Dîner du président de la FOPJC

Merci de votre aimable présentation. Je suis ravie d’être ici et de m’adresser à vous au nom des quelque 36 000 membres de l’Association du Barreau canadien.

Puisque nous sommes ici ce soir, il me semble approprié de prononcer un discours sur les communications. Signal Hill est l’endroit où Guglielmo Marconi a reçu la première transmission sans fil transatlantique en 1901. Cet événement a ouvert la voie à plus d’un siècle d’avancées technologiques époustouflantes. Le vingtième siècle a commencé avec des traits et des points, et s’est terminé avec des bits et des octets. Nous avons maintenant la vaste majorité des connaissances de l’humanité dans notre poche, pour autant que nous ayons accès à un réseau et que nos piles tiennent le coup.

Pourtant, à la base, la communication n’a pas changé. Il s’agit d’un aspect fondamental de tout ce que nous faisons en tant qu’être humain. Il nous suffit d’observer des peintures datant d’il y a des milliers d’années sur les parois des grottes de Lascaux, en France, et dans d’autres endroits de partout au monde, pour comprendre les histoires qu’elle raconte et les émotions qu’elles transmettent, auxquelles nous nous identifions. Nous pouvons visiter des endroits comme Hampton Court au Royaume-Uni, et imaginer la cour des Tudors, pleine de vie, tout en cernant les émotions qu’Anne Boleyn a dû ressentir lorsqu’elle a été accusée à tort d’adultère avant d’être condamnée à mort.

Plus nous nous éloignons des interactions individuelles directes avec les gens, plus les possibilités de malentendus augmentent.

C’est pourquoi nous valorisons les occasions comme celle-ci, qui nous permet de nous rassembler, d’apprendre à se connaître et de partager des opinions et des idées d’intérêt commun. Nous avons la chance de parler, mais avant tout, de tendre l’oreille aux autres. Et c’est en étant à l’écoute des autres groupes, voire en prêtant une oreille de plus en plus attentive, que nous apprenons à mieux nous comprendre l’un l’autre.

La communication – en face à face, mais aussi dans les médias sociaux, par le biais de vidéoconférences, d’appels téléphoniques et de téléconférences – est l’une des pierres angulaires de mon mandat à la présidence, qui touche un éventail de plates-formes.

J’essaierai d’amener des gens à échanger les uns avec les autres, même s’ils ne se comprennent pas encore tout à fait. Moi-même, je représente quatre groupes qui, traditionnellement, ont eu à lutter pour trouver leur place dans la profession juridique. Je suis une jeune avocate. Je suis une conseillère juridique d’entreprise. Je suis une personne de couleur et je suis une femme. En tant que présidente de l’ABC, j’espère pouvoir faire office de pont entre les centres traditionnels de pouvoir de la profession et ces groupes, qui sont aussi essentiels pour assurer l’avenir de l’association.

L’an passé, dans le cadre de sa nouvelle chaîne de balados, l’ABC à lancer une série s’intitulant « Conversations with the President » (Entretiens avec la présidence). Dans les balados auxquels je participerai, j’espère combler le fossé générationnel. Les gens qui obtiennent leur diplôme de la faculté de droit cette année accèderont à un environnement professionnel très différent de ceux qui l’ont obtenu il y a 20 ans ou tout juste après la récession de 2008. Il existe des malentendus aux deux extrémités de ce fossé en ce qui a trait aux attentes et aux désirs de l’autre. Je souhaite aborder ces différences afin de trouver un terrain d’entente qui, je sais, existe entre les membres plus âgés et plus jeunes du barreau. Il s’agit d’une conversation à laquelle la FOPJC, en tant qu’organisme de réglementation de la profession, devrait s’intéresser vivement. Les jeunes juristes ont des attentes différentes par rapport à l’emploi, des attentes qui pourraient changer la façon dont fonctionnent, survivent et prospèrent les cabinets de juristes. Ces pressions pourraient également nous amener à examiner les programmes de formation et d’agrément des nouveaux juristes. Nous devons également nous demander si nos méthodes actuelles profitent aussi bien à la profession qu’au public.

