Triage. Cadre. Technologie. Ces trois mots Ă©taient omniprĂ©sents dans l’exposĂ© fait par la professeure de droit de l’UniversitĂ© d’Ottawa, Karin Eltis, en juillet devant le Groupe de travail de l’ABC sur la COVID-19.
Selon Me Eltis, le déploiement approprié de ces trois éléments sera un facteur essentiel de la renaissance du système judiciaire auquel les mesures mises en place pour faire face à la pandémie ont posé de nombreux défis.
Nous ne pourrons jamais rebrousser chemin et continuer comme avant la pandĂ©mie. « Nous devons faire marche avant », a-t-elle dit, ajoutant toutefois, en citant Richard Susskind, que nos solutions ne doivent pas perpĂ©tuer nos lacunes antĂ©rieures.
Cela signifie qu’il nous faut concevoir un cadre pour la technologie afin de garantir qu’elle amĂ©liore l’accès sans lui nuire, dit Me Eltis, dont les recherches sont axĂ©es sur l’intelligence artificielle, la cyber-sĂ©curitĂ© et la vie privĂ©e. Ă€ ce jour, la meilleure façon de dĂ©crire la rĂ©ponse aux restrictions suscitĂ©es par la pandĂ©mie de COVID-19 est de dire qu’elle est une rĂ©action Ă la crise qui utilise la technologie comme une bĂ©quille en cette pĂ©riode caractĂ©risĂ©e par l’incertitude. Pour que le changement soit durable, il doit avoir un objectif et ĂŞtre pensĂ© de manière Ă tenir compte de ses possibles consĂ©quences imprĂ©vues et de la façon de les attĂ©nuer.
Une partie du cadre doit relever de l’examen de solutions hybrides aux problèmes du système de justice. Cela signifie qu’il faut mettre en place un processus de triage efficace, soit dĂ©cider lorsque le recours Ă la technologie est appropriĂ©, lorsqu’il ne l’est pas et lorsque la meilleure solution repose sur une combinaison de ces deux scĂ©narios.
Ce cadre comporte également la prise de décision quant à la technologie à utiliser et aux modalités de son utilisation.
Nous ne pouvons tout simplement pas transformer les palais de justice « concrets » en palais de justice virtuels, dit Me Eltis. La manière de traiter les renseignements personnels pose d’importantes questions; des questions qu’un mĂ©moire de l’ABC (disponible uniquement en anglais) a Ă©galement posĂ©es au sujet des garde-fous pour les renseignements publiĂ©s en ligne par les tribunaux.
Le recours Ă des plateformes privĂ©es pour administrer la justice publique pose ses propres questions au sujet de l’indĂ©pendance de la magistrature et des limites dans lesquelles les tribunaux vont dĂ©lĂ©guer le travail au secteur privĂ©. Les acteurs du système de justice doivent ĂŞtre particulièrement prudents quant Ă la collaboration avec des sociĂ©tĂ©s privĂ©es dont le modèle d’affaires est fondĂ© sur la collecte de donnĂ©es.
« Il est très tentant de tout simplement se tourner vers une plateforme privĂ©e, car l’infrastructure existe dĂ©jĂ et c’est pratique », dit Me Eltis. En fin de compte, « nous ne pouvons pas laisser les tribunaux sans assistance et dire “cette plateforme est gratuite” », dit Me Eltis. « Si quelque chose est gratuit, c’est parce que c’est vous le produit. Le système de justice et le service de justice ne peuvent se permettre d’ĂŞtre le produit. »
L’une des « questions que nous devons rĂ©gler, mĂŞme si c’est difficile », c’est de dĂ©terminer Ă qui incombe la tâche de concevoir la technologie que nous pouvons utiliser et de contrĂ´ler les prĂ©jugĂ©s qui pourraient en faire partie intĂ©grante. Ainsi, aux États-Unis, afin de rĂ©duire les retards, l’intelligence artificielle peut ĂŞtre utilisĂ©e pour accĂ©lĂ©rer les processus judiciaires, et Ă©clairer les dĂ©cisions portant sur la dĂ©termination du cautionnement et sur la libĂ©ration conditionnelle. Cependant, des affaires telles que Wisconsin v. Loomis (disponible uniquement en anglais) soulignent la nĂ©cessitĂ© de connaĂ®tre la façon dont l’algorithme est programmĂ© pour parvenir Ă ses dĂ©cisions.
« Nous ne pouvons pas procĂ©der rapidement et faire des dĂ©gâts en chemin », dit Me Eltis. « Nous pouvons procĂ©der rapidement, mais nous ne devons pas oublier de tenir compte des rĂ©percussions. »