L’accord de partenariat pour l’Ă©conomie numĂ©rique, ou APEN, conclu entre le Chili, la Nouvelle-ZĂ©lande et Singapour est entrĂ© en vigueur le 7 janvier 2021. Le Canada s’Ă©tait montrĂ© intĂ©ressĂ© Ă y adhĂ©rer et avait entamĂ© des discussions exploratoires et des consultations Ă cette fin.
Dans leur mĂ©moire (uniquement en anglais, toutes les citations sont des traductions) Ă Affaires mondiales, la Section du droit des affaires, la Section du droit international, la Section de la taxe Ă la consommation, des douanes et du commerce et la Section de la propriĂ©tĂ© intellectuelle de l’Association du Barreau canadien exhortent le Canada Ă s’assurer que ses obligations aux termes de l’APEN sont claires et que des objectifs mesurables sont inclus dans l’accord, quand cela est indiquĂ©. En effet, « certaines parties de l’APEN donnent des exigences claires, tandis que d’autres domaines sont largement idĂ©alisĂ©s et vagues, disent les sections. L’absence d’obligations contraignantes et d’objectifs fermes peut mener Ă des incohĂ©rences entre les États membres sur les questions importantes, comme la protection de la vie privĂ©e, la reconnaissance mutuelle de marques de confiance, l’interopĂ©rabilitĂ© et la compatibilitĂ©, et la possible recherche du forum le plus favorable ».
Voici un aperçu des principales recommandations des sections.
Services financiers et technologies financières
Dans sa forme actuelle, l’APEN ne s’applique pas aux services financiers, Ă l’exception des paiements Ă©lectroniques. Les sections sont d’avis qu’il le devrait, pour habiliter le secteur des technologies financières et remplir les objectifs de l’article 8.1 sur la coopĂ©ration dans le secteur des technologies financières.
« La frontière se brouille sans cesse entre les services financiers et les autres services numĂ©riques — comme les logiciels de budgĂ©tisation et de finances personnelles — pouvant nĂ©cessiter la consultation des donnĂ©es des fournisseurs de services financiers. Pour les entreprises de technologies financières employant ces donnĂ©es, l’objectif de l’article 8.1 sera compromis si l’APEN ne s’applique pas aux services financiers », Ă©crivent les sections.
Les dĂ©finitions de l’accord doivent aussi ĂŞtre prĂ©cisĂ©es, car ce qui constitue une « technologie financière » peut diffĂ©rer selon les points de vue : mĂ©canismes de prĂŞt parallèles, crĂ©dit Ă la consommation, technologies en assurance et en gestion de patrimoine, biens numĂ©riques, services informatiques financiers, gestion des procĂ©dĂ©s rĂ©glementaires, systèmes de paiement et de transfert de fonds, marchĂ©s financiers… « Nous nous demandons si la notion des technologies financières Ă l’article 8.1 couvre tous ces aspects », peut-on lire dans le mĂ©moire.
Facilitation du commerce
L’accord pourrait inclure la vidĂ©oconfĂ©rence Ă la liste des outils recommandĂ©s Ă l’article 2.4 pour faciliter la logistique transfrontalière, « particulièrement lorsque les originaux signĂ©s peuvent ĂŞtre tout de mĂŞme exigĂ©s (ou qu’une vĂ©rification d’identitĂ© est requise) ».
Selon l’article 2.6 de l’APEN, le Canada devrait procĂ©der au dĂ©douanement des expĂ©ditions express en six heures. « Il est difficile de savoir si cette pratique cadre avec les procĂ©dures opĂ©rationnelles normalisĂ©es de l’Agence des services frontaliers du Canada et si elle imposerait des obligations onĂ©reuses pour le Canada », mettent en garde les sections, ajoutant que le pays devrait aussi tenir compte des rĂ©percussions de ces procĂ©dures d’expĂ©dition express et des seuils de minimis.
Il est recommandĂ© dans le mĂ©moire d’ajouter une dĂ©finition ou des paramètres communs indiquant ce que l’on considère ĂŞtre une petite ou moyenne entreprise ainsi que de crĂ©er un centre multi-service et des formulaires communs « pour uniformiser la collecte de renseignements des PME qui veulent Ă©tendre leurs activitĂ©s au-delĂ de leurs frontières ».
Confidentialité des données, sécurité en ligne et intelligence artificielle
L’APEN devrait prĂ©voir une exemption Ă l’article 3.4 sur la cryptographie qui permettrait l’application des exigences locales aux fournisseurs des États membres.