En qualité de conseillère d’entreprise, je fais partie d’un groupe qui a connu la plus forte croissance au sein de la profession en général, et de l’ABC en particulier. Pourtant, le secteur privé semble s’approprier plus que sa juste part du marché.

Être une femme de couleur m’apporte une perspective différente sur la profession de juriste d’entreprise. Nous ne possédons pas beaucoup de données sur la constitution de la profession juridique au Canada. Ce que nous avons appris de façon empirique, en raison d’études locales et isolées qui ont été menées, c’est que les femmes et les gens issus de groupes à la recherche d’équité font moins d’argent que les hommes et qu’ils ont tendance à abandonner la pratique privée ou à ne jamais y accéder dès le début. Plusieurs de ces personnes choisissent plutôt de faire carrière dans le secteur public ou au sein d’entreprises, sans vraiment faire un choix. Ces mêmes études et données empiriques démontrent qu’elles le font pour différentes raisons, la conciliation travail-vie étant l’une d’elles. La culture traditionnelle hyper masculine de plusieurs cabinets, qui donnent la préférence aux hommes blancs hétérosexuels, en est une autre, ce qui renforce cette pratique.

Depuis longtemps, le manque de statistiques relatives à la composition de la profession juridique canadienne et aux mutations et motivations des juristes du pays freine toute tentative d’apporter des changements au sein de notre profession. Faute de données complètes, il est impossible de savoir si votre situation en est une qui est relativement mauvaise, relativement bonne ou relativement moyenne.

Plus tôt cette année, les sections des jeunes juristes ainsi que des étudiants et étudiantes en droit de l’ABC ont écrit à la FOPJC afin de lui demander d’assumer un rôle de leadership auprès des barreaux pour qu’ils établissent un cadre national pour la profession. L’initiative faisait suite à un sondage du Barreau de l’Ontario dans lequel un cinquième des répondants disait être victime de harcèlement et de discrimination pendant leur stage. Il s’agit d’un problème mondial qui était au cœur de la conférence annuelle de l’Association internationale du barreau tenue à Séoul. Dans une étude semblable publiée récemment par la Law Society of Alberta, conjointement avec les barreaux du Manitoba et de la Saskatchewan, cette réalité s’applique au tiers des répondants.

L’ABC demande à tous les barreaux de mener des sondages de cette nature dans l’ensemble du pays afin de surveiller et d’améliorer l’expérience que vivent les stagiaires. Un sondage pancanadien nous permettrait de compiler d’importants renseignements démographiques et de créer un ensemble de données comparatives utiles. La fédération doit s’occuper de cette tâche ou, à tout le moins, faciliter sa mise en œuvre en créant un questionnaire normalisé qui recueille des renseignements sur l’âge, l’identité de genre, l’orientation sexuelle et l’ethnicité des répondants, tout comme l’endroit et le type de milieu où ils font leur stage, le salaire qu’ils gagnent, la faculté de droit qu’ils fréquentent, ainsi que le montant et le type de dette qu’ils contractent.

Ces questions peuvent nous aider – l’association, les organismes de réglementation, les éducateurs juridiques et la profession juridique dans son ensemble – à cerner les lacunes du système, les points faibles à améliorer, les torts à corriger, les domaines où les choses fonctionnent bien et qui devraient avoir du soutien. Ces renseignements pourraient nous aider à établir un point de comparaison, non seulement au sein de chaque province et territoire, mais à l’échelle du pays.

Lorsqu’il est question de communication, nous ne devrions jamais nous contenter du statu quo. Nous ne devrions jamais tenir pour acquis que ce qui fonctionne pour la majorité fonctionne pour tout le monde. L’Association du Barreau canadien, en tant que porte-parole de la profession, ainsi que les barreaux du pays, qui agissent pour le compte du public, ont l’obligation de s’adresser à tout le monde, d’améliorer le système de justice et de le rendre moins partial, aussi bien à l’interne qu’à l’externe.

