La Cour suprĂŞme du Canada a rendu sa dĂ©cision dans l’affaire R. c. Lloyd le 15 avril dernier. Dans cet arrĂŞt, elle statue que la peine minimale obligatoire prĂ©vue pour le trafic de drogue porte atteinte Ă l’article 12 de la Charte en ne confĂ©rant aucun pouvoir discrĂ©tionnaire au tribunal lui permettant de tenir compte de la situation de l’accusĂ© et des circonstances entourant l’acte en question.
Eric Gottardi et Mila Shah du cabinet Peck and Company ont comparu devant la Cour au nom de l’ABC, en janvier. Ils ont fait valoir que toute peine minimale obligatoire doit ĂŞtre assortie d’exceptions, et que, malgrĂ© le fait que la peine contestĂ©e en l’espèce Ă©tait assortie d’exceptions, celles-ci Ă©taient insuffisantes.
Nous nous sommes entretenus à nouveau avec M. Gottardi pour lui poser des questions sur la décision que la Cour venait de rendre ce vendredi-là .
Pourriez-vous nous résumer la décision?
Sous la plume de la juge en chef McLachlin, la Cour suprĂŞme, Ă la majoritĂ©, a jugĂ© inconstitutionnelle la peine minimale obligatoire d’un an qui est prĂ©vue pour le trafic de drogue lorsque le contrevenant a prĂ©alablement Ă©tĂ© reconnu coupable d’une infraction liĂ©e Ă la drogue au cours des dix annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Bref, celle-ci constitue une peine cruelle et inusitĂ©e. Pourquoi? La peine minimale obligatoire peut-ĂŞtre infligĂ©e dans le cadre de toute une gamme de comportements potentiels et cela est problĂ©matique. Elle vise lĂ©gitimement le trafic de drogue hautement rĂ©prĂ©hensible, mais aussi des comportements que l’ensemble de la sociĂ©tĂ© canadienne ne qualifierait pas de « rĂ©prĂ©hensibles ». Par exemple, la peine minimale d’un an serait accordĂ©e dans le cas d’un toxicomane, accusĂ© de trafic de drogue pour en avoir partagĂ© une petite quantitĂ© avec un ami ou sa conjointe, parce qu’il a Ă©tĂ© reconnu coupable, une seule fois, neuf ans auparavant, après avoir partagĂ© de la marihuana lors d’une rencontre sociale. La Cour a statuĂ© que la plupart des Canadiens et des Canadiennes seraient consternĂ©s d’apprendre qu’une telle personne pourrait Ă©coper d’un an de prison.
Quelles en sont les répercussions sur la détermination de la peine?
Non seulement la Cour a conclu que cette peine minimale obligatoire en particulier s’avère inconstitutionnelle, mais elle a aussi fait de très importants commentaires au sujet des peines minimales obligatoires en gĂ©nĂ©ral. La Cour a dĂ©terminĂ© que les peines minimales qui visent une vaste gamme de comportements sont vulnĂ©rables sur le plan constitutionnel, et ce, parce qu’on trouvera invariablement des situations dans lesquelles l’imposition d’une peine minimale sera manifestement injuste. De graves rĂ©percussions pour la dĂ©termination de la peine en dĂ©coulent. Il y a environ de 60 Ă 70 peines minimales obligatoires en vigueur au pays, dont la plupart s’appliquent Ă des infractions pouvant ĂŞtre perpĂ©trĂ©es dans une grande variĂ©tĂ© de circonstances et par un grand Ă©ventail de personnes diffĂ©rentes. L’arrĂŞt qu’a rendu la Cour aujourd’hui signifie que toutes ces peines minimales obligatoires sont vulnĂ©rables sur le plan constitutionnel. Elle transmet un message clair aux tribunaux infĂ©rieurs, de ne pas hĂ©siter Ă dĂ©clarer ces peines inconstitutionnelles, et aussi, au gouvernement d’effectuer des changements. La Cour dĂ©clare, sans Ă©quivoque, que si le lĂ©gislateur tient Ă l’application de peines minimales obligatoires Ă des infractions qui ratissent large, il lui faut envisager de rĂ©duire leur champ d’application ou investir le tribunal d’un pouvoir discrĂ©tionnaire (c’est-Ă -dire, une disposition prĂ©voyant des exceptions) lui permettant d’allĂ©ger la peine lorsque la situation le justifie. Cette dernière proposition est d’ailleurs celle que l’ABC prĂ´ne depuis longtemps.
Quelle est la prochaine Ă©tape?
Cette dĂ©cision est un bon exemple de dialogue constitutionnel. La Cour suprĂŞme du Canada a identifiĂ© un problème sur le plan constitutionnel relativement aux peines minimales promulguĂ©es sous le règne du gouvernement Harper, et a, par ailleurs, donnĂ© des suggestions au lĂ©gislateur pour y remĂ©dier. Il est Ă espĂ©rer que le lĂ©gislateur adoptera une disposition prĂ©voyant des exceptions de portĂ©e gĂ©nĂ©rale qui, du mĂŞme coup, investit le tribunal d’un pouvoir discrĂ©tionnaire lui permettant de s’Ă©carter de l’application de peines minimales obligatoires dans les cas oĂą une telle application serait jugĂ©e manifestement injuste.