L’honorable Esther Rosenberg
QUEL CHEMINEMENT VOUS A MENÉ AU MONDE DU DROIT ET À LA MAGISTRATURE?
Je n’ai jamais imaginé être avocate, et encore moins être juge. J’ai grandi à North Bay et j’ai acquis de précieuses compétences de vie dans l’entreprise de vêtements de ma famille. Avide de vivre dans une grande ville, je suis partie de la maison à 17 ans pour étudier à l’Université de Toronto où j’ai fait des majeurs en anglais et en sociologie. Après mes études de premier cycle, j’ai travaillé pendant de nombreuses années chez QL Systems (maintenant LexisNexis Quicklaw) à Kingston. Mes compétences comme correctrice d’épreuves m’ont plus tard valu le surnom Draft Queen, sobriquet qu’utilisaient tous les assistants travaillant pour moi. Pendant cette période, j’ai sérieusement envisagé d’aller à l’école de coiffure, me souvenant des belles années d’école secondaire où je coupais les cheveux de toutes mes amies. Alors que je travaillais, j’ai suivi des cours de sociologie du droit à la faculté de sociologie de l’Université Queen’s. C’est à cette époque que j’ai développé une passion pour le droit. J’étais alors déchirée entre poursuivre mes études à l’université ou fréquenter la faculté de droit. Ayant la possibilité d’aller à la faculté de droit ou faire des études supérieures, je me suis dit qu’un diplôme en droit serait utile dans ma future carrière de professeur de sociologie du droit, alors j’ai opté pour la faculté de droit de l’Université Queen’s. J’étais convaincue que je reviendrais vers le milieu universitaire. J’avais tort. Le premier indice a été ma décision de faire un stage. Après mon stage dans un grand cabinet de juristes du centre-ville de Toronto, je me suis établie dans une ville beaucoup plus petite, Oshawa, en Ontario. J’étais alors la seule avocate à travailler dans un cabinet traditionnel où tous les employés étaient des hommes. Je m’attendais à ne jamais pratiquer le droit pénal et j’avais la certitude d’être destinée au droit immobilier. Lors de mon premier jour de travail, on m’a dit de lire la récente décision de l’affaire Askov et de me préparer à me rendre au tribunal. Pendant les huit années où j’ai travaillé dans ce cabinet en tant qu’avocate généraliste, je suis tombée amoureuse du droit pénal. Lorsque j’ai finalement ouvert mon propre cabinet à Whitby avec une amie de la faculté de droit de Queen’s, j’ai rapidement orienté ma pratique vers ma passion : le droit pénal. Il y avait alors très peu de femmes qui étaient des avocates de la défense. Le développement de mes compétences dans un monde dominé par les hommes m’a demandé beaucoup de patience et une touche de courage, mais, en fin de compte, j’étais fière de ce que j’accomplissais. Après de nombreuses années de pratique, un avocat principal m’a suggéré de présenter ma candidature à la magistrature. C’est grâce à lui que cette possibilité a germé dans mon esprit, bien qu’il ait fallu un certain temps avant que je ne me décide à présenter une demande. Après vingt ans de pratique, j’étais fière d’être une femme qui occupait un poste privilégié. J’espère rendre justice à ce rôle chaque fois que je me présente dans une salle d’audience.
QUELLE EXPÉRIENCE DE VOTRE CARRIÈRE JURIDIQUE VOUS A LE MIEUX PRÉPARÉ À VOTRE TRAVAIL AU SEIN DE LA MAGISTRATURE?
Travailler avec des gens. Cela m’a aidé à comprendre que tout le monde a une expérience unique et a une histoire à raconter, et j’ai aussi compris que mon travail est intrinsèquement humain. Tout cela a fait de moi une meilleure juriste.
QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX JURISTES QUI COMPARAISSENT DEVANT VOUS?
Préparation, préparation, préparation. Il s’agit de l’aspect le plus important du travail de représentation. Bien que les avocats et avocates soient confrontés à beaucoup de pression, professionnellement et personnellement, le meilleur conseil que je pourrais donner est de « connaître votre cause et votre client ». En plus d’exercer une incidence sur la représentation de votre client, vous gagnerez le respect du tribunal. Croyez-moi, les juges savent quand une personne est bien préparée. Si vous demandez pour la première fois à votre client son âge et son état matrimonial en vous tenant à ses côtés pendant la détermination de la peine, il sera évident que vous n’avez pas passé beaucoup de temps avec lui. Faites preuve de civisme et de respect envers tout le monde, qu’il s’agisse de juges ou juges de paix, de juristes, de clients, de témoins, d’employés de la cour ou de toute autre personne. Quelles que soient les circonstances, vous pouvez exprimer votre point de vue sans mauvais ton, sans langage incendiaire et sans langage corporel dénotant de la frustration. En fait, vous pourriez nuire à votre argument, peu importe la mesure dans laquelle il est valide. Enfin, ne sous-estimez pas la valeur des plaidoiries. Souvent, les juristes supposent que le juge, qui vient d’entendre la preuve et qui connaît le droit, va « prendre la bonne décision ». Bien que les plaidoiries ne changent pas toujours le résultat, prenez quelques minutes pour rassembler vos idées et pour réparer une plaidoirie significative, pointue et succincte. Aussi, évitez de recourir à des preuves erronées.
QUE SOUHAITEZ-VOUS QUE LE PUBLIC SACHE AU SUJET DU SYSTÈME DE JUSTICE?
J’aimerais que le public sache que nous faisons de notre mieux et que le volume des causes, la complexité des affaires et la logistique de certains lieux judiciaires sont des facteurs qui exercent une influence sur le travail quotidien des tribunaux. J’aimerais aussi que le public connaisse mieux le réel fonctionnement de notre système. Il arrive couramment que leur seule source d’information provienne de causes sensationnelles qui font les manchettes ou de contenu partagé dans des médias sociaux, qui sont souvent inexacts ou qui ne présentent qu’un côté de la médaille.