Quel a été votre cheminement vers le droit et la magistrature?
Mon parcours a Ă©tĂ© Ă la fois dĂ©libĂ©rĂ© et accidentel. J’Ă©tais une enfant tranquille qui aimait autant l’Ă©criture crĂ©ative que les sciences, et j’Ă©tais timide, mais Ă l’aise pour parler en public. Mes parents et mes sĹ“urs aĂ®nĂ©es ont dĂ» relever de nombreux dĂ©fis en tant qu’immigrants au Canada dans la pĂ©riode qui a suivi l’exclusion, lorsque la Loi sur l’immigration chinoise de 1923 (connue sous le nom de Loi sur l’exclusion des Chinois) a Ă©tĂ© abrogĂ©e, mais que bon nombre de ses effets ont perdurĂ©. Ils ont laissĂ© derrière eux une vie encore plus difficile en Chine et, une fois au Canada, ils se sont permis d’espĂ©rer que notre famille puisse commencer Ă prospĂ©rer. Lorsque j’ai dit Ă mes parents que j’Ă©tais dĂ©chirĂ©e entre mon dĂ©sir de devenir technologue de laboratoire mĂ©dical (comme mes sĹ“urs aĂ®nĂ©es) et celui de devenir avocate, ils m’ont exhortĂ©e Ă choisir la première option. Ils s’inquiĂ©taient de la nature conflictuelle du droit et de la perspective de ma "solitude" en tant que femme d’origine chinoise nĂ©e au Canada et exerçant une profession Ă prĂ©dominance blanche. Leurs craintes sont devenues les miennes et j’ai choisi la science de laboratoire mĂ©dical.
J’ai trouvĂ© le travail dans le domaine de la santĂ© gratifiant, mais j’ai regrettĂ© d’avoir choisi la voie la plus sĂ»re. J’ai fait demande Ă la facultĂ© de droit, laissant derrière moi la maison et les attentes culturelles traditionnelles pour aller Ă l’UniversitĂ© de Victoria. Mes choix dĂ©libĂ©rĂ©s et accidentels ont continuĂ©. Je pensais vouloir devenir conseillère juridique et j’ai Ă©tĂ© surprise de dĂ©couvrir que j’avais une affinitĂ© pour le litige. Je pensais passer ma carrière juridique Ă Edmonton, mais je suis tombĂ©e amoureuse de la cĂ´te ouest. J’avais l’intention de rester dans le secteur privĂ©, mais j’ai dĂ©couvert que ma place Ă©tait dans la fonction publique. J’Ă©tais persuadĂ©e que je ne travaillerais jamais dans le domaine du droit fiscal, mais en fait, j’ai trouvĂ© ce domaine enrichissant et intĂ©ressant. C’Ă©tait tellement intĂ©ressant et satisfaisant que j’ai passĂ© 19 annĂ©es ininterrompues Ă travailler comme avocate spĂ©cialisĂ©e dans le contentieux fiscal pour la Couronne fĂ©dĂ©rale avant de passer au contentieux civil gĂ©nĂ©ral.
Mes responsabilitĂ©s de gestion ont augmentĂ© et lorsque j’ai atteint le niveau de directrice rĂ©gionale et avocate gĂ©nĂ©rale au ministère de la Justice, j’ai de nouveau pris conscience de ma solitude en tant que femme d’origine chinoise et personne de couleur aux Ă©chelons supĂ©rieurs. J’ai rĂ©flĂ©chi au fait qu’Ă mesure que je progressais dans ma carrière, je n’avais jamais eu de modèles professionnels qui me ressemblaient. Je me suis inconsciemment adaptĂ©e Ă cette absence en trouvant des modèles pour des qualitĂ©s spĂ©cifiques, c’est-Ă -dire un bon professeur, un bon Ă©crivain, un orateur persuasif, un communicateur honnĂŞte, un cĹ“ur empathique, un dĂ©cideur juste, un esprit progressiste. Ă€ part l’exemple d’un cĹ“ur empathique trouvĂ© chez ma mère, mes modèles Ă©taient blancs.
Après y avoir rĂ©flĂ©chi, j’ai dĂ©cidĂ© de faire une chose inattendue et de demander une nomination Ă la Cour canadienne de l’impĂ´t. Je crois qu’en 2018, j’Ă©tais la première femme asiatique nommĂ©e dans le système fĂ©dĂ©ral des tribunaux de l’article 101. Très peu de temps avant la pandĂ©mie mondiale, j’ai partagĂ© un repas avec deux amis, dont l’un est sud-asiatique et l’autre noir. Pendant que nous Ă©tions lĂ , je me suis demandĂ© si un Ă©tranger nous voyant dans un restaurant situĂ© en face d’un palais de justice penserait que nous Ă©tions trois juges. J’espère pouvoir contribuer Ă changer la rĂ©ponse.
