Le rĂ©cent arrĂŞt rendu par la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale dans l’affaire IGGillis Holdings (uniquement en anglais) apporte confort et certitude aux juristes spĂ©cialisĂ©s dans le domaine des opĂ©rations commerciales et aux avocats-conseils qui collaborent dans le complexe milieu juridique actuel. Alors que l’affaire est nĂ©e dans le contexte d’une vĂ©rification fiscale, ses enseignements quant au secret professionnel devraient toucher tous les domaines de l’exercice du droit.
L’arrĂŞt IGGillis Holdings affirme sans l’ombre d’un doute que la communication de conseils juridiques aux autres parties Ă l’opĂ©ration commerciale ou la collaboration avec les avocats des autres parties pour concevoir lesdits conseils juridiques ne constitue pas une renonciation au secret professionnel lorsque la collaboration a lieu dans le cadre d’un intĂ©rĂŞt commun touchant Ă l’opĂ©ration. Comme cela a Ă©tĂ© expliquĂ© l’automne dernier dans le magazine ABC National, l’ABC est intervenue dans cet appel très en vue pour aider Ă examiner de façon exhaustive les enjeux sous-jacents et les pratiques communes des membres du barreau canadien.
Dans son mĂ©moire, l’ABC a soutenu que [traduction] « plus un enjeu juridique est important et complexe, plus les clients vont probablement retenir les services d’Ă©quipes de juristes spĂ©cialisĂ©s venus de multiples cabinets pour qu’ils leur fournissent, ensemble, des conseils juridiques ». La dĂ©cision antĂ©rieure de la Cour fĂ©dĂ©rale qui affirmait que l’exception d’intĂ©rĂŞt commun Ă la renonciation au secret professionnel ne s’appliquait pas dans le contexte des opĂ©rations commerciales ou des conseils prodiguĂ©s hors contentieux a jetĂ© un sĂ©rieux doute sur la collaboration active entre diffĂ©rentes parties et leurs avocats respectifs. Cela a conduit les juristes Ă marquer un temps d’arrĂŞt et Ă rĂ©flĂ©chir aux meilleurs moyens de protĂ©ger les droits de leurs clients tombant sous le coup du secret professionnel, tout en reconnaissant que ces derniers auront frĂ©quemment un intĂ©rĂŞt pratique dans la mise en commun des conseils protĂ©gĂ©s par le secret professionnel ou Ă collaborer directement avec l’avocat d’une autre partie.
Certains juristes ont trouvĂ© des solutions crĂ©atives Ă la question, telles que l’utilisation de lettres de mandat communes Ă plusieurs des parties Ă l’opĂ©ration commerciale et le regroupement des juristes sous un mandat distinct. Cependant, il n’Ă©tait pas toujours possible de mettre en Ĺ“uvre de telles solutions, et lorsque c’Ă©tait faisable, cela exigeait un investissement accru en temps et efforts, sans compter les communications pour parvenir au mĂŞme rĂ©sultat que celui dĂ©coulant de la mise en Ĺ“uvre directe de l’exception d’intĂ©rĂŞt commun. La complexitĂ© supplĂ©mentaire ajoutĂ©e aux relations sous-jacentes alourdissait en outre le fardeau pesant sur les juristes qui devaient gĂ©rer leurs obligations professionnelles envers leurs clients.
La Cour d’appel fĂ©dĂ©rale a confirmĂ© que l’exception d’intĂ©rĂŞt commun transactionnel est solidement Ă©tablie en droit canadien. Elle a affirmĂ© qu’il n’Ă©tait pas appropriĂ© pour la Cour fĂ©dĂ©rale d’effectivement autoriser une dĂ©cision d’un tribunal new-yorkais Ă infirmer la jurisprudence pertinente en Alberta et en Colombie-Britannique qui s’appliquait Ă l’affaire IGGillis Holdings.
Le ministère public n’a pas encore indiquĂ© s’il va demander Ă la Cour suprĂŞme du Canada de l’autoriser Ă dĂ©poser un pourvoi. Appliquant la dĂ©cision de la Cour d’appel, les clients et leurs avocats pourraient sans problème reprendre les vieilles habitudes de communication et de collaboration avec les autres parties et leurs avocats pour parvenir Ă un intĂ©rĂŞt commun sans renoncer par inadvertance au secret professionnel. Ce genre d’approche collaborative peut Ă©conomiser temps et argent et peut rĂ©duire les risques de litiges subsĂ©quents.
Comme l’a soulignĂ© la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale [traduction] « [f]ace Ă une [loi complexe], il pourrait bien s’avĂ©rer plus efficient et mieux rĂ©pondre aux intĂ©rĂŞts respectifs des clients que les avocats collaborent pour prodiguer les conseils concernant son application Ă une sĂ©rie d’opĂ©rations commerciales devant ĂŞtre conclues par les parties ».
Bien que l’arrĂŞt IGGillis Holding soit une bonne nouvelle pour les pratiques transactionnelles et de conseils, elle sert aussi d’important rappel adressĂ© Ă la profession qu’elle doit ĂŞtre vigilante au sujet de la protection du secret professionnel. Les juristes seraient bien avisĂ©s de mettre en Ĺ“uvre toutes les pratiques exemplaires suivantes prĂ´nĂ©es par l’ABC lorsqu’ils divulguent des communications tombant sous le coup du secret professionnel ou lorsqu’ils collaborent avec des avocats ou d’autres parties pour Ă©laborer des conseils juridiques communs.
- L’avocat devrait expliquer Ă ses clients les enjeux et difficultĂ©s essentiels posĂ©s par la collaboration avec d’autres parties ou leurs avocats ou les deux, y compris les possibles avantages, leurs obligations envers les clients, les conflits d’intĂ©rĂŞts, le risque de renonciation au secret professionnel, le retrait de services, et toute mĂ©thode pour minimiser ou rĂ©gler les difficultĂ©s ou litiges connexes.
- L’avocat devrait s’assurer qu’il est en mesure d’agir selon les instructions de ses clients et que la collaboration particulière rĂ©pond aux intĂ©rĂŞts supĂ©rieurs de ses clients, reprĂ©sentant ses clients avec loyautĂ© et conformĂ©ment Ă la dĂ©ontologie et aux meilleures traditions de la profession.
- L’avocat devrait documenter les engagements et intentions des clients aux fins de clartĂ© et de postĂ©ritĂ©, et devrait plus prĂ©cisĂ©ment exprimer clairement les intentions de maintenir, face aux tiers, le caractère confidentiel de tous les documents protĂ©gĂ©s par le secret professionnel ainsi que les cas limitĂ©s, le cas Ă©chĂ©ant, dans lesquels lesdits documents pourraient ĂŞtre divulguĂ©s Ă des tiers (p. ex., seulement moyennant le consentement de toutes les parties, seulement après avoir donnĂ© un prĂ©avis suffisant aux autres parties ou seulement lorsque la loi l’exige).
Mark Tonkovich, Jacques Bernier et Stephanie Dewey, du cabinet Baker McKenzie, ont agi au nom de l’ABC dans cette intervention devant la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale dans l’appel IGGillis Holdings.