Les mots importent. Lorsqu’il s’agit de la Constitution – le document qui garantit l’Ă©galitĂ© du français et de l’anglais –, le fait que la plupart des documents constitutionnels ne soient disponibles qu’en anglais donne l’impression que les mots sont plus Ă©gaux dans une langue que dans l’autre.
Les interprĂ©tations d’une telle rĂ©alitĂ© ne peuvent ĂŞtre que mauvaises.
« L’absence d’une version française officielle intĂ©grale des textes constitutionnels a [...] un impact symbolique choquant, et un affront Ă l’Ă©galitĂ© de statut des langues officielles au Canada et aux principes fondamentaux sous-jacents Ă notre Constitution que sont la primautĂ© du droit et la protection des minoritĂ©s », affirment les membres de la Section des juristes d’expression française de common law et de la Section du droit constitutionnel et des droits de la personne de l’ABC dans un mĂ©moire conjoint prĂ©sentĂ© au comitĂ© parlementaire chargĂ© d’Ă©tudier la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Toutefois, il ne s’agit pas seulement d’un problème d’interprĂ©tation et de symbolisme.
« [L]’absence d’une version officielle française a des impacts pratiques sur le dĂ©veloppement du droit et dĂ©valorise la participation des juristes et justiciables d’expression française aux dĂ©bats sur l’interprĂ©tation des textes juridiques les plus fondamentaux Ă notre sociĂ©tĂ© », stipule le mĂ©moire.
Une version française complète des documents constitutionnels est disponible depuis 1990, mais les gouvernements n’ont pas rĂ©ussi Ă l’intĂ©grer Ă la loi en raison d’obstacles politiques et juridiques, comme le fait valoir le mĂ©moire.
Sur le plan juridique, il n’y a pas de consensus entre les cours sur le caractère exĂ©cutoire de l’article 55 de la Constitution, qui requiert du ministre fĂ©dĂ©ral de la Justice qu’il prĂ©pare les versions françaises des documents constitutionnels et qu’il les prĂ©sente pour leur Ă©diction.
Sur le plan politique, la coopĂ©ration des provinces est requise pour promulguer la version française, et au dĂ©but des annĂ©es 1990, alors qu’il existait une tension considĂ©rable entre le gouvernement fĂ©dĂ©ral et le gouvernement du QuĂ©bec, le QuĂ©bec a refusĂ© de participer au processus.
Les sections dĂ©clarent qu’une action parlementaire est nĂ©cessaire.
« L’impasse est liĂ©e Ă un manque de responsabilisation de chaque acteur de mener Ă terme le projet d’adopter la version française de la Constitution canadienne », Ă©crivent-ils. « L’obligation de dĂ©poser pour adoption la version française des textes constitutionnels incombe nĂ©cessairement Ă toutes les parties dont la participation est nĂ©cessaire pour mener Ă bien la procĂ©dure d’amendement constitutionnel applicable. Cependant, le libellĂ© de l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui ne dĂ©crit pas expressĂ©ment la portĂ©e de l’obligation de chaque partie, a permis (voire encouragĂ©) un certain immobilisme des acteurs politiques qui attendent depuis les annĂ©es 1990 que leurs homologues prennent l’initiative de reprendre les pourparlers. »
Les sections recommandent que le Parlement ajoute une section exĂ©cutoire Ă la Loi sur les langues officielles, obligeant le ministre de la Justice Ă dĂ©ployer les meilleurs efforts pour mettre en Ĺ“uvre l’article 55, renouvelant ainsi l’engagement du gouvernement fĂ©dĂ©ral envers le bilinguisme officiel.
D’anciens mĂ©moires de l’ABC ont encouragĂ© le gouvernement Ă moderniser la Loi sur les langues officielles, vieille de trente ans, « pour en faire un outil efficace qui rĂ©pond Ă la rĂ©alitĂ© contemporaine de la dualitĂ© linguistique canadienne ».
« Pour un pays qui se dĂ©clare officiellement bilingue, le Canada tarde Ă respecter son devoir d’adopter une version française officielle de sa Constitution », conclut le mĂ©moire. « Cette anomalie a un impact nĂ©faste sur la vitalitĂ© des communautĂ©s linguistiques du Canada, et porte atteinte Ă l’accès Ă la justice et la primautĂ© du droit. »