Conférence de l’ABC sur le leadership pour professionnelles

Bonjour à toutes et à tous. C’est un plaisir pour moi d’être parmi vous aujourd’hui comme représentante de l’Association du Barreau canadien et de ses trente-six mille membres – dont près de la moitié sont des femmes.

Penelope Trunk, auteure de l’ouvrage The Brazen Careerist, affirme qu’il n’est jamais bon pour une carrière que de se trouver dans une pièce remplie de femmes – à moins que vous soyez mannequin ou danseuse nue –, car qui dit femmes, dit salaires moins élevés.

Aussi, toujours selon Mme Trunk, les femmes sont la cause de cette réalité. Apparemment, les femmes ne sont pas moins bien rémunérées parce qu’elles sont des femmes, mais parce qu’elles choisissent des emplois moins bien payés. Elles sont médecins de famille au lieu de spécialistes, travailleuses sociales au lieu de psychiatres. Si elles veulent gagner plus d’argent, elles devraient viser des emplois mieux rémunérés.

La logique de Mme Trunk suggère donc que les avocates devraient choisir de travailler pour de puissantes multinationales plutôt que d’être des conseillères juridiques d’entreprise ou des employées du gouvernement. À première vue, l’idée se tient (bien qu’elle soit entachée). Toutefois, comme nous le savons tous, plusieurs facteurs pèsent dans le choix d’une carrière, et certains de ces facteurs ne vous laissent parfois pas les coudées franches. Désolé, Penelope, mais les recherches suggèrent que les conseillères juridiques d’entreprise gagnent moins que leurs homologues masculins. Meilleure chance la prochaine fois.

Le rêve de l’égalité, bien sûr, c’est de se trouver dans un endroit où votre identité de genre ne représente pas un facteur dans le type de travail que vous effectuez, dans la quantité d’argent que vous gagnez, dans la culture dominante du cabinet et dans les personnes qui se conforment le mieux à cette culture.

Il nous reste encore du chemin à faire pour atteindre cet idéal, mais une des façons d’y arriver est en s’appuyant sur les communautés qui nous entourent.

Une communauté, ce n’est pas seulement le nom de l’emplacement géographique où vous habitez, c’est une facette de tout ce que vous êtes. Aussi, il faut beaucoup de communautés pour produire une professionnelle accomplie.

Plusieurs des communautés auxquelles vous appartenez entretiennent un lien avec les adjectifs qui vous décrivent. Puisque je suis Noire et conseillère d’entreprise, mes communautés comprennent l’ABC, l’ACCJE, l’Association des avocats noirs du Canada… les avocates. Je fais aussi partie d’autres communautés qui défendent des causes qui m’inspirent.

Les communautés peuvent être accidentelles ou intentionnelles, mais elles ne se développent pas sans finalité et sans objectif commun, sans l’engagement de faire avancer ces objectifs.

Il y a de nombreux rôles à remplir dans chacune de ces communautés : celui de dirigeante est probablement le plus important, car sans leadership il est difficile d’accomplir quoi que ce soit. Sans rêveur il n’y a pas d’objectifs. Sans entrepreneures et contribuables, il est ardu de financer les projets pour atteindre ces objectifs. Sans bâtisseuses et travailleuses, il est impossible de les achever. Tous les groupes interagissent les uns avec les autres à différents endroits, tissant une toile qui étaye une communauté cohésive.

Imaginons un diagramme de Venn dans lequel nous plaçons les gens se trouvant dans cette pièce. Au centre se trouve le point plus grand de l’intersection : à l’exception du seul homme qui, à ma connaissance, s’est inscrit à cette conférence (bonjour Ray!), nous sommes des femmes, c’est quelque chose que nous avons toutes en commun. Nous jouons toutes un rôle dans une histoire qui se fonde sur ce point commun.

Les personnes qui sont ici aujourd’hui ne pratiquent pas toutes le droit, mais la plupart d’entre elles sont des professionnelles, avec tous les points de contact liés au fait de devoir composer avec un monde qui dans une grande mesure n’a pas été bâti pour nous… un monde que nous avons dû façonner pour qu’il s’adapte à nous ou auquel nous avons dû nous adapter.

Un autre point commun est peut-être que nous formons un groupe d’avocates, qui se divise en sous-groupes de conseillères juridiques d’entreprise, d’avocates des secteurs public et privé et de juristes œuvrant dans un domaine de droit en particulier. Certaines entrepreneures recoupent quelques-uns de ces domaines de pratique, comme les politiciennes. L’ampleur des similitudes augmente à mesure que la communauté se précise.

