Il va sans dire que selon la mentalitĂ© de notre sociĂ©tĂ© contemporaine, quand une chose, n’importe quelle chose, ne fait plus son office, on s’en dĂ©barrasse plutĂ´t que de la modifier ou de la rĂ©parer pour la faire correspondre Ă nos intĂ©rĂŞts actuels. Cette mentalitĂ© est des plus Ă©videntes dans le cadre des discussions que tiennent d’Ă©minents universitaires et plusieurs acteurs du secteur de l’aviation quant Ă l’utilitĂ©, ou pour ceux qui sont les plus engagĂ©s, l’abolition, de la Convention de Chicago. Mais, qu’est-ce que la Convention de Chicago, et comment est-elle devenue un sujet brĂ»lant sur la scène mondiale de l’aviation?
La Convention de Chicago a Ă©tĂ© conclue en 1944 afin que l’aviation civile puisse « se dĂ©velopper d’une manière sĂ»re et ordonnĂ©e », comme l’Ă©nonce son prĂ©ambule. Elle est entrĂ©e en vigueur en 1947. Alors que les annĂ©es passaient, alors que le tout nouveau secteur de l’aviation devenait l’un des secteurs les plus importants de la planète, alors que de nouvelles technologies voyaient le jour, nombreux sont ceux qui ont commencĂ© Ă s’interroger sur l’efficience de la Convention, et mĂŞme sur sa raison d'ĂŞtre, dans ce nouveau contexte mondial. MalgrĂ© le fait qu’elle a Ă©tĂ© dĂ©crite comme la « constitution » du droit aĂ©rien, est-ce encore le cas eu Ă©gard aux critiques acerbes dont elle a fait l’objet?
D’aucuns considèrent la Convention de Chicago comme un texte inadĂ©quat. Nous ne pouvons nous empĂŞcher d’admettre que la majoritĂ© d’entre eux a raison. La Convention n’aborde, ni ne rĂ©glemente, la rĂ©duction des Ă©missions dans ce secteur, la concurrence Ă©quitable et libĂ©ralisĂ©e dans un milieu dĂ©fini par une mondialisation permanente des marchĂ©s ou les vols sous-orbitaux, malgrĂ© le document de travail publiĂ© en 2015 par l’Organisation de l’aviation civile internationale. Dans ce document, il a Ă©tĂ© reconnu que ces enjeux pourraient ĂŞtre assujettis au mĂŞme rĂ©gime. Qui plus est, le silence de la Convention de Chicago sur ces sujets et bien d’autres a conduit Ă une multitude d’accords bilatĂ©raux sur les services aĂ©riens qui peuvent gravement nuire Ă l’uniformitĂ© du droit aĂ©rien, conduisant Ă une inĂ©vitable fragmentation de l’ensemble de ses textes.
Sans Ă©gard aux inconvĂ©nients prĂ©sentĂ©s par la Convention de Chicago, n’oublions pas le rĂ´le positif qu’elle a jouĂ© pendant les quelque cinquante ans qui se sont Ă©coulĂ©s depuis son adoption. Son succès peut facilement ĂŞtre qualifiĂ© de « manifeste » Ă©tant donnĂ© le nombre de ses ratifications.
MĂŞme ceux qui soutiennent avec vĂ©hĂ©mence que la Convention de Chicago est dĂ©suète Ă l’Ă©gard de certaines questions ne peuvent qu’admettre qu’il serait presque impossible, chronophage et peu pratique d’adopter une nouvelle convention puisqu’elle pourrait crĂ©er des dispositions contradictoires qui dĂ©truiraient l’Ă©quilibre actuel.
Puisque ni l’abolition de la Convention ni sa conservation en son Ă©tat actuel ne sont viables, que pouvons-nous faire?
La Convention elle-mĂŞme recèle une possible rĂ©ponse. Selon l’article 94, toute proposition d’amendement doit ĂŞtre approuvĂ©e par les deux tiers de l’AssemblĂ©e Ă l’issue d’un scrutin. Elle entrera alors en vigueur Ă l’Ă©gard des seuls États qui la ratifient. De cette disposition mĂŞme pourrait dĂ©couler une fragmentation encore plus dangereuse que celle dĂ©jĂ causĂ©e par les accords bilatĂ©raux sur les services aĂ©riens, approfondissant encore la confusion. Heureusement, le paragraphe (b) de l’article 94 prĂ©voit un « filet de sĂ©curitĂ© » parfaitement adaptĂ© Ă cette situation en Ă©nonçant « tout État qui n'aura pas ratifiĂ© ledit amendement dans un dĂ©lai dĂ©terminĂ© après que cet amendement sera entrĂ© en vigueur cessera alors d'ĂŞtre membre de l'Organisation et partie Ă la Convention », donnant Ă la ratification des amendements un caractère quasi obligatoire pour les États qui veulent Ă©viter d’ĂŞtre marginalisĂ©s.
En conclusion, au sein du rĂ©gime juridique international et en vertu de la doctrine du parĂ©tianisme international, la ratification des conventions et l’adhĂ©sion Ă ces textes sont la pierre angulaire de la souverainetĂ© Ă©tatique. Dans ce contexte, les États renoncent Ă une partie de leur souverainetĂ© pour assumer des obligations en Ă©change d’avantages. Étant donnĂ© la procĂ©dure d’amendement, il incombe aux États, en vertu de leur pouvoir discrĂ©tionnaire, de dĂ©cider ensemble si les ambiguĂŻtĂ©s et lacunes de la Convention de Chicago revĂŞtent une telle importance qu’elles l’empĂŞchent d’atteindre son objectif. Dans ce cas, les États devraient manifester leur volontĂ© et la mettre en Ĺ“uvre pour que leur objectif soit catĂ©goriquement et parfaitement atteint, soit jusqu’Ă ce que les amendements proposĂ©s et ratifiĂ©s deviennent chacun un Ă©lĂ©ment de fond de la « constitution » du droit aĂ©rien.
Yolanda Kalogirou est candidate Ă la maĂ®trise en droit aĂ©rien et spatial Ă l’UniversitĂ© McGill
Liste indicative des sources principales
- Brian F. Havel & Gabriel S. Sanchez, “Do We Need a New Convention de Chicago?” (2011) 11 Issues Aviation L. & Pol'y 7.
- Edward McWhinney, “International Law and the Freedom of the Air - The Convention de Chicago and the Future,” (1969) 1 Rutgers-Cam L.J.
- Helen Hart Jones, “Amending the Convention de Chicago and Its Technical Standards - Can Consent of All Member States Be Eliminated” (1949) 16 J. Air L. & Com.
- Organisation de l’aviation civile internationale, Historique de l’OACI et la Convention de Chicago, en ligne : https://www.icao.int/about-icao/History/Pages/FR/default.aspx .
- John Cobb Cooper, “The Convention de Chicago - After Twenty Years” (1965), 19 U. Miami L. Rev.
- Paul Stephen Dempsey, Public International Air Law (Montréal : Institute and Centre for Research in Air & Space Law, Université McGill, 2017).