L’ABC, un précurseur quant aux enjeux soulevés par les affaires TWU

L’Association du Barreau canadien s’intéresse aux intentions de Trinity Western University quant à la création d’une faculté de droit depuis que la proposition a été présentée pour la première fois en 2012 à la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada (FOPJ) en vue d’obtenir son approbation.

Robert Brun, alors président de l’ABC, a écrit à la FOPJ en 2013, exhortant à la conformité avec la Charte et la législation en matière de droits de la personne dans le cadre de l’examen des demandes de création de nouvelles facultés de droit. Était jointe à son courrier une lettre du Comité sur l’égalité et de la Section sur l’orientation et l’identité sexuelles qui exprimait des préoccupations quant aux droits de la personne. En 2014, l’ABC a adopté une résolution exhortant à la non-discrimination dans le contexte de la formation juridique, et lorsque les affaires Trinity Western University c. Barreau du Haut‑Canada et Law Society of British Columbia c. Trinity Western University se sont rendues jusqu’à la Cour suprême, nous avons demandé l’autorisation d’intervenir; autorisation qui nous a été accordée.

Les arrêts rendus dans ces deux affaires à la mi-juin non seulement consacrent les arguments de l’ABC, mais les efforts de représentation de l’Association semblent presque leur ouvrir la voie. Nous avons étudié les deux arrêts et relevé certaines des similarités les plus frappantes entre les arguments de l’ABC et le langage de la CSC.

Lettre de Robert Brun adressée au président de la FOPJ le 18 mars 2013

« À notre avis, la Fédération et le Comité auquel incombe la responsabilité d’approuver les nouveaux programmes d’études en droit au Canada doivent trouver un juste équilibre entre la liberté de religion et l’égalité, et tenir pleinement compte de leur mandat d'intérêt public et les valeurs consacrées par les lois relatives aux droits de la personne au Canada. »

(TWU c. Barreau du Haut-Canada) [3] […], la décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas reconnaître la faculté de droit proposée par TWU représente une mise en balance proportionnée de la restriction imposée au droit en cause garanti par la Charte  et des objectifs prévus par la loi que cherchait à poursuivre le Barreau du Haut‑Canada. La décision du Barreau du Haut‑Canada était donc raisonnable. 

Lettre de la Section sur l’orientation et l’identité sexuelles et du Comité sur l’égalité adressée au président de la FOPJ le 18 mars 2013

[TRADUCTION] « Le fait qu’il soit strictement impossible de renvoyer une personne qui étudie au motif qu’elle a enfreint les règles du Covenant portant sur l’intimité sexuelle n’est pas déterminant. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vriend c. Alberta, la crainte même d’une discrimination peut causer de graves préjudices psychologiques. »

(TWU c. Barreau du Haut-Canada) [41] Exception faite de la restriction dégagée précédemment, aucun chrétien évangélique n’est privé de son droit de pratiquer sa religion comme et où il l’entend. La décision du Barreau du Haut‑Canada signifie que les membres de la communauté de TWU ne peuvent imposer leurs croyances religieuses à leurs condisciples étudiant le droit, car elles ont des conséquences inéquitables et peuvent causer un préjudice important. Le Barreau du Haut‑Canada a retenu une interprétation de l’intérêt public qui prescrit un accès aux facultés de droit fondé sur le mérite et la diversité, et non sur des pratiques religieuses d’exclusion. Cette décision empêche que des préjudices concrets, et non abstraits, soient causés aux personnes LGBTQ et aux membres du public en général.

[TRADUCTION] « Les juristes sont considérés comme des chefs de file de leur communauté. Ils se fient aux barreaux quant au leadership et à la réglementation dans l’intérêt public, y compris en ce qui concerne les questions d’égalité. »

(LSBC c. TWU) [42] […] La loi a chargé la LSBC d’assurer la compétence des avocats comme moyen de défendre et de protéger l’intérêt public dans l’administration de la justice (LPA, al. 3(b)). La LSBC n’a pas uniquement à faire respecter des normes minimales de compétence à l’égard de chaque avocat à qui elle délivre un permis; elle peut également se pencher sur la manière de favoriser la compétence du barreau dans son ensemble.

[TRADUCTION] « [L]a Fédération pourrait demander à Trinity Western d’éliminer ou de modifier son Covenant et certaines autres règles, pratiques et politiques. […] Cela pourrait être réalisé sans porter atteinte à la nature chrétienne de la faculté tout en garantissant qu’elle est véritablement ouverte à “tous les jeunes quelles que soient leur race, leur couleur ou leurs croyances”, conformément au mandat que lui accorde la loi. »  

(LSBC c. TWU) [85] […] La LSBC n’a pas refusé d’agréer la faculté de droit proposée par TWU dans l’abstrait; elle a plutôt refusé une proposition particulière qui comprenait le Covenant obligatoire. En effet, quand la LSBC a demandé à TWU si elle était disposée à [traduction] « envisager » d’apporter des modifications à son Covenant, TWU n’a montré aucune volonté de faire des compromis sur le caractère obligatoire de celui‑ci. La décision empêche donc uniquement les membres de la communauté de TWU de fréquenter une faculté de droit agréée de TWU qui est régie par un covenant obligatoire. 

Factum de l’ABC

[TRADUCTION] « En leur qualité de gardiens des points d’accès à la profession, les barreaux sont tenus non seulement de veiller à ce que leurs membres possèdent certaines qualifications universitaires, mais ils doivent également promouvoir l’égalité devant l’accès à la profession sans égard aux caractéristiques personnelles des candidats et des candidates. Cette obligation découle de la nature même de la profession qui est axée sur l’égalité et des obligations légales de prendre des décisions en matière de réglementation en matière d’administration de la justice qui sont dans l’intérêt public. »

(TWU c. Barreau du Haut-Canada) [21] […] limiter l’accès à la profession juridique sur la base de caractéristiques personnelles va à l’encontre de l’intégrité de la profession. Cela est particulièrement vrai en raison de la confiance dont la profession juridique jouit au sein de la société. En tant qu’acteur public, le Barreau du Haut‑Canada a un intérêt primordial à protéger les valeurs d’égalité et des droits de la personne dans l’exercice de ses fonctions […]

[TRADUCTION] « La responsabilité de promouvoir l’égalité et la diversité découle de la nature inhérente de la profession, c’est-à-dire de ses obligations de respecter et de propager la primauté du droit et le respect des droits et libertés protégés par la Constitution, ainsi que de représenter tout un chacun. »

(LSBC c. TWU) [43] […] Un barreau qui reflète la diversité du public qu’il sert favorise indéniablement l’administration de la justice et la confiance du public dans cette administration. Un barreau diversifié est plus sensible aux besoins du public qu’il sert. Un barreau diversifié est un barreau plus compétent (voir la LPA, al. 3(b)).

[TRADUCTION] « Les impératifs indissociables de l’inclusion et de l’égalité exigent des barreaux qu’ils empêchent que soient érigés des obstacles à l’accès à la profession juridique qui sont discriminatoires de par leur nature. »

(TWU c. Barreau du Haut-Canada) [20] Selon nous, le Barreau du Haut‑Canada pouvait conclure que l’égalité d’accès à la profession juridique, la diversité au sein du barreau et la prévention d’un préjudice à l’endroit des étudiants en droit LGBTQ relevaient de son obligation de protéger l’intérêt public dans le contexte de la reconnaissance, obligation qui suppose nécessairement de préserver une perception publique positive de la profession juridique.