L’honorable Jean M. Whalen
QUEL A ÉTÉ VOTRE CHEMINEMENT DANS LE MONDE DU DROIT ET DE LA MAGISTRATURE?
Mon cheminement dans le monde du droit et dans la magistrature, de l’extĂ©rieur Ă tout le moins, n’a eu rien d’extraordinaire. Mes parents, en particulier ma mère, m’ont inculquĂ© le dĂ©sir de frĂ©quenter l’universitĂ© dès ma tendre enfance. Un peu comme tout le monde, ils voulaient que leurs enfants fassent mieux qu’eux et aient plus de possibilitĂ©s qu’ils n’en avaient eux-mĂŞmes eues. Dans ma communautĂ© afro-nĂ©o-Ă©cossaise, de telles occasions ne se prĂ©sentaient pas facilement. Le droit n’Ă©tait pas mon premier choix, mais, après avoir terminĂ© deux diplĂ´mes de premier cycle, j’ai atterri Ă la facultĂ© de droit, oĂą j’Ă©tais la première Ă©tudiante noire. Pendant mon sĂ©jour Ă la facultĂ©, nous avons Ă©tĂ© trois Ă©lèves noirs, ce qui explique sans doute pourquoi le droit n’Ă©tait pas mon choix de prĂ©dilection. Heureusement, l’UniversitĂ© Dalhousie a lancĂ© en 1989 l’Initiative sur les Autochtones, les Noirs et les Mi’kmaq pour accroĂ®tre la reprĂ©sentation des Noirs et des Autochtones dans la profession juridique et ainsi rĂ©duire la discrimination.
Après quelques annĂ©es, le service des poursuites pĂ©nales de la Nouvelle-Écosse m’a embauchĂ©e. C’Ă©tait en 1989 et j’ai Ă©tĂ© la première procureure de la Couronne noire de la Nouvelle-Écosse. Cela ne serait pas arrivĂ© sans l’existence de certains Ă©vĂ©nements d’importance. Notamment, la Commission royale sur l’affaire Donald Marshall, fils, a publiĂ© en 1989 le « rapport Marshall », qui formulait des recommandations prĂ©conisant l’adoption de pratiques d’embauche Ă©quitables dans le système de justice pĂ©nale. J’ai Ă©tĂ© la première personne embauchĂ©e dans une tentative de passer de la parole aux actes.
En pensant Ă tout cela, alors que je vois la fin de ma carrière juridique poindre Ă l’horizon, je constate avec stupĂ©faction le nombre de changements qui se sont opĂ©rĂ©s au cours des 35 dernières annĂ©es. Au fil des ans, j’ai eu la chance de voir ma communautĂ© grandir dans les facultĂ©s de droit, la magistrature et le barreau. Les discussions sur l’Ă©quitĂ© et l’inclusion que nous avons de façon si ouverte aujourd’hui ont longtemps Ă©tĂ© inĂ©dites. Je n’aurais jamais prĂ©dit ces progrès. Aussi, je me rĂ©jouis tous les jours pour les voix magnifiques qui s’Ă©lèvent aujourd’hui afin que se poursuive cette aventure.
Lorsque j’ai prĂ©sentĂ© ma candidature Ă la magistrature, je l’ai fait parce que j’Ă©tais d’avis que nos institutions ne reflĂ©taient pas les collectivitĂ©s qu’elles desservaient. Le 15 janvier 2009, je suis devenue la troisième personne d’origine africaine nommĂ©e Ă la Cour provinciale et de la famille de la Nouvelle-Écosse (la juge Corrine Sparks et le juge Castor Williams m’ont prĂ©cĂ©dĂ©e) et la première Ă ĂŞtre nommĂ©e Ă Cape Breton (Sydney). J’offre du mentorat Ă des juristes de la Nouvelle-Écosse d’origine africaine qui souhaitent prĂ©senter leur candidature Ă la magistrature, je participe toujours Ă l’Initiative sur les Autochtones, les Noirs et les Mi’kmaq et j’apporte mon aide Ă des Ă©lèves plus jeunes de l’Ă©cole primaire. Je crois que, en effet, tout est possible.
J’ai Ă©galement dĂ» explorer un terrain oĂą se cĂ´toient la race, le genre et l’orientation sexuelle au cours de ma carrière. Je n’ai pas parlĂ© de mon homosexualitĂ©, car la lutte associĂ©e au fait d’ĂŞtre Noire me semble plus que suffisante. On considĂ©rait dĂ©jĂ Ă l’Ă©poque que je faisais partie des « autres » et l’ajout d’une couche me semblait insurmontable. Lorsque je me suis joint Ă l’Association internationale des juges LGBTQ+ et que j’ai assistĂ© Ă ma première confĂ©rence, j’ai senti que je faisais partie d’une communautĂ©. J’ai Ă©tĂ© accueilli Ă bras ouverts. Je suis administratrice au sein du comitĂ© de direction depuis quelques annĂ©es.
Puisque je pars Ă la retraite le mois prochain, j’ai beaucoup rĂ©flĂ©chi dernièrement. Ma carrière juridique n’a pas toujours Ă©tĂ© facile. Je n’ai pas toujours eu un sentiment d’appartenance. J’ai connu des journĂ©es difficiles. Toutefois, en dĂ©pit de ces pĂ©riodes Ă©prouvantes, je pense davantage aux bons moments, aux merveilleux amis et collègues que j’ai croisĂ©s en cours de route, aux changements positifs dont j’ai Ă©tĂ© tĂ©moin dans nos systèmes, et Ă l’espoir que je caresse de voir cette mouvance poursuivre sur sa lancĂ©e Ă mesure que nous continuons d’Ă©voluer.