Changer la culture des procès pour agression sexuelle

Dans la foulée de la levée de boucliers suscitée par les commentaires exprimés par certains juges au cours de procès pour agression sexuelle, y compris la suggestion faite par l’ancien juge Robin Camp qu’une victime aurait dû « serrer les genoux », nombreux sont les appels à une meilleure éducation des juges au sujet des agressions sexuelles, et plus particulièrement concernant la façon de traiter les victimes.

La chef intérimaire du Parti conservateur, Rona Ambrose, a déposé un projet de loi d'initiative parlementaire intitulé Loi sur la responsabilité judiciaire par la formation en matière de droit relatif aux agressions sexuelles, qui a franchi sans difficulté les étapes de la première et de la deuxième lecture et fait maintenant l’objet d’un examen en comité.

La Section du droit pénal de l’ABC est d’accord avec l’esprit du projet de loi, mais déclare dans son mémoire que les exigences énoncées dans certaines des principales dispositions de la loi proposée existent déjà.

« L’intention derrière le projet de loi est louable : elle vise à réserver les affaires d’agression sexuelle aux seuls juges qualifiés, et à ce que ceux-ci étayent leurs décisions par des motifs réfléchis. La section de l’ABC croit à une magistrature canadienne hors pair et à une administration juste, efficace, impartiale et constitutionnelle de la justice. La confiance des Canadiens et des Canadiennes en leur système de justice et en son intégrité en dépend. »

Cela dit, l’exigence posée par la le projet de loi selon laquelle les juges seraient tenus de motiver leurs décisions par écrit lorsqu’ils tranchent des affaires d’agression sexuelle reprend les exigences existant déjà en droit selon lesquelles les juges doivent motiver correctement leurs décisions, par écrit ou de vive voix. Il est erroné de considérer les motifs donnés de vive voix comme étant incomplets ou inférieurs aux motifs exprimés par écrit, affirme la section. Qui plus est, quelle que soit la forme qu’ils revêtent, il est impératif que les motifs « fournissent matière à un examen valable en appel des fondements d’une condamnation ou d’un acquittement ». Ils doivent en outre « répondre aux questions en litige ». Les directives en 10 points données par la Cour suprême dans l’arrêt R c. Sheppard font ressortir les devoirs qui incombent déjà aux juges, affirment les auteurs du mémoire.

En outre, selon le mémoire, étant donné que la rédaction de motifs exige un investissement en temps supérieur à celui nécessaire pour rendre des motifs de vive voix, exiger des juges qu’ils les produisent « pourrait contribuer à la lenteur des tribunaux à une époque où un ralentissement […] peut se traduire par la suspension de chefs d’accusation ».

La section s’est également exprimée au sujet de l’obligation que la loi proposée imposerait aux aspirants juges de suivre une formation en matière d’agression sexuelle avant leur nomination, et ce, à la satisfaction du Commissaire à la magistrature fédérale. « On ignore qui assumera les frais de cette formation », affirme-t-elle, ou à qui incomberait le devoir de prouver que les aspirants juges sont adéquatement formés.

Les auteurs du mémoire soulignent qu’il existe déjà, dans tout le Canada, des programmes de formation destinés aux juges et que le récent budget fédéral comporte des plans pour augmenter le financement de la formation de sensibilisation aux disparités entre les sexes et aux réalités culturelles.

« La rigueur des formations, quelles qu’elles soient, ne saurait éliminer complètement l’éventualité de comportements, de réactions ou de remarques inappropriés », remarque la section. La formation préconisée par le projet de loi n’aurait pas, elle non plus, empêché le genre d’incident survenu dans le prétoire du juge Camp, la grande majorité des procès pour agression sexuelle relevant de la justice provinciale et non fédérale.

La section affirme en dernier lieu que le législateur doit faire preuve de prudence quant à la question de l’indépendance et de l’intégrité des juges et, manifestement, se garder de toute ingérence dans ces domaines.