Les organismes de bienfaisance doivent respecter leurs ententes d’observation

  • 24 mai 2024
  • Ryan M. Prendergast et Urshita Grover

Le 21 mars 2024, la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale (« CAF ») a rendu sa dĂ©cision dans l’affaire Sigma Chi Canadian Foundation v Canada (National Revenue). L’organisation fraternelle (l’« Appelante »), un organisme de bienfaisance enregistrĂ©, a interjetĂ© appel d’une dĂ©cision de la ministre du Revenu national (la « Ministre ») visant Ă  rĂ©voquer le statut d’organisme de bienfaisance de l’organisation.

L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a vĂ©rifiĂ© les opĂ©rations de l’Appelante en 2010 et 2011, rĂ©vĂ©lant un certain nombre de problèmes de non-conformitĂ©, notamment le dĂ©faut de consacrer ses ressources Ă  des activitĂ©s de bienfaisance et l’offre d’avantages personnels Ă  ses membres. L’Appelante a ainsi conclu une entente d’observation avec l’ARC.

Une autre vĂ©rification rĂ©alisĂ©e en 2017 a rĂ©vĂ©lĂ© que l’Appelante ne se conformait toujours pas aux problèmes susmentionnĂ©s, en plus de nouveaux problèmes de non-conformitĂ©, notamment des dons Ă  des donataires non reconnus et le transfert de fonds Ă  une organisation amĂ©ricaine pour laquelle elle n’avait pas de pouvoir de direction ou de contrĂ´le. La Ministre a Ă©mis un avis d’intention de rĂ©voquer l’enregistrement de l’Appelante. Bien que cette dernière ait dĂ©posĂ© une opposition, la Ministre a confirmĂ© l’avis d’intention de rĂ©voquer l’enregistrement. L’Appelante a interjetĂ© appel de la rĂ©vocation auprès de la CAF en soutenant que la Ministre avait manquĂ© Ă  son obligation d’Ă©quitĂ© procĂ©durale et que sa conduite soulevait une crainte raisonnable de partialitĂ©.

La CAF a appliquĂ© la norme de contrĂ´le de l’erreur manifeste et dĂ©terminante qui nĂ©cessite une grande dĂ©fĂ©rence. La Cour a conclu qu’il n’y avait aucune erreur manifeste et dĂ©terminante dans la conclusion de la Ministre selon laquelle l’Appelante offrait des avantages exclusifs Ă  ses membres au moyen de bourses d’Ă©tudes qui n’Ă©taient pas accessibles au public. Bien que l’organisation ait fait valoir que les bourses Ă©taient ouvertes Ă  tous les Ă©tudiants universitaires masculins admissibles pour devenir membres de Sigma Chi, elles n’Ă©taient accordĂ©es qu’Ă  ceux ayant effectivement rejoint l’organisation. De plus, dans son enregistrement, l’objectif dĂ©clarĂ© de l’Appelante de financer des initiatives Ă©ducatives ne faisait aucune mention de restrictions pour les membres de l’organisation, mais en mai 2023, son site Web indiquait que ces fonds Ă©taient principalement au profit des chapitres actifs et des frères actifs.

La Cour n’a Ă©galement trouvĂ© aucune erreur susceptible de rĂ©vision dans la conclusion de la Ministre selon laquelle l’Appelante avait fourni des fonds Ă  des donataires non reconnus en accordant des prĂŞts aux sociĂ©tĂ©s de logement de la fraternitĂ© Sigma Chi, qui existent pour fournir des logements aux membres de l’organisation. L’Appelante a Ă©galement violĂ© l’entente d’observation en omettant d’obtenir une garantie pour les prĂŞts Ă  London Sigma Chi Properties et en faisant une nouvelle avance Ă  cette dernière.

De plus, il n’y avait aucune erreur susceptible de rĂ©vision dans la conclusion de la Ministre selon laquelle l’Appelante n’avait pas rĂ©ussi Ă  maintenir la direction et le contrĂ´le d’un programme de bourses qu’elle avait partiellement financĂ©, mais qui Ă©tait administrĂ© aux États-Unis. L’organisation n’avait ni direction ni contrĂ´le sur les fonds qu’elle contribuait Ă©tant donnĂ©, entre autres choses, que l’Appelante ne dĂ©tenait qu’un des huit sièges du conseil d’administration et seulement deux des seize sièges du comitĂ© de sĂ©lection.

Enfin, il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialitĂ© ou de violation de l’Ă©quitĂ© procĂ©durale dans la dĂ©cision de la Ministre. L’Appelante a allĂ©guĂ© que les actions de la Ministre suggĂ©raient une partialitĂ© parce qu’elle aurait traitĂ© l’Appelante diffĂ©remment d’autres organisations ayant des pratiques similaires en matière de bourses d’Ă©tudes, citant des exemples de l’UniversitĂ© de Toronto qui limite l’admissibilitĂ© Ă  certains collèges de cet Ă©tablissement. Un prĂ©cĂ©dent indique toutefois que les avantages que d’autres reçoivent aux termes d’une exemption ne sont pas pertinents et les Ă©lĂ©ments de preuve prĂ©sentĂ©s n’Ă©tayaient pas suffisamment des comparaisons significatives.

L’Appelante a Ă©galement soutenu que le refus de la Ministre de considĂ©rer ses offres de mise en Ĺ“uvre de mesures correctives avait soulevĂ© une crainte raisonnable de partialitĂ©. Cependant, la Ministre a soulignĂ© que l’Appelante a eu trois occasions formelles de rĂ©gler les problèmes soulevĂ©s, qui avaient Ă©tĂ© pris au sĂ©rieux et soigneusement examinĂ©s, ce qui a conduit Ă  la conclusion que l’Appelante n’avait pas le droit de continuer Ă  nĂ©gocier d’autres mesures correctives, notamment en raison de son manquement Ă  remplir ses obligations en vertu de l’entente d’observation.

Cette affaire nous rappelle que les organismes de bienfaisance enregistrĂ©s qui ont conclu une entente d’observation doivent faire très attention Ă  la respecter, car l’ARC est susceptible d’effectuer une vĂ©rification de suivi. De plus, compte tenu de la norme de contrĂ´le très dĂ©fĂ©rente accordĂ©e aux dĂ©cisions de la Ministre par la CAF, les organismes de bienfaisance enregistrĂ©s font face Ă  une barre très haute pour convaincre la Cour que l’ARC a commis une erreur manifeste et dĂ©terminante en ce qui concerne les dĂ©cisions de vĂ©rification. Ă€ ce titre, les organismes de bienfaisance enregistrĂ©s doivent faire preuve de prudence Ă  l’Ă©gard des exigences qui leur sont imposĂ©es par la LIR afin d’Ă©viter d’avoir Ă  faire appel de dĂ©cisions prises par l’ARC auprès de la CAF, oĂą ils risquent de perdre.


Ryan M. Prendergast est associĂ© et Urshita Grover est avocate au sein de Carters.