C’est dans cette optique que l’ABC travaille sur plusieurs initiatives qui émanent des recommandations qu’a formulées son groupe de travail sur la vérité et la réconciliation plus tôt cette année. Nous avons récemment lancé un site Web qui expose les efforts de représentation de l’association, et fournit des outils, des ressources et des séances de formation à l’intention des juristes œuvrant avec des clients autochtones. Le site contient de l’information dont l’objectif est d’aider les juristes à comprendre les répercussions et l’héritage des pensionnats et du système colonial sur les peuples autochtones.

En plus de regorger d’information, le site Web affiche de magnifiques œuvres d’art réalisées par des artistes autochtones. Je vous invite à y jeter un œil au cba.org – le site est vraiment de toute beauté!

Nous bâtissons sur le succès qu’a connu le camp de formation en leadership pour les juristes racialisés, tenu à Toronto au mois de mai. En décembre, nous tiendrons le tout premier Sommet du leadership des juristes chevronnés racialisés, c’est-à-dire les juristes qui ont été admis au barreau il y a dix ans ou plus.

L’un des groupes en quête d’équité dont nous parlons moins que les autres et celui des personnes économiquement marginalisées, un facteur important de la crise d’accès à la justice sur lequel l’association et les organismes de réglementation devraient se pencher. En cette période électorale, nous avons mené une campagne s’intitulant #AideJuridique #ÇaCompte, dont l’objectif était d’attirer l’attention sur le besoin d’un fonds d’aide juridique stable et durable pour les gens qui ne sont qu’à une affaire juridique de vivre une catastrophe personnelle. Cela comprend les travailleurs pauvres, des gens qui travaillent à temps plein, mais qui peinent à joindre les deux bouts.

Quelques facteurs socio-économiques sont également à la base d’une certaine homogénéité dans la profession. La formation juridique n’est pas à la portée des gens qui ne peuvent se permettre de payer les droits de scolarité élevés ou de contracter une dette accablante – il s’agit de juristes de première génération, ds familles monoparentales, etc. Les diplômés sont contraints de rechercher du travail dans de grands centres où la rémunération est meilleure, laissant les résidents des petites villes et des régions rurales sans accès à une représentation juridique.

Au printemps dernier, nous avons adressé une lettre au ministère fédéral de l’Emploi lui demandant d’étendre le programme d’exonération de remboursement des prêts d’études auquel peuvent prétendre les professionnels de la santé pour y inclure les juristes qui sont prêts à exercer dans des communautés rurales et éloignées.

La communication doit être inclusive pour être efficace. En 2016, le Barreau de l’Ontario à tenter de régler le problème de discrimination systémique dans la profession juridique en exigeant des juristes qu’ils adoptent et respectent un énoncé de principes prônant l’égalité et la diversité. Cette réglementation a été bien accueillie par certaines personnes, mais a été tournée en dérision par d’autres, qui la considérait comme un discours affecté. Ces derniers l’ont emporté et l’énoncé de principes a été rejeté cette année à la faveur de la reconnaissance d’une obligation professionnelle de respecter la législation sur les droits de la personne.

Sur une note personnelle, je dois avouer que, en tant que membre du Barreau de l’Ontario et membre d’un groupe que l’énoncé de principes original tentait de joindre, je trouve tristes le débat et la solution de compromis, qui annule les gains importants acquis en matière de diversité et d’inclusion. J’espère qu’il y aura réellement une égalité des chances pour tout un chacun à l’avenir.

Il y a un peu plus d’un siècle, Marconi était assis dans un hôpital abandonné ici même, observant son antenne suspendue à un cerf-volant, attendant une transmission transatlantique en provenance de Cornwall. Au cours du dernier mois, je me suis rendue en Corée et au Royaume-Uni, et j’ai pu communiquer avec des gens à la maison, le décalage horaire constituant le seul obstacle. Les technologies de la communication ont beaucoup évolué. Toutefois, nous devons nous rappeler que, indépendamment de l’outil que nous utilisons, la communication en soi est la clé pour faire avancer les choses, pour créer des changements. Nous devons ouvrir les canaux à différents groupes, écouter ce qu’ils ont à dire et veiller en retour à ce qu’ils nous comprennent. Il s’agit de la seule façon de respecter nos obligations envers le public et envers la profession.

Merci encore de m’avoir invitée à m’adresser à vous ce soir. Profitez bien du reste de la soirée.