Si un taux d’alcoolémie d’une limite maximale de 80 milligrammes (pour 100 millilitres de sang) constitue un moyen de dissuasion efficace de la conduite en état d’ébriété, une limite de 50 mg devrait être un moyen de dissuasion encore meilleur, n’est-ce pas?
Dans son essence, c’est le raisonnement qui sous-tend une proposition visant à réduire la limite maximale du taux d’alcoolémie prévue dans le Code criminel. Dans ce cas, cependant, moins ce n’est pas nécessairement plus.
Comme l’indique la Section nationale de l’ABC du droit pénal (la Section) dans une lettre (disponible uniquement en anglais) qu’elle a adressée à Justice Canada, c’est parce que ces 50 mg indiquent la présence d’alcool dans le sang sans nécessairement constituer un indicateur d’ébriété. S’il y a suffisamment de preuve d’affaiblissement des facultés pour justifier une limite de 80 mg, il existe [TRADUCTION] « peu ou pas de consensus au sein de la communauté scientifique indiquant qu’un taux d’alcoolémie de 50 mg affaiblit les facultés ».
« S’il est certainement légitime que le gouvernement fédéral puisse décider de réduire la limite maximale du taux d’alcoolémie afin de pouvoir mieux se prémunir contre les dangers que représente l’ivresse au volant, cela ne peut toutefois pas, à notre avis, justifier le changement [qui est proposé] sous prétexte que cela permettrait une détection efficace de conducteurs aux facultés affaiblies. »
Selon l’avis de la Section, en plus de constituer un échec en tant que moyen de dissuasion, cette mesure ne pourrait qu’ajouter au fardeau qu’imposent déjà à l’appareil judiciaire les accusations de conduite avec facultés affaiblies. La Section relève que [TRADUCTION] « la conduite avec les facultés affaiblies est l’un des domaines les plus contentieux du droit pénal et, à lui seul, le nombre de ce type d’affaires engendre d’importantes répercussions sur le système de justice, en matière de coûts, de retards et de l’incertitude qui règne alors que ces affaires demeurent pendantes ».
Une réduction de 30 mg de la limite d’alcoolémie aurait pour effet d’ajouter 75 000 à 100 000 causes au registre des affaires dont sont saisis les tribunaux canadiens – quelque chose qui serait à éviter dans le cadre d’un système qui est déjà en proie à une situation de crise en raison des retards dans les procédures judiciaires.
Si toutefois le gouvernement met en œuvre la mesure proposée, la Section suggère que toutes les causes qui s’ajoutent au nombre des affaires pendantes puissent être réglées au moyen de sanctions administratives, plutôt qu’en passant devant les tribunaux.
Et la Section de conclure : [TRADUCTION] « Avec respect, nous sommes d’avis que le projet de loi C-46 n’entraînera pas d’améliorations de l’efficacité du processus judiciaire, comme le laisse entendre le document de travail, et nous avons d’ailleurs indiqué – dans le mémoire que nous avons présenté en 2016 au sujet d’un projet de loi semblable (C-226) – que nous craignons même un résultat allant dans le sens contraire ».