Quelle expérience de votre carrière juridique vous a le mieux préparée à la magistrature?
Je dirais que ce sont deux expĂ©riences Ă parts Ă©gales : (1) mes premières annĂ©es au ministère de la Justice oĂą j’ai traitĂ© de nombreux dossiers fiscaux de faible valeur monĂ©taire, et (2) mes dernières annĂ©es au ministère de la Justice oĂą j’ai gĂ©rĂ© le litige d’affaires très mĂ©diatisĂ©es, dont aucune n’Ă©tait de nature fiscale. La première expĂ©rience m’a donnĂ© beaucoup de temps dans la salle d’audience et m’a permis d’acquĂ©rir des compĂ©tences en matière de litige sur des dossiers Ă faible risque. Plus important encore, j’ai passĂ© beaucoup de temps avec des particuliers qui se reprĂ©sentaient eux-mĂŞmes et cela me rappelait rĂ©gulièrement que chaque petit dossier signifie tout pour quelqu’un. Avec ces personnes, j’ai travaillĂ© sur des compĂ©tences gĂ©nĂ©rales telles que l’Ă©coute attentive, le langage simple et la prise en compte de l’aspect humain du droit. La deuxième expĂ©rience m’a permis de m’Ă©loigner de l’examen des dossiers du point de vue d’une partie individuelle et de m’exercer Ă regarder la situation dans son ensemble pour prendre en compte des Ă©lĂ©ments importants tels que les consĂ©quences plus larges, les impacts sur les politiques et les ressources. J’ai continuĂ© Ă travailler sur l’Ă©coute attentive, le langage simple et la prise en compte de l’aspect humain du droit.
J’ai constatĂ© que ces expĂ©riences micro et macro sont d’une valeur inestimable sur le banc.
Quels conseils avez-vous pour les avocats qui comparaissent devant vous?
Souvenez-vous de vos rĂ´les dans la salle d’audience. Vous ĂŞtes un dĂ©fenseur, un officier de justice et un ambassadeur de votre profession. Cela signifie que vous devez vous acquitter de toutes vos responsabilitĂ©s au plus haut niveau possible Ă chaque occasion. Cela signifie que vous les exercez avec honneur, dignitĂ© et respect pour votre client, l’avocat adverse et la cour. Ceux-ci sont vos repères.
Plus prĂ©cisĂ©ment, je dirais que l’avocat doit ĂŞtre prĂŞt Ă raconter au juge une histoire Ă travers la preuve. Ă€ la fin de l’audience, je devrais avoir une bonne idĂ©e des Ă©vĂ©nements qui se sont dĂ©roulĂ©s et de la façon dont vous proposez que je les interprète. Vous devez ĂŞtre prĂŞt Ă rĂ©pondre aux questions tout au long de l’audience et ne pas ĂŞtre trop attachĂ© Ă un script que vous auriez Ă©crit Ă l’avance. Vous devez Ă©galement faire de votre mieux pour anticiper les imprĂ©vus. Enfin, vous devez connaĂ®tre les règles de la cour dans laquelle vous comparaissez, car il peut y avoir des diffĂ©rences subtiles mais importantes.
Que souhaiteriez-vous que le public sache au sujet du système de justice?
J’aimerais que le public sache que le système est rempli de personnes dont le but premier est de veiller Ă ce que justice soit faite. Cependant, il s’agit d’un système et les personnes qui le composent ont des rĂ´les et des responsabilitĂ©s qui ne s’alignent pas toujours favorablement Ă une partie ou Ă une autre. Ils doivent pouvoir fonctionner sans ĂŞtre influencĂ©s par des prĂ©jugĂ©s ou des influences indues, et c’est lĂ le cĹ“ur d’un système judiciaire dans un pays dĂ©mocratique.
Lorsqu’une personne se trouve impliquĂ©e dans le système judiciaire en tant que partie ou tĂ©moin, j’espère qu’elle investira l’Ă©nergie nĂ©cessaire pour prĂ©senter sa cause aussi efficacement que possible ou pour tĂ©moigner aussi clairement que possible. Le système judiciaire fonctionne le mieux lorsque tout le monde s’engage Ă ce qu’il fonctionne aussi bien que possible.