Le Forum des avocates de l’Association du Barreau canadien (ABC) a de quoi cĂ©lĂ©brer cette JournĂ©e internationale des femmes. La nomination de l’honorable Mary T. Moreau Ă la Cour suprĂŞme du Canada le 6 novembre 2023 a marquĂ© une Ă©tape importante dans l’histoire de notre pays : c’est la première fois que la plus haute cour au Canada compte une majoritĂ© de femmes juges en son sein, dont quatre sont prĂ©sentĂ©es dans la galerie en ligne Madame la juge du Forum des avocates.
En outre, le 8 fĂ©vrier 2024, les membres de l’ABC ont adoptĂ© une rĂ©solution importante proposĂ©e par le Forum des avocates concernant les droits Ă l’avortement au Canada. Avec cette rĂ©solution, l’ABC s’est officiellement engagĂ©e Ă s’opposer Ă tout effort visant Ă restreindre les droits et l’accès Ă l’avortement au Canada, et s’est engagĂ©e Ă travailler avec les gouvernements et les autres intervenants pour Ă©tendre l’accès Ă l’avortement Ă travers le pays.
Cependant, comme l’a soulignĂ© Alexia Korberg dans son discours d’ouverture lors de la ConfĂ©rence du Forum des avocates de l’ABC en novembre 2023, et comme le montre la dĂ©cision de la Cour suprĂŞme des États-Unis dans l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, No. 19-1392, 597 U.S. 215 (2022), oĂą la Cour a statuĂ© que la Constitution amĂ©ricaine ne confère pas un droit Ă l’avortement, le statu quo, notamment en ce qui concerne les droits des femmes, n’est pas garanti.
Le 14 novembre 2023, le Forum des femmes juristes de la Division du QuĂ©bec a rĂ©uni la Dre Geneviève Bois, professeure adjointe de clinique Ă la FacultĂ© de mĂ©decine, dĂ©partement de mĂ©decine de famille et de mĂ©decine d’urgence de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, la professeure Louise Langevin, Ad E., de la FacultĂ© de droit de l’UniversitĂ© Laval, et Me Françoise Girard, directrice gĂ©nĂ©rale de Feminism Makes us Smarter (« FĂ©ministes et futĂ©.e.s ») (FMUS.org), pour une discussion franche sur l’Ă©tat de la situation des droits Ă l’avortement et d’autres droits en matière de reproduction au QuĂ©bec et au Canada. Le programme a Ă©tĂ© animĂ© par Me AndrĂ©e-Anne LabbĂ©, membre du comitĂ© exĂ©cutif du Forum des femmes juristes de la Division du QuĂ©bec.
Me Girard a soulignĂ© que l’arrĂŞt Dobbs est extrĂŞmement prĂ©occupant, avec des implications graves qui se font ressentir au-delĂ des droits Ă l’avortement. Elle a ouvert la voie aux États de promulguer des lois restrictives et a dĂ©jĂ entraĂ®nĂ© des changements significatifs. Me Girard a mis en exergue le fait que quinze États avaient soit totalement interdit l’avortement, soit imposĂ© des restrictions dès les six premières semaines de grossesse, ce qui affecte de manière disproportionnĂ©e des millions de personnes contraintes de parcourir de longues distances pour accĂ©der aux services d’avortement. Elle a Ă©galement abordĂ© la manière dont ces lois ciblent les prestataires de soins de santĂ© en imposant des sanctions sĂ©vères, allant jusqu’Ă la perte de licences professionnelles. Me Girard a condamnĂ© l’utilisation de dispositions sur les chasseurs de primes dans certains États qui encouragent les citoyens et citoyennes Ă signaler les prestataires de services d’avortement suspects en offrant des rĂ©compenses financières, soulignant que de telles lois sapent non seulement les droits en matière de reproduction, mais Ă©galement la cohĂ©sion sociale en encourageant la surveillance et l’interfĂ©rence avec le droit Ă la vie privĂ©e.
En ce qui concerne l’accès Ă la pilule abortive, la Dre Bois a soulignĂ© que les pilules abortives gagnent en popularitĂ©, notamment aux États-Unis après l’arrĂŞt Dobbs, oĂą elles reprĂ©sentent aujourd’hui 55 % des avortements. Les consultations en tĂ©lĂ©mĂ©decine et les options de livraison discrète ont Ă©galement aidĂ© Ă contourner les mesures restrictives et Ă offrir une bouĂ©e de sauvetage aux personnes confrontĂ©es Ă des obstacles aux soins en personne. La Dre Bois a ajoutĂ© que certains États, comme le New York, ont promulguĂ© une loi pour protĂ©ger les droits Ă l’avortement et garantir la sĂ©curitĂ© des prestataires de soins de santĂ© dans le pays et de ceux fournissant des services de tĂ©lĂ©mĂ©decine Ă partir d’autres endroits.
En ce qui concerne le Canada, la professeure Langevin a soulignĂ© qu’il n’y a actuellement aucune loi criminalisant l’avortement, grâce Ă plusieurs dĂ©cisions de la Cour suprĂŞme du Canada, qui ont Ă©tabli l’autonomie reproductive comme un droit protĂ©gĂ©, notamment dans l’affaire Tremblay c. Daigle, [1989] 2 RCS 530. Bien qu’une intervention lĂ©gislative soit thĂ©oriquement possible, la professeure Langevin a insistĂ© sur le fait que l’absence de telles lois est ce qui a rĂ©ellement prĂ©servĂ© les droits Ă l’avortement au Canada, renforçant ainsi l’idĂ©e que « toute loi sur l’avortement est une mauvaise loi ».
Le dĂ©pĂ´t rĂ©cent au parlement du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance-mĂ©dicaments par l’honorable Mark Holland, ministre de la SantĂ©, constitue une avancĂ©e majeure dans l’amĂ©lioration de l’accès Ă la contraception au Canada. Le projet de loi vise Ă offrir une couverture universelle pour une gamme de mĂ©dicaments et de dispositifs de contraception et de traitement du diabète afin de contribuer Ă surmonter les obstacles financiers qui affectent de manière disproportionnĂ©e les femmes et les personnes de diverses identitĂ©s de genres. Bien que nous accueillions chaleureusement et cĂ©lĂ©brions cette avancĂ©e monumentale, la situation aux États-Unis nous sert de rappel brutal que la vigilance demeure essentielle pour la protection des droits des femmes.
Angela Ogang est une avocate bilingue, membre du Barreau de l’Ontario et du Barreau du Kenya.