Le droit qu’a l’un de s’exprimer doit s’arrĂŞter lĂ oĂą le droit qu’a l’autre d’ĂŞtre Ă l’abri de discours haineux commence, et vice versa. C’est une manĹ“uvre dĂ©licate d’atteindre cet Ă©quilibre, et encore plus dĂ©licate d’en faire une disposition lĂ©gislative.
« Le Canada a la malchance d’avoir mal jugĂ© cet Ă©quilibre dans ses lois tant civiles que pĂ©nales », affirment la Section du droit constitutionnel et des droits de la personne, la Section du droit pĂ©nal et la Section sur l’orientation et l’identitĂ© sexuelles dans leur commentaire (en anglais seulement – toutes les citations sont des traductions) sur un document de consultation de Justice Canada paru plus tĂ´t cette annĂ©e.
« Les sections de l’ABC sont ravies de voir le gouvernement du Canada porter un regard neuf sur ces lois et l’occasion se renouveler de trouver le juste Ă©quilibre. »
Les sections proposent 17 recommandations qui portent surtout sur le discours haineux sur Internet et visent Ă rĂ©tablir l’Ă©quilibre dans les lois adoptĂ©es antĂ©rieurement. Elles proposent notamment de refondre l’ancien article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui selon elles Ă©tait « valable en substance, mais dĂ©ficient dans la forme » puisqu’il limitait indĂ»ment la libertĂ© d’expression.
« Comment Ă©viter que quelqu’un qui se formalise aisĂ©ment refuse Ă autrui son droit lĂ©gitime de s’exprimer? Comment empĂŞcher les instigateurs de se faire passer pour les victimes et d’utiliser la loi pour faire taire la critique envers leur incitation Ă la haine en allĂ©guant que c’est cette critique, la vĂ©ritable incitation Ă la haine? » demandent les sections. « Notre rĂ©ponse consiste Ă reconstituer l’essence de l’ancien article 13 de la Loi et Ă y adjoindre de nouvelles garanties procĂ©durales, pour empĂŞcher que la loi serve Ă brimer le droit lĂ©gitime de s’exprimer comme le permettait l’ancienne mouture de l’article. »
Ces garanties comprennent la mise en place de principes d’adjudication des dĂ©pens des procĂ©dures prĂ©sentĂ©es au Tribunal canadien des droits de la personne « pour faire en sorte d’une part de ne pas inhiber le dĂ©pĂ´t de plaintes bien fondĂ©es sur des questions d’intĂ©rĂŞt public, et pour empĂŞcher d’autre part que cette procĂ©dure constitue une forme de persĂ©cution en soi. »
Autres garanties :
- CrĂ©ation d’un point de contrĂ´le : le procureur gĂ©nĂ©ral du Canada doit accepter les poursuites pĂ©nales dans les cas de discours haineux; la Commission des droits de la personne doit faire l’analyse prĂ©alable des poursuites civiles.
- Interdiction de déposer une même plainte contre un même intimé auprès de plusieurs instances.
- Habilitation de la Commission et du Tribunal Ă retirer des parties d’une plainte.
- Interdiction de dĂ©poser des plaintes anonymes, sous rĂ©serve d’exceptions prĂ©cises.
- Instauration d’un principe gĂ©nĂ©ral de divulgation, et description de toute exception relative Ă ce principe.
Les sections recommandent aussi l’ajout d’un recours civil dans les cas de discours haineux sur Internet « visant non seulement les instigateurs, mais aussi ceux qui publient leurs discours, notamment les plateformes Internet. Les fournisseurs Internet ne devraient pas avoir droit Ă l’immunitĂ© civile pour le contenu de leurs plateformes. »
Les sections recommandent de confĂ©rer au Tribunal le pouvoir de rendre des ordonnances juridiquement contraignantes pour les fournisseurs Internet. « Bien que les conditions d’utilisation des grands fournisseurs Internet interdisent explicitement l’incitation Ă la haine, il faut aussi mettre activement cette interdiction en application », affirment les sections. Celles-ci reconnaissent les difficultĂ©s pour y parvenir, mais observent que la Commission europĂ©enne a trouvĂ© des solutions et Ă©tabli un modèle Ă suivre.
« Les fournisseurs Internet n’ont pas Ă avoir le dernier mot sur la dĂ©finition de discours haineux », mentionnent les sections.
« Si le Tribunal conclut qu’une communication sur Internet constitue un discours haineux, les grands fournisseurs Internet doivent respecter cette dĂ©cision au Canada parce qu’ils se sont engagĂ©s Ă respecter les lois locales. »
Les sections soutiennent aussi que l’application des interdictions prescrites dans le Code criminel contre l’incitation Ă la haine pourrait ĂŞtre optimisĂ©e. Elles proposent que les procureurs gĂ©nĂ©raux ou les directeurs des poursuites pĂ©nales adoptent et rendent publics des critères sans Ă©quivoque quant au refus d’accepter une poursuite, et qu’ils donnent les raisons pour lesquelles une plainte ne satisfait pas Ă ces critères.
Voici quelques autres recommandations :
- Formulation de définitions du discours haineux.
- Ratification du Protocole additionnel Ă la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalitĂ©, que le Canada a signĂ©e en 2005.
- Invitation Ă la population Ă faire des signalements, tout particulièrement concernant l’activitĂ© sur Internet : « La surveillance du contenu colossal d’Internet requiert la participation de beaucoup de monde. Pour que l’on ait confiance en la capacitĂ© de la Commission de prendre acte des abus sur Internet, il faut mener une campagne Ă©nergique d’Ă©ducation populaire pour que le public signale Ă la Commission tout discours haineux qu’il observe en ligne. »