Dans un arrĂŞt, la Cour suprĂŞme a annulĂ© une disposition sur la peine minimale obligatoire, la jugeant cruelle et inusitĂ©e, mais dans une dĂ©cision complĂ©mentaire, elle a confirmĂ© une autre disposition de ce type pour vol qualifiĂ© avec usage d’une arme Ă feu.
Dans la première dĂ©cision, R. c. Hills, la majoritĂ© des juges (huit contre un) a amĂ©liorĂ© une dĂ©marche Ă deux Ă©tapes pour dĂ©terminer si une peine minimale obligatoire est juste et proportionnĂ©e. Ce processus, initialement Ă©tabli dans R. c. Nur, a Ă©tĂ© perfectionnĂ© dans les arrĂŞts R. c. Lloyd et R. c. Bissonnette l’an dernier. La Cour a aussi jugĂ© la disposition inconstitutionnelle en se fondant sur une situation raisonnablement prĂ©visible ou un scĂ©nario hypothĂ©tique – tirer avec une arme Ă air comprimĂ© plutĂ´t qu’un fusil de chasse. L’appelant, Jesse Dallas Hills, a reconnu que la peine minimale obligatoire n’Ă©tait pas totalement disproportionnĂ©e sur la base des faits en l’espèce, soit l’utilisation d’une carabine de chasse.
« La dĂ©termination de la peine n’est pas une science exacte », Ă©crit la juge Sheilah Martin s’exprimant au nom de la majoritĂ©. « Il peut s’avĂ©rer difficile pour les juges de choisir la peine parfaitement adaptĂ©e au crime, car il existe souvent plus d’une peine rĂ©pondant bien Ă un crime. VoilĂ cependant le fardeau que supportent chaque jour les juges chargĂ©s de la dĂ©termination de la peine. […] La question clĂ© est la suivante : quelle est prĂ©cisĂ©ment la peine juste pour cette personne dĂ©linquante en particulier? »
Chantelle van Wiltenburg, avocate adjointe chez Hunter Litigation Chambers Ă Vancouver, qui a Ă©tĂ© intervenante pour l’ABC, estime que cette dĂ©cision est « très positive ».
« On a vu la Cour complètement rejeter ce contre-courant reprĂ©sentĂ© par certains juges qui estiment qu’il faudrait revoir le cadre juridique, se rĂ©jouit Me van Wiltenburg. La Cour a rĂ©affirmĂ© le cadre actuel et dit plus prĂ©cisĂ©ment que les facteurs comme l’âge, l’autochtonitĂ©, la santĂ© mentale et la dĂ©pendance sont pertinents, insistant particulièrement sur l’importance de l’autochtonitĂ© et reconnaissant la portĂ©e de ces caractĂ©ristiques, qui jouent sur la proportionnalitĂ©. »
Toujours selon Me van Wiltenburg, la dĂ©cision montre l’importance d’examiner une situation hypothĂ©tique dans un processus accusatoire, ce qui devrait inciter les criminalistes Ă songer aux façons d’interprĂ©ter ces situations.
Pour la professeure Lisa Kerr, directrice du Criminal Law Group de la facultĂ© de droit de l’UniversitĂ© Queen’s, l’arrĂŞt Hills met fin Ă toute spĂ©culation prenant appui sur des situations hypothĂ©tiques raisonnables comme fondement d’analyse du caractère constitutionnel des peines obligatoires.
« La Cour au complet, y compris la juge dissidente, a suivi cette ligne de pensĂ©e, relate Mme Kerr. La dĂ©cision majoritaire rejette sans Ă©quivoque la manière dont le juge [Thomas] Wakeling de la Cour d’appel de l’Alberta a suivi sa “propre mĂ©thode” au lieu d’appliquer le droit clairement. »
Mme Kerr fait observer que les situations hypothĂ©tiques raisonnables sont appliquĂ©es dans ce contexte parce que ce qui est en jeu, c’est le droit et non la situation particulière de la personne dĂ©linquante. En outre, proscrire le raisonnement hypothĂ©tique placerait les peines obligatoires au-dessus de tout rĂ©examen, ce qui aurait des consĂ©quences inconstitutionnelles dans des dossiers ne pouvant plus faire l’objet d’une contestation judiciaire.
