Avec l’augmentation du nombre de nouvelles entreprises de technologies juridiques, certains citoyens craignent que les juristes soient bientĂ´t remplacĂ©s par l’intelligence artificielle. Il est prĂ©vu que la singularitĂ© — moment oĂą il sera impossible de faire une distinction entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine — se produira vers 2040.
Le battage injustifiĂ© entourant l’intelligence artificielle se fonde sur la fausse idĂ©e que nous avons dĂ©veloppĂ© un système d’intelligence gĂ©nĂ©rale ou autonome. Autrement dit, un système informatique qui imite l’intelligence humaine, qui reproduit le comportement humain dans tous les contextes, et qui reconnaĂ®t et rĂ©sout de nouveaux problèmes pour lesquels il n’a pas Ă©tĂ© conçu.
Au contraire, l’IA est un système d’analyse avancĂ© qui exĂ©cute des tâches prĂ©cises avec une participation humaine limitĂ©e. C’est la capacitĂ© d’une machine Ă imiter l’intelligence humaine et son comportement. Toutefois, les systèmes d’intelligence artificielle ont besoin d’un interfaçage humain pour se dĂ©velopper et pour accroĂ®tre leur capacitĂ© Ă exĂ©cuter des tâches.
Au cĹ“ur de l’IA se trouve l’apprentissage automatique — la formation d’un système d’analyse informatique par un ĂŞtre humain. L’apprentissage automatique consiste en la capacitĂ© d’une machine d’apprendre Ă partir de donnĂ©es sans ĂŞtre explicitement programmĂ©e. Un système d’IA a besoin d’humains pour l’alimenter en donnĂ©es, pour Ă©tablir des paramètres et pour fournir une rĂ©troaction. Le système applique ensuite cette formation afin de trier, de dĂ©finir et d’analyser des donnĂ©es, puis de faire des prĂ©dictions prĂ©cises en s’inspirant de tendances historiques. En outre, il peut s’amĂ©liorer avec le temps. Tout cela est captivant, mais il ne s’agit pas d’intelligence autonome.
L’IA ne fonctionne qu’avec des tâches dĂ©finies qui sont prĂ©visibles, reproductibles et mesurables. Ainsi, d’une certaine façon, l’IA rĂ©duit les risques en prenant des dĂ©cisions plus efficaces, plus cohĂ©rentes et plus faciles Ă interprĂ©ter, mais uniquement pour des tâches de cette nature. Un système d’intelligence artificielle ne peut pas saisir la nature personnelle, nuancĂ©e et complexe des dossiers juridiques de la mĂŞme manière que les humains. Les humains surpassent les machines du fait de leur capacitĂ© Ă faire preuve de jugement. Par exemple, bien que l’IA puisse utiliser des donnĂ©es pour mener des recherches juridiques et pour prĂ©dire la probabilitĂ© de succès de causes, les juristes sont mieux adaptĂ©s pour appliquer ces renseignements Ă l’Ă©laboration de la stratĂ©gie globale de la cause, pour aborder diverses questions impliquant plusieurs parties ou pour servir de mĂ©diateur dans de telles situations, et pour Ă©valuer diffĂ©rents rĂ©sultats selon la valeur qu’ils ont aux yeux du client. L’intelligence artificielle ne remplacera pas le lien qui existe entre les juristes et leur clientèle, et ne remplacera pas la pensĂ©e critique ni la prise de dĂ©cisions stratĂ©giques.
Cela dit, la technologie juridique continuera d’ĂŞtre inestimable pour aider les juristes Ă se libĂ©rer des tâches banales, ce qui leur permettra de se concentrer sur des projets complexes et sur l’Ă©laboration de solutions crĂ©atives. Les juristes bioniques tirent dĂ©jĂ parti de technologies juridiques pour automatiser des tâches fastidieuses et pour rationaliser des questions moins complexes. Par exemple, les technologies juridiques accĂ©lèrent les processus de contrĂ´le diligent qui surviennent en cas de litige et dans de nombreuses transactions. Elles accĂ©lèrent la recherche juridique, l’investigation informatique, l’assemblage et la rĂ©daction de documents, l’examen de contrats et la sĂ©lection des jurĂ©s. Elles fournissent aussi un accès virtuel Ă des fichiers et une plateforme mobile travaillant au service des clients en cas d’urgence. Grâce Ă ces gains d’efficacitĂ©, les juristes sont en mesure de rĂ©duire leurs dĂ©penses, d’augmenter le volume de dossiers dont ils peuvent s’occuper et d’offrir aux entreprises de nouveaux services plus novateurs, ce qui se traduit par un accès accru Ă la justice pour la plupart des gens.
Bien que l’intelligence artificielle soit dĂ©jĂ utilisĂ©e, elle en est toujours Ă ses premiers pas. Les technologies juridiques sont actuellement des outils qui se limitent Ă des tâches relativement banales et qui servent Ă dĂ©mĂŞler certains aspects du travail juridique. La technologie Ă©voluera, mais le travail juridique sera toujours l’affaire de juristes. Il y aura probablement moins d’emplois juridiques traditionnels, mais plus de nouveaux types de postes juridiques. Alors que le domaine de l’IA continue de croĂ®tre, des personnes plus compĂ©tentes et technophiles seront requises en matière de rĂ©solution de problèmes.
L’intelligence artificielle remplacera les juristes, mais uniquement pour des tâches prĂ©cises. En fait, associĂ©e Ă l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle est susceptible de surpasser les humains seuls ou l’intelligence artificielle seule. Selon Tom Girardi, l’homme qui a servi d’inspiration au personnage de l’avocat dans le film Erin Brockovich, il se peut mĂŞme qu’un jour le fait de ne pas recourir Ă l’IA soit considĂ©rĂ© comme une faute professionnelle pour les juristes.
Shiva Bakhtiary est une avocate chez Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l., s.r.l.