’avait pas l’autorisation de partir, mĂŞme pour prendre l’air, elle ne pouvait utiliser son tĂ©lĂ©phone et l’Internet que de façon limitĂ©e, elle a Ă©tĂ© attachĂ©e Ă son lit Ă au moins une reprise, au cours des premiers mois aucun visiteur n’a eu le droit de venir la voir, et l’accès Ă un avocat lui a Ă©tĂ© refusĂ© pendant neuf mois.
A.H. affirmait que sa dĂ©tention contre son grĂ© constituait une violation des articles 7, 9 et 10 de la Charte. La FHA, quant Ă elle, affirmait avoir agi de façon appropriĂ©e dans le contexte de l’utilisation des pouvoirs que lui accorde l’alinĂ©a 59(2)e) de l’AGA en cas d’intervention en situation d’urgence.
Pour dĂ©terminer si la portĂ©e de l’alinĂ©a 59(2)e) s’Ă©tendait Ă une dĂ©tention non volontaire d’une durĂ©e indĂ©terminĂ©e ou Ă long terme, la Cour a Ă©valuĂ© l’exactitude de l’interprĂ©tation de l’expression [traduction] « mesure d’urgence » pour savoir si la dĂ©tention non volontaire d’une durĂ©e indĂ©terminĂ©e ou Ă long terme relève de la disposition. Selon un principe Ă©lĂ©mentaire du droit, l’interprĂ©tation des lois exige que la disposition en question soit interprĂ©tĂ©e dans le contexte de la loi dans son ensemble, dans son sens grammatical et son acception ordinaires, et de façon Ă correspondre harmonieusement avec les mĂ©canismes et l’objet de la loi. Dans le respect des principes de l’interprĂ©tation lĂ©gislative, la Cour a affirmĂ© que [traduction] « Ă la première lecture, il semble que l’article 59 dans son ensemble autorise des interventions limitĂ©es dans le temps uniquement en cas d’urgence » (au paragraphe 115).
Elle a en outre conclu que la portĂ©e de l’article 59 est limitĂ©e aux interventions nĂ©cessaires pour protĂ©ger la vie de l’adulte et empĂŞcher tout grave prĂ©judice, ce qui implique que le risque de prĂ©judice doit ĂŞtre imminent et grave de sorte que les mesures prises en vertu du paragraphe 59(2) sont nĂ©cessaires pour Ă©liminer ledit risque. Par consĂ©quent, une fois le risque Ă©liminĂ©, les pouvoirs prennent fin.
La Cour a affirmĂ© que le fait d’interprĂ©ter l’article 59 de façon Ă autoriser une dĂ©tention dont la durĂ©e est indĂ©terminĂ©e non seulement s’opposerait Ă l’objet de la Loi, mais violerait les droits protĂ©gĂ©s par la Charte. Plus prĂ©cisĂ©ment, le droit Ă la vie, Ă la libertĂ© et Ă la sĂ©curitĂ©, ainsi que le droit de ne pas ĂŞtre dĂ©tenu arbitrairement.
En fin de compte, la Cour a conclu que : [traduction] « une dĂ©tention non volontaire pour une pĂ©riode plus longue que celle raisonnablement nĂ©cessaire pour dĂ©poser une demande d’ordonnance de soutien et d’assistance en vertu de l’article 56 ne constitue par une “mesure d’urgence” au sens de l’alinĂ©a 59(2)e) ». Par consĂ©quent, la dĂ©tention d’A.H. pendant presque un an par la FHA Ă©tait Ă la fois inĂ©quitable sur le plan procĂ©dural et constituait de [traduction] « très graves violations de la Charte » justifiant une injonction fondĂ©e sur une conclusion selon laquelle il y avait eu violation des droits d’A.H. protĂ©gĂ©s par les articles 7, 9 et 10 de la Charte.
Cet arrĂŞt est un rappel utile pour les autoritĂ©s sanitaires que les mesures telles que la dĂ©tention non volontaire doivent ĂŞtre considĂ©rĂ©es comme un dernier ressort et que lorsqu’elles sont rĂ©putĂ©es nĂ©cessaires, elles doivent ĂŞtre prises de façon Ă ĂŞtre aussi peu intrusives que possible. Il faut Ă©galement, autant que faire se peut, chercher Ă obtenir une approbation judiciaire en temps opportun. Qui plus est, lorsque l’on envisage de prendre des mesures de cette gravitĂ© en cas d’urgence, le respect des droits des patients qui sont protĂ©gĂ©s par la Charte demeurera primordial.
Les questions connexes Ă la dĂ©tention illĂ©gale de patients sont apparues en Alberta depuis quelques annĂ©es. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta rendra sa dĂ©cision concernant une dĂ©tention non volontaire illĂ©gale d’une durĂ©e de neuf mois dans l’affaire J.H. v. Alberta Health Services, dans laquelle le demandeur conteste la constitutionnalitĂ© de plusieurs dispositions de la Mental Health Act. En l’espèce, la loi en cause est diffĂ©rente, mais les droits protĂ©gĂ©s par la Charte sont les mĂŞmes. Bien que J.H. n’ait plus Ă©tĂ© dĂ©tenu, dans la dĂ©cision J.H. v Alberta Health Services 2017 ABQB 477 la Cour a dĂ©clarĂ© qu’elle traiterait la question au nom de l’intĂ©rĂŞt public. Cette dĂ©cision Ă venir fournira un examen constitutionnel de la Mental Health Act de l’Alberta et devrait avoir des rĂ©percussions importantes pour les patients dans le système de santĂ© mentale en Alberta.
Tory Hibbitt est avocat dans le cabinet Carbert Waite Ă Calgary