Étonnamment pour certains observateurs du droit, la Cour a affirmĂ© que la justice raciale est un facteur essentiel Ă la dĂ©termination de la peine et Ă la question de savoir s’il y a lieu ou non de maintenir une peine minimale obligatoire.
« Les tribunaux doivent tenir compte de l’effet de la peine sur la personne dĂ©linquante en cause », Ă©crit la juge Martin. « Le principe de proportionnalitĂ© implique que lorsque l’emprisonnement a un effet plus grand sur une personne dĂ©linquante en particulier, il peut y avoir lieu de lui accorder une rĂ©duction de peine. Pour cette raison, les tribunaux ont rĂ©duit des peines afin de tenir compte de l’expĂ©rience de la prison relativement plus dure pour certains dĂ©linquants, comme les dĂ©linquants faisant partie des forces de l’ordre, ceux souffrant d’un handicap ou ceux dont l’expĂ©rience de la prison est plus dure en raison du racisme systĂ©mique. Pour veiller Ă ce que la sĂ©vĂ©ritĂ© d’une peine minimale obligatoire soit correctement caractĂ©risĂ©e sous le rĂ©gime de l’art. 12, il est nĂ©cessaire d’examiner l’incidence de l’incarcĂ©ration Ă la lumière de ces considĂ©rations individualisĂ©es. »
Joshua Sealy-Harrington, qui enseigne le droit Ă la Lincoln Alexander School of Law, fait observer que le racisme systĂ©mique est prĂ©sent Ă chaque Ă©tape de l’interaction entre l’État et diffĂ©rents milieux, des forces de l’ordre aux disparitĂ©s systĂ©miques qu’on observe dans le rĂ©gime des libĂ©rations sous caution.
« Ces disparitĂ©s systĂ©miques sont prĂ©sentes dans les prisons elles-mĂŞmes », rappelle M. Sealy-Harrington, faisant allusion aux inĂ©galitĂ©s du système correctionnel qui s’observent dans le rĂ©gime des libĂ©rations conditionnelles et les cas de violence et de mauvais traitements en prison. « Il serait plutĂ´t Ă©trange d’Ă©liminer ça d’une analyse visant Ă prononcer une sentence proportionnelle. »
« N’allez pas croire que cela revient Ă dire que les tribunaux devraient faire abstraction des rĂ©alitĂ©s inhĂ©rentes aux peines prĂ©vues par l’État, poursuit-il. La question qui se pose pour les tribunaux, c’est de choisir entre ne pas tenir compte d’inĂ©galitĂ©s dont la prĂ©sence en milieu carcĂ©ral est attestĂ©e, ou en tenir compte au moment de dĂ©terminer une peine proportionnelle. »
« Je crois qu’ici, la Cour nous dit que ces inĂ©galitĂ©s doivent entrer en ligne de compte. »
Comme le constate Mme Kerr, la Cour s’est dite d’avis que les juges devraient Ă©viter de percevoir la peine d’emprisonnement comme une Ă©quation mathĂ©matique. Ils se doivent plutĂ´t de songer Ă l’infrastructure et Ă la culture carcĂ©rales ainsi qu’Ă leur incidence sur les personnes prĂ©sentant une vulnĂ©rabilitĂ©.
« Les arguments Ă l’appui de ces idĂ©es se trouvent dans une jurisprudence pouvant remonter Ă plusieurs dĂ©cennies, mais il s’agit de la plus puissante confirmation qu’on ait entendue de la Cour suprĂŞme rĂ©cemment, explique Mme Kerr. Cet arrĂŞt envoie aux instances infĂ©rieures un message qui aura des effets sur l’ensemble des dĂ©cisions en matière de dĂ©termination de la peine. Au moment de dĂ©terminer la peine, il faut songer Ă ce qui attend vĂ©ritablement la personne dans le milieu carcĂ©ral en tenant compte du mode de fonctionnement des prisons et des consĂ©quences de la vie carcĂ©rale. »
De son cĂ´tĂ©, Me van Wiltenburg croit qu’il s’agit ici du premier cas oĂą les facteurs Ă©noncĂ©s dans l’arrĂŞt Gladue peuvent s’appliquer Ă d’autres groupes racisĂ©s, notamment les personnes dĂ©linquantes noires. « La Cour ne s’est pas encore prononcĂ©e sur la façon dont ces facteurs s’appliquent Ă ces autres groupes racialisĂ©s, mais semble les promouvoir implicitement dans son analyse en l’espèce. Le fait qu’on reconnaĂ®t qu’un mĂŞme nombre de mois d’emprisonnement ne constituent pas une punition Ă©gale pour toutes les personnes dĂ©linquantes est intĂ©ressant. »
Elle souligne aussi que l’arrĂŞt Hills s’attaque Ă la question de la dignitĂ© humaine dans son application aux peines minimales en partant de l’arrĂŞt Bissonnette.