Les sections de l’ABC croient qu’il faudrait envisager d’inclure dans l’APEN des normes minimales pour l’encadrement juridique de la protection des renseignements personnels. Il faudrait aussi prioriser le contrĂ´le par l’utilisateur final et la dĂ©centralisation du stockage des donnĂ©es. « Cela remplacerait l’approche dĂ©suète de consentement et d’avis, qui part de l’idĂ©e qu’il y a un dĂ©tenteur central des donnĂ©es personnelles, que celui-ci dĂ©crit exactement ce qu’il fait de ces donnĂ©es, et que les utilisateurs peuvent compter sur son respect de leurs choix relativement Ă leur vie privĂ©e. » Par ailleurs, le fait de mettre l’accent sur le contrĂ´le par l’utilisateur final catapulterait l’innovation numĂ©rique « en misant sur un mouvement croissant de dĂ©centralisation et de souverainetĂ© des donnĂ©es pour les individus ».
L’accord devrait aussi comprendre un engagement Ă respecter des normes minimales de sĂ©curitĂ© en ligne. « Il devrait y avoir certaines zones interdites et des normes Ă©levĂ©es de confidentialitĂ© et de sĂ©curitĂ©, ce qui comprend une conception adaptĂ©e Ă l’âge pour les produits et services en ligne qui sont destinĂ©s aux enfants ou susceptibles d’ĂŞtre utilisĂ©s par eux ainsi que de l’aide aux parents pour la prise de dĂ©cisions Ă©clairĂ©es », indique le mĂ©moire, ajoutant que la suppression des images non consensuelles ou montrant des abus sexuels doit ĂŞtre une prioritĂ©.
Les sections estiment que le libellĂ© de l’APEN est « loin d’ĂŞtre suffisant vu les risques Ă©levĂ©s que prĂ©sentent l’intelligence artificielle (IA) et les technologies Ă©mergentes. C’est d’autant plus vrai qu’un consensus mondial se dĂ©gage en matière de dĂ©veloppement responsable de l’IA. Le libellĂ© Ă©vasif n’a plus raison d’ĂŞtre, vu les graves dangers entourant le dĂ©veloppement de l’IA ou d’autres technologies Ă©mergentes sans souci d’Ă©thique, de confidentialitĂ© ou de sĂ©curitĂ©. »
En particulier, le paragraphe 4 de l’article 8.2 doit ĂŞtre mieux formulĂ© et donner des exemples clairs de cadres appropriĂ©s. « Si certains États membres imposent des normes rigoureuses, comme la transparence des algorithmes, le dĂ©veloppement Ă©thique de l’IA et l’Ă©limination de la partialitĂ©, alors que d’autres font preuve de laisser-faire, les entrepreneurs et les innovateurs des territoires Ă l’encadrement “rigide” seront pĂ©nalisĂ©s, car il leur faudra plus de temps pour entrer sur le marchĂ© que leurs pendants des États membres moins rĂ©glementĂ©s. Cela pourrait mener Ă l’affaiblissement de la rĂ©glementation, ou en pousser certains Ă partir Ă la recherche du forum le plus favorable. S’il n’est pas convenu de normes minimales Ă©levĂ©es, il y a un risque grave de nivellement par le bas », peut-on lire dans le mĂ©moire.
Propriété intellectuelle
Il serait utile que l’APEN traite des problèmes quant Ă l’innovation en matière de donnĂ©es et aux contrats de licence afin de faciliter l’Ă©change de donnĂ©es. « Il est essentiel de dĂ©finir Ă qui appartient la propriĂ©tĂ© intellectuelle puisque l’APEN porte essentiellement sur la transmission de l’information entre les États membres. En dĂ©finissant expressĂ©ment cette appartenance et les droits d’utilisation, on pourra Ă©viter les litiges et prĂ©ciser qui sont les propriĂ©taires des droits et qui sont les tiers, notamment lorsque des PME sont concernĂ©es », croient les sections.
Afin de stimuler l’innovation et la crĂ©ativitĂ©, l’article 9 devrait traiter de la protection du contenu crĂ©atif en ligne, comme la musique et les vidĂ©os, ainsi que de la cybersĂ©curitĂ© pour protĂ©ger les secrets commerciaux.
Durabilité, inclusion et autodétermination autochtone
Les sections de l’ABC recommandent d’inclure des mĂ©canismes pour favoriser la participation en ligne des groupes de la sociĂ©tĂ© civile et pour que l’accord « se conforme ou fasse rĂ©fĂ©rence Ă l’objectif de dĂ©veloppement durable 8 de l’Organisation des Nations Unies, soit promouvoir une croissance Ă©conomique soutenue, partagĂ©e et durable, le plein emploi productif et un travail dĂ©cent pour tous ». Elles croient Ă©galement que l’APEN devrait renvoyer Ă l’article 3 de la DĂ©claration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, soit le droit Ă l’autodĂ©termination des peuples autochtones et leur droit Ă dĂ©terminer librement leur statut politique et Ă assurer librement leur dĂ©veloppement Ă©conomique, social et culturel.