Lorsque des lois de nature quasi constitutionnelle empiètent sur un droit quasi constitutionnel, la situation risque bien de tourner au vinaigre.
La Cour suprême du Canada a déjà qualifié les lois sur l’accès à l’information comme étant de nature quasi constitutionnelle. Le projet de loi C-58, qui propose certaines modifications à la Loi sur l’accès à l’information (la LAI), comprend des dispositions portant sur le secret professionnel de l’avocat – un droit quasi constitutionnel, et sur le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire. Ces dispositions sont jugées préoccupantes par plusieurs groupes de travail de l’Association du Barreau canadien (ABC).
La Section du droit de la vie privée et de l’accès à l’information, le Sous-comité de déontologie et de responsabilité professionnelle et le Sous-comité de la magistrature (les sections de l’ABC) déclarent dans leur mémoire qu’elles soutiennent l’intention générale des mesures du projet de loi qui visent la modernisation de la LAI. Cette loi ne reflète plus la réalité des actuelles technologies de l’information et de la communication, n’est pas à la hauteur des attentes des citoyens et citoyennes relativement à la transparence des pouvoirs publics et est dépassée par les lois sur l’accès à l’information déjà en application dans plusieurs provinces et à l’étranger.
Le secret professionnel de l’avocat est un droit conféré tout autant aux personnes physiques qu’aux personnes morales, et il est donc dans l’intérêt public de protéger ce droit.
« La Cour suprême du Canada a déclaré qu’on ne pouvait lever le secret professionnel de l’avocat qu’en vertu de dispositions législatives claires, explicites et sans équivoque, en cas de nécessité absolue et d’atteinte minimale », souligne le mémoire. « Selon les sections de l’ABC, les modifications proposées à l’article 15 du projet de loi C-58 concernant le paragraphe 36(2) de la LAI ne répondent pas à cette norme constitutionnelle. Leur bien-fondé n’a pas été établi. »
Le mémoire fait valoir qu’il faudrait plutôt établir, pour les responsables d’institutions gouvernementales qui invoquent une exception à la règle du secret professionnel de l’avocat, des directives claires ainsi que de solides procédures internes. Le mémoire relève d’ailleurs que les commissaires à l’information de plusieurs provinces ont mis en place des protocoles qui, le plus souvent, exigent une communication de documents qui est suffisamment détaillée pour justifier la revendication de l’exception, mais non la production des documents en tant que tels.
« Selon les sections de l’ABC, le commissaire ne devrait pas pouvoir exiger la production de renseignements protégés ou examiner des documents protégés pour déterminer la validité de la revendication. » La LAI autorise la Cour fédérale à examiner une revendication si le commissaire à l’information la juge infondée, et les sections de l’ABC souscrivent à cette démarche. Celles-ci souscrivent également à une mise à jour de l’article 23 de la LAI de manière à y inclure le secret professionnel de l’avocat ou du notaire et le privilège relatif au litige, afin que cet article reflète l’état actuel du droit.
La question de l’indépendance judiciaire entre en jeu avec l’imposition prévue par le projet de loi d’un régime de publication proactive de renseignements concernant, entre autres, les dépenses judiciaires (dont les frais de déplacement et indemnités). La publication proactive peut entraîner une plus grande transparence des instances gouvernementales et permettre aux citoyens de plus facilement examiner les gestes posés par celles-ci. Étant donné le rôle constitutionnel distinct et tout particulier des tribunaux, il ne faudrait toutefois pas assimiler les juges aux fonctionnaires ou aux élus.
« Un des trois volets reconnus de l’indépendance judiciaire réside dans l’indépendance administrative », relève le mémoire. Telles que proposées, les nouvelles dispositions de la LAI « entraîneraient une ingérence malvenue dans l’indépendance judiciaire alors qu’il existe déjà des moyens adéquats de concilier l’accès à l’information et la protection de l’indépendance des tribunaux. » Les sections de l’ABC soulignent entre autres qu’« [u]ne caractérisation inappropriée des déplacements à des fins judiciaires et de l’utilisation d’indemnités de déplacement risque de freiner la participation des membres des tribunaux à diverses conférences et activités d’information [publiques]. »
Parmi les différents enjeux cernés par les sections de l’ABC dans leur mémoire, figurent également la fréquence de l’examen de la LAI, la nécessité ou non d’imposer des frais de demande, le pouvoir d’ordonnance qu’accorderait le projet de loi au commissaire à l’information et la question à savoir si un même pouvoir devrait être conféré au commissaire à la protection de la vie privée, et le pouvoir discrétionnaire qui serait accordé aux responsables d’institutions gouvernementales et habiliterait ceux-ci à refuser de traiter certaines demandes d’accès à l’information.
Les sections de l’ABC contestent également l’ajout proposé de l’exigence voulant que trois types d’information énumérés (sujet précis sur lequel porte la demande, type de document demandé et période visée par la demande) constituent un critère d’accès. Elles font notamment valoir que cette exigence restreindrait les droits d’accès du citoyen et nuirait à la transparence des pouvoirs publics.
Avec leur mémoire sur le projet de loi C-58, les sections de l’ABC critiquent une nouvelle fois le gouvernement, alors que celui-ci restreint les possibilités d’examen de modifications importantes et potentiellement complexes qui seront apportées à des lois existantes.
Le temps prévu pour l’examen des propositions de modifications à la LAI désormais désuète « est trop limité pour évaluer efficacement toutes les conséquences du projet de loi et pour renforcer les lois d’accès à l’information. Une consultation plus vaste, transparente et complète est requise. »