M. Sealy-Harrington ajoute que l’arrĂŞt Hills est un signal de plus indiquant aux avocats qu’il faut tenir compte de la race dans leurs observations; c’est une question de compĂ©tence.
« On ne peut pas vraiment travailler efficacement en justice raciale en faisant abstraction de la race ou en Ă©vitant cette question, ajoute-t-il. L’arrĂŞt Hills reflète cette nĂ©cessitĂ©. Quand la Cour dit que l’analyse de dĂ©termination de la peine doit tenir compte des inĂ©galitĂ©s systĂ©miques, elle fait savoir qu’il est essentiel que l’avocat soit au fait de la justice raciale. Il doit bien comprendre les rĂ©alitĂ©s raciales en gĂ©nĂ©ral, et surtout dans le contexte des peines criminelles, car cela fait partie intĂ©grante de son plaidoyer. »
« Si l’on sait que les personnes dĂ©linquantes noires ou autochtones sont surreprĂ©sentĂ©es chez les dĂ©tenus en isolement cellulaire, alors cet Ă©lĂ©ment doit entrer en ligne de compte, poursuit M. Sealy-Harrington. Si vous abordez les questions de dĂ©termination de la peine, de la nature carcĂ©rale ou des libĂ©rations conditionnelles sans songer au contexte des diffĂ©rentes personnes comparaissant devant les tribunaux, alors vous faites fi d’un Ă©lĂ©ment essentiel qui devrait pourtant se trouver dans vos arguments de dĂ©fense au moment de dĂ©terminer une peine appropriĂ©e, conclut-il. »
Dans la dĂ©cision complĂ©mentaire R. c. Hilbach, la Cour suprĂŞme a appliquĂ© le cadre d’analyse Ă©tablie dans l’arrĂŞt Hills et confirmĂ© la peine minimale obligatoire pour vol qualifiĂ© avec usage d’une arme Ă feu.
« MĂŞme si l’arrĂŞt Hills prĂ©sente une analyse solide et complète du critère de l’hypothèse raisonnable, ce qui est très positif comme rĂ©sultat, il est important de garder Ă l’esprit qu’en appliquant ce critère dans Hilback, la Cour a maintenu deux peines minimales obligatoires, rappelle Me van Wiltenburg. En outre, la majoritĂ© des juges s’est prononcĂ©e pour la peine minimale obligatoire, bien que cela impose d’office une peine d’emprisonnement — cinq ans — reprĂ©sentant presque le double des trois ans que le tribunal avait estimĂ©s proportionnels dans le cas de M. Hilbach, un jeune dĂ©linquant autochtone. »
Me van Wiltenburg trouve difficile de faire cadrer cette conclusion avec l’observation dans Hills concernant la nĂ©cessitĂ© d’Ă©valuer la « disproportion exagĂ©rĂ©e » en tenant dĂ»ment compte des facteurs Gladue, de la discrimination systĂ©mique envers les dĂ©linquants autochtones et des difficultĂ©s particulières que ceux-ci vivent souvent pendant leur peine.
« Bien que l’arrĂŞt Hills soit très positif dans son analyse du critère de l’hypothèse raisonnable, l’arrĂŞt Hilback confirme, voire renforce, la grande rigueur exigĂ©e pour abolir une peine minimale obligatoire dans la pratique, conclut-elle. On risque de voir cette norme Ă©levĂ©e finir par pĂ©naliser les dĂ©linquants dĂ©favorisĂ©s – ceux-lĂ mĂŞmes dont les droits sont censĂ©s ĂŞtre dĂ©fendus par une conceptualisation Ă©tendue du critère de l’hypothèse raisonnable. »