L’honorable Freda M. Steel

L’honorable Freda M. SteelQUEL CHEMINEMENT VOUS A MENÉ AU MONDE DU DROIT ET À LA MAGISTRATURE?

J’ai tout d’abord été attirée vers la sociologie en raison de ma fascination pour la personnalité et les dynamiques sociales. Toutefois, mon frère, juriste, m’a convaincue que des études en droit me seraient beaucoup plus utiles qu’une maîtrise ou un doctorat. À l’époque – dans les années 1970 – à mes yeux, les juristes types étaient ces hommes en costume trois-pièces exerçant en droit des sociétés. Rien pour m’intéresser. Mais mon frère, très malin, a attiré mon attention sur des personnalités comme Ralph Nader et son groupe Nader's Raiders, qui ont défendu les droits des consommateurs face à de grandes sociétés, montrant ainsi que le droit pouvait servir à aider les gens. Inspirée par cette vision des choses, j’ai passé le Law School Admission Test (LSAT), suis entrée à l’école de droit, et j’ai eu le coup de foudre pour ce domaine dès mon premier cours.

Jamais je n’aurais imaginé devenir juge : être avocate était déjà tout un accomplissement à mes yeux. Par la suite, je suis devenue professeure de droit. J’ai décroché une maîtrise, et j’étais très heureuse. Au début des années 1990, le procureur général et ministre de la Justice du Manitoba a annoncé son intention de nommer des femmes juges, mais il n’y avait pas d’avocates qualifiées. Cette annonce fut le coup d’envoi d’un branle-bas collectif où les organismes de défense des femmes exhortaient les avocates de plus de dix ans d’expérience, dont je faisais partie, à présenter leur candidature. Je n’ai jamais réellement cru que je serais choisie. L’idée était d’inonder le bureau du procureur général de candidatures féminines, et c’est pourquoi j’ai présenté la mienne, qui a été retenue. Et voilà où je me suis rendue, 29 ans plus tard. Je me sens très privilégiée et chanceuse, mais je n’en serais pas là aujourd’hui sans l’appui de tous ces organismes de défense des femmes.

Faisant partie des premières femmes à fréquenter l’école de droit, il m’est arrivé dans bien des situations d’être la seule femme présente. Aujourd’hui, quand j’entre dans une salle d’audience, deux autres femmes siègent avec moi au jury du tribunal d’appel, et bien souvent, il n’y a que des femmes dans la salle. C’est toute une transformation qui s’est opérée de mon vivant. Même s’il reste bien du chemin à faire, il faut reconnaître les avancées, et prendre conscience que le changement n’a commencé que lorsque des femmes se sont retroussé les manches et ont accédé à des postes de pouvoir. C’est alors que nous avons fait changer les lois sur les biens matrimoniaux, ainsi que la définition du concept de viol. Ce n’est qu’au moment où nous avons décidé d’agir que les choses ont changé. Quand des femmes décrochent des postes de pouvoir, la cause féminine y gagne au change : c’est la voie à suivre.

QUELLE EXPÉRIENCE DE VOTRE CARRIÈRE JURIDIQUE VOUS A LE MIEUX PRÉPARÉ À VOTRE TRAVAIL AU SEIN DE LA MAGISTRATURE?

D’abord, je suis la fille d’une femme très forte, et de parents qui ont survécu à l’Holocauste. Ma mère, aujourd’hui décédée, avait arrêté l’école après sa 9e année, mais elle était une force de la nature. Elle m’a inculqué la résilience et l’indépendance.

Ce qui m’a le plus enrichie dans mon éducation, c’est le temps passé, durant mon enfance, dans l’arrière-boutique de l’épicerie de mes parents, dans la partie nord de Winnipeg. J’y ai vu des gens de tous acabits. J’ai été témoin de pauvreté et de problèmes de dépendance, mais aussi d’initiatives communautaires pour les enrayer. En étant chaque jour aux premières loges de ces problématiques, j’ai acquis un précieux éclairage sur les complexités que j’allais rencontrer dans la salle d’audience.

QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX JURISTES QUI COMPARAISSENT DEVANT VOUS?

Essayez de faciliter la vie au juge. Parfois, il a devant lui un problème très épineux, et doit choisir entre deux options. Si l’avocat ou l’avocate arrive à trouver une autre voie de passage, une solution qui résout le problème du juge, alors ce dernier pourrait très bien l’adopter. Je suis consciente que de plus en plus de tribunaux procèdent par mémoires, mais je suis une ardente défenseuse de l’art de plaider. Souvent, je lis les mémoires en me disant que je vais trancher ou envisager l’affaire de telle ou telle manière. Or, il arrive qu’un brillant avocat ou qu’une brillante avocate présente la problématique sous un angle auquel je n’avais pas pensé, et me pousse à revoir ma vision des choses.

L’approche change aussi selon qu’on se présente devant un tribunal d’appel ou un tribunal de première instance. Au tribunal d’appel, nul besoin de me présenter de nouveau les faits : j’en ai déjà pris connaissance. Donc, évitez de me décrire en long et en large toutes les questions ou les motifs d’appel. Concentrez-vous plutôt sur vos arguments les plus solides. Faites preuve de respect, mais aussi d’assurance, et relevez les éléments posant problème. Aidez le juge ou la juge à trouver une solution concordant avec le résultat que vous visez.

QUE SOUHAITEZ-VOUS QUE LE PUBLIC SACHE AU SUJET DU SYSTÈME DE JUSTICE?

Les problèmes auxquels nous faisons face découlent d’enjeux sociaux complexes, et il faut nuancer nos approches. L’adoption de lois ne devrait pas être la première option. De même, le système judiciaire devrait être le dernier recours. Avant de se lancer dans une poursuite, il faut explorer d’autres avenues, comme la médiation, le droit collaboratif et l’arbitrage. Bien entendu, dans certains cas, il faut recourir à la justice. Bien sûr, parfois les gens ont besoin de solutions judiciaires, mais ce devrait être le dernier recours, et non le premier.