L’Association du Barreau canadien craint que les modifications proposĂ©es pour la Loi de l’impĂ´t sur le revenu incluses dans le projet de loi C-32 et dans un autre avant-projet de loi compromettent le secret professionnel de l’avocat. Dans des lettres adressĂ©es au prĂ©sident du ComitĂ© sĂ©natorial permanent des finances nationales, au prĂ©sident du ComitĂ© permanent des finances de la Chambre des communes et Ă la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, le prĂ©sident de l’ABC, Steeves Bujold, indique que les modifications proposĂ©es ne respectent pas les critères constitutionnels compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprĂŞme du Canada.
L’ABC soutient les objectifs des modifications, qui visent Ă lutter contre l’Ă©vasion fiscale agressive, le blanchiment d’argent et d’autres activitĂ©s criminelles. Ces objectifs doivent toutefois ĂŞtre atteints sans compromettre le principe fondamental du secret professionnel de l’avocat qui, selon Me Bujold, est « un droit quasi constitutionnel, affirmĂ© Ă plusieurs reprises par la Cour suprĂŞme du Canada et considĂ©rĂ© comme fondamental Ă la primautĂ© du droit, Ă l’accès Ă la justice et Ă la bonne administration de la justice ».
Le secret professionnel de l’avocat permet aux clients de communiquer librement et en toute confiance avec leurs juristes, ce qui est nĂ©cessaire pour recevoir les meilleurs conseils juridiques possibles. « La protection d’une communication pleine et franche entre les juristes et leurs clients favorise l’intĂ©rĂŞt du public pour l’observation de la loi et le respect de l’administration de la justice. »
Par consĂ©quent, les modifications proposĂ©es au projet de loi C-32 imposant de nouvelles obligations de dĂ©claration sur les fiducies, y compris la dĂ©claration de l’identitĂ© des fiduciaires, des bĂ©nĂ©ficiaires et des auteurs de la fiducie ainsi que de toutes les personnes ayant la capacitĂ© d’exercer un contrĂ´le sur les dĂ©cisions des fiduciaires, sont trop gĂ©nĂ©rales. Ces modifications exemptent les « comptes en fiducie gĂ©nĂ©raux des juristes », mais n’excluent pas les « fiducies spĂ©cifiques aux clients ».
Comme l’expliquent les lettres de l’ABC aux commissions parlementaires, les juristes et les notaires sont dĂ©jĂ soumis Ă des règlements stricts et exhaustifs ainsi qu’aux règles de dĂ©ontologie appliquĂ©es par les ordres de professionnels de juristes du Canada qui « leur interdisent de se livrer Ă une conduite illĂ©gale ou de la faciliter de quelque manière que ce soit ».
Exempter tous les comptes en fiducie gĂ©nĂ©raux des juristes des nouvelles obligations de dĂ©claration ne nuirait en aucun cas Ă la capacitĂ© de l’Agence du revenu du Canada de faire respecter la Loi de l’impĂ´t sur le revenu et permettrait de ne pas compromettre le principe fondamental du secret professionnel de l’avocat.
Divulgation de renseignements
Dans certains cas, le projet de loi proposĂ© obligerait les juristes Ă divulguer le nom d’un client et le montant reçu de ce client. Cela violerait l’attente raisonnable du client en matière de confidentialitĂ© dans le cadre de ses relations avec les juristes et placerait les juristes dans un conflit d’intĂ©rĂŞts, ce qui rendrait difficile la prestation de conseils impartiaux sur l’Ă©tendue du privilège du client.
L’ABC prĂ©voit que la conformitĂ© Ă la lĂ©gislation proposĂ©e sera particulièrement problĂ©matique pour les juristes spĂ©cialisĂ©s en droit immobilier qui, dans certains cas, reçoivent des dĂ©pĂ´ts de centaines d’acheteurs d’unitĂ©s pour un seul lotissement. « Étant donnĂ© que la lĂ©gislation provinciale exige que des comptes fiduciaires de juristes soient tenus pour ces dĂ©pĂ´ts, le projet de loi C-32 pourrait obliger les cabinets juridiques Ă produire des dizaines de milliers de dĂ©clarations par an pour les seuls projets de copropriĂ©tĂ©s », prĂ©cise la lettre. Cette situation serait onĂ©reuse et peu pratique sur les plans financier et administratif, et ne prĂ©senterait que peu ou pas d’avantages pour l’ARC.
Opérations à déclarer et à signaler
Dans la lettre adressĂ©e Ă la ministre Freeland, le prĂ©sident de l’ABC explique que les changements proposĂ©s quant aux obligations de dĂ©claration pour les opĂ©rations « Ă dĂ©clarer » et « Ă signaler » contenues dans l’avant-projet de loi visant Ă modifier la LIR compromettent Ă©galement le secret professionnel de l’avocat.
Les lois existantes soumettent aux obligations de dĂ©claration les « conseillers » qui aident un client dans le cadre d’une opĂ©ration Ă dĂ©clarer et devant faire l’objet d’un avis. Cette obligation ne s’applique pas aux renseignements protĂ©gĂ©s par le secret professionnel de l’avocat. Cependant, les modifications proposĂ©es soumettraient les tiers, tels que les comptables ou tout autre conseiller collaborant Ă©troitement avec des juristes conseillant les clients, aux nouvelles obligations de dĂ©clarations.
Il est frĂ©quent que des tiers soient en possession de renseignements protĂ©gĂ©s par le secret professionnel. C’est pourquoi, selon la lettre, « les tribunaux ont reconnu l’importance d’appliquer le privilège du secret professionnel de l’avocat aux communications entre les comptables et les juristes afin que les comptables soient en mesure de s’acquitter de leurs propres devoirs envers leurs clients ».
Les nouveaux règlements soumettraient aux obligations de dĂ©claration les renseignements protĂ©gĂ©s par le secret professionnel se trouvant en possession de comptables ou d’autres conseillers, ce qui rendrait « les clients vulnĂ©rables en exposant leurs renseignements protĂ©gĂ©s, c’est-Ă -dire, des renseignements confiĂ©s de manière confidentielle par les clients Ă leurs juristes sur la prĂ©somption qu’elles le resteraient ».
L’ABC soutient les objectifs de la LIR, mais le gouvernement ne doit pas faire indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement, soit obtenir des renseignements protĂ©gĂ©s par le secret professionnel de conseillers tiers. L’adoption de ces modifications « pourrait signifier que les juristes, agissant avec prudence pour prĂ©server la confidentialitĂ© de leurs clients, pourraient reconsidĂ©rer le fait de partager autant d’informations avec des conseillers tiers », Ă©crit Me Bujold dans la lettre.
« Nous comprenons que les autoritĂ©s aient besoin d’informations suffisantes pour dĂ©terminer les obligations fiscales des contribuables afin de lutter efficacement contre l’Ă©vasion fiscale agressive, la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et d’autres activitĂ©s criminelles, prĂ©cise le prĂ©sident de l’ABC dans les commentaires de clĂ´ture. Toutefois, ces mesures doivent ĂŞtre Ă©quilibrĂ©es avec 1) le respect du secret professionnel de l’avocat, et 2) le fait de permettre aux juristes de remplir leurs devoirs envers leurs clients sans les placer en situation de conflit d’intĂ©rĂŞts. »