En 1993, le groupe de travail de l’ABC sur l’égalité des genres a publié son rapport « Les Assises », dans lequel il réclamait l’égalité, la diversité et la responsabilité au sein de la profession juridique. Le groupe de travail soulignait l’évidence du traitement inique auquel étaient confrontées les avocates et décrivait les obstacles que devaient surmonter les femmes désireuses de connaître du succès dans la carrière qu’elles avaient choisie, des obstacles comme la discrimination dans les possibilités d’emploi, le harcèlement sexuel et le manque d’accommodements aux responsabilités familiales.

Et nous voilà vingt-six ans plus tard : les femmes ont encore aujourd’hui la responsabilité première des soins à la famille, elles se font encore harcelées en milieu de travail, et bon nombre d’entre elles quittent la pratique privée pour se trouver un meilleur environnement de travail, ou bien abandonnent tout simplement leurs carrières en droit.

Un rapport qu’a produit Catalyst Canada sur les femmes dans le domaine du droit souligne que 43 595 avocates pratiquaient le droit au Canada en 2016, alors que ce chiffre s’élevait à 53 257 chez les hommes. Lorsqu’il est question des nouvelles personnes au sein de la profession, les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans la plupart des régions. Cependant, lorsqu’il est question de cadres supérieurs, particulièrement dans les cabinets privés, les hommes surpassent les femmes par une large marge. Les femmes touchent seulement 93 % du salaire des hommes, indépendamment de l’étape où elles en sont dans leur carrière.

Aussi, je n’ai pas à vous le dire, mais je le fais quand même, les personnes de couleur et les Autochtones sont toujours sous-représentés par rapport à leur proportion dans la population générale.

Des femmes d’affaires et des politiciennes se trouvant dans cette pièce pourraient probablement conter leur propre version de cette histoire.

Plusieurs des jeunes femmes qui quittent les cabinets privés finissent par travailler au gouvernement ou comme conseillères juridiques d’entreprise, créant ce que l’on appelle le ghetto rose, soit les emplois qui sont dominés par les femmes, souvent moins stressants et sous-payés, avec peu de possibilités d’avancement.

Penelope Trunk a regardé sa communauté et a senti que celle-ci l’affaiblissait. Il nous faut renverser la vapeur en bâtissant des communautés qui nous valorisent.

Aujourd’hui, c’est la Journée de l’affaire « personne ». Le 18 octobre 1929, les femmes ont été officiellement reconnues comme étant des « personnes » au sens de la loi. Cela n’a pas été le fruit du hasard. En fait, il a fallu des années et de nombreux courageux efforts de la part de Nellie McClung, Emily Murphy, Irene Parlby, Louise McKinney et Henrietta Muir Edwards, pour faire en sorte que les femmes se voient accorder le statut de « personne ». Ces femmes, les « célèbres cinq », illustrent parfaitement le fait qu’il est possible pour les femmes d’améliorer les choses en s’épaulant l’une l’autre.

Individuellement, nous ne pouvons pas changer la culture d’entreprise toxique qui rejette plusieurs d’entre nous, mais collectivement nous pouvons créer une pression qui rend cette pratique moins acceptable. Nous pouvons utiliser notre masse critique pour rendre cette culture plus plaisante. Nous pouvons lancer nos propres cabinets ou entreprises en y instaurant une culture différente afin de faire de notre réussite la meilleure vengeance.

Une vieille fable utilise une brindille pour démontrer la force d’une communauté. Il est facile d’en briser une, mais il est presque impossible d’en rompre un faisceau. Les hommes seront souvent nos alliés et nos parrains, mais les femmes constituent notre principale communauté, celle qui est la plus importante. Toutefois, les femmes ne sont pas un groupe homogène. Nous devons aussi éliminer les obstacles qui nous séparent, comme l’âge et la situation familiale, et travailler ensemble. Nous devons échanger des conseils et, surtout, nous parrainer les unes les autres, créer une profession à notre image où nous pouvons faire de vrais choix de carrière et occuper un emploi qui nous satisfait, que ce soit dans le domaine des contentieux commerciaux ou de l’aide juridique, parce que c’est ce que nous voulons faire.

Les femmes qui occupent les fauteuils qui vous entourent aujourd’hui, voilà votre communauté. Tirez-en des forces. Mais contribuez. À votre tour, à la renforcer.

Merci et bonne conférence.