L’examen de la rémunération des juges exige-t-il la production de documents ministériels? Peut-être bien.

Le 31 juillet 2020, la Cour suprême du Canada a publié deux décisions complémentaires qui représentent les derniers développements dans le débat de plusieurs décennies au sujet du droit de regard sur les décisions du gouvernement concernant la rémunération des juges. Ces décisions – les appels d’une affaire de la Colombie-Britannique et d’une affaire de la Nouvelle-Écosse – portent sur les cas dans lesquels le gouvernement est tenu de produire les documents consultés par les ministères provinciaux pour déterminer la rémunération des juges quand ces déterminations font l’objet d’un contrôle judiciaire.

L’ABC a retenu les services de Borden Ladner Gervais s.r.l. et est intervenue dans ces appels pour poursuivre son travail de représentation sur ces questions. Depuis des années, elle est d’avis que la rémunération des juges doit être encadrée par le principe constitutionnel fondamental de l’indépendance de la magistrature. Autrement dit, les procédures de rémunération des juges doivent être structurées de manière à garantir cette indépendance, laquelle à son tour garantit une administration équitable et efficace de la justice.

Dans ces appels, l’ABC a fait valoir que tous les documents faisant partie du processus décisionnel concernant la rémunération des juges, y compris ceux de sources ministérielles, devraient en principe être produits lors d’un contrôle judiciaire. Elle a aussi avancé que le juge chargé de l’examen devrait avoir accès aux documents en toute confidentialité afin de pouvoir déterminer si l’explication donnée par l’État pour en justifier la non-divulgation est satisfaisante.

Dans ses deux décisions unanimes, la Cour suprême a conclu que les documents ministériels pourraient être consultables lors d’une procédure sur la rémunération des juges quand leur contenu est pertinent et n’est assujetti à aucune règle d’exclusion telle que l’immunité publique.

La Cour s’est accordée avec l’ABC pour dire que le juge saisi du dossier devrait avoir accès aux documents contestés et que c’est lui, au bout du compte, qui devrait décider s’il y a lieu de les divulguer ou non. La position de la Cour sur ce point est importante, car ce sera alors une instance indépendante qui évaluera la portée du document plutôt que le ministère concerné.

Toutefois, la Cour a établi un fardeau initial de la preuve dont devront s’acquitter les requérants d’une divulgation avant que le juge puisse inspecter les documents contestés. L’association des juges qui fait la requête doit démontrer en quoi les documents en question sont pertinents pour la décision sans même les avoir vus. Les auteurs sont d’avis que l’imposition de ce fardeau initial aura pour effet de rendre la divulgation plus difficile à obtenir.

Dans la plupart des cas – comme dans l’affaire de la Colombie-Britannique –, le requérant peut ignorer le contenu des documents contestés. L’affaire de la Nouvelle-Écosse nous présente un exemple de ces rares cas d’établissement d’un niveau de pertinence : d’autres renseignements publiquement accessibles indiquaient que les documents ministériels en question pourraient contenir des preuves pertinentes. Il importe toutefois de noter que l’existence de renseignements probants relève plus de l’exception que de la règle, vu la nature délicate du contenu des documents ministériels.

L’imposition de ce fardeau initial aux requérants inquiète les auteurs, car selon eux, cela risque en fait d’empêcher les associations de juges de demander la divulgation de documents ministériels. Ces arrêts de la Cour auront peut-être pour effet de limiter le nombre de procédures (un objectif des décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires de rémunération des juges), mais cette limitation ne sera pas le résultat d’un gain en efficacité et en transparence des procédures.