Daphne E. Dumont, C.M., c.r., est la laurĂ©ate du prix Cecilia-I.-Johnstone 2019, qui sera remis lors du dĂ©jeuner d’honneur Cecilia Johnstone le 19 octobre prochain, deuxième jour de la ConfĂ©rence sur le leadership pour professionnelles. Me Dumont fut l’une des premières avocates de l’ĂŽle-du-Prince-Édouard, la première prĂ©sidente de la Division de l’ĂŽle-du-Prince-Édouard de l’Association du Barreau canadien (ABC), et prĂ©sidente de l’ABC en 2000-2001.
Qu’est-ce qui vous a menĂ© Ă pratiquer le droit?
L’aspect thĂ©orique du droit m’attirait davantage. J’Ă©tudiais en philosophie et en histoire Ă l’UniversitĂ© Queen’s et n’avais aucun plan d’avenir concret – Ă part peut-ĂŞtre une vague ambition d’enseigner l’histoire. Dans le cadre du programme de philosophie, j’ai suivi quelques cours de jurisprudence Ă la facultĂ© de droit. C’est lĂ que la thĂ©orie juridique et l’Ă©tude des questions de justice ont vivement piquĂ© mon intĂ©rĂŞt. En plus, j’ai des avocats dans ma famille. Alors, en troisième annĂ©e, j’ai dĂ©cidĂ© de tenter le test d’admission Ă la facultĂ© de droit, juste pour voir. Je l’ai passĂ© haut la main, j’ai dĂ©posĂ© une demande d’admission… et je ne l’ai jamais regrettĂ©.
Comment décririez-vous votre expérience comme femme dans le domaine du droit? Comment les choses ont-elles évolué depuis le début de votre carrière, et que reste-t-il à faire?
Dans l’ensemble, malgrĂ© quelques dĂ©sagrĂ©ments mineurs, mais quand mĂŞme bien sentis, mon expĂ©rience comme femme en droit a Ă©tĂ© très positive. J’ai commencĂ© Ă pratiquer et Ă dĂ©fendre les droits des femmes Ă une Ă©poque oĂą les inĂ©galitĂ©s Ă©taient criantes, alors mes frustrations provenaient davantage de mes dossiers que de mon parcours professionnel. J’Ă©tais seulement la quatrième femme reçue au Barreau Ă l’ĂŽle-du-Prince-Édouard, et nous Ă©tions un petit groupe serrĂ©. Peut-ĂŞtre est-ce justement parce que nous Ă©tions si peu nombreuses que j’ai trouvĂ© l’environnement très accueillant pendant mes Ă©tudes. Les choses ont changĂ© dans les annĂ©es 1980 avec l’augmentation du nombre d’Ă©tudiantes, que certains percevaient alors comme une menace potentielle.
Outre ma pratique, je me suis engagĂ©e auprès du Fonds d’action et d’Ă©ducation juridiques pour les femmes, de l’Association nationale Femmes et Droit et de l’ABC; ce furent pour moi de vĂ©ritables expĂ©riences de type « On va changer le monde ». L’adoption de la Charte nous a donnĂ© beaucoup de nouveaux outils, et c’est devenu encore plus exaltant. Et les femmes que j’ai eu la chance de croiser et avec lesquelles j’ai travaillĂ©, elles Ă©taient extraordinaires!
Avec le recul, je dirais que mon parcours a eu ses moments de difficultĂ©s et de solitude. Peut-ĂŞtre mon statut d’avocate fĂ©ministe spĂ©cialisĂ©e en divorce explique-t-il en partie que je ne me sois jamais mariĂ©e – mais je suis vraiment heureuse dans le cĂ©libat.
Le plus gros changement auquel j’ai assistĂ© est l’explosion du nombre de mes collègues femmes. Il y a plus de femmes au barreau, Ă la magistrature et Ĺ“uvrant pour des organisations comme les barreaux ou l’ABC. Il y a des jurĂ©es et des procureures, ce qu’on ne voyait pas au dĂ©but de ma carrière. C’est maintenant tout Ă fait normal de voir des femmes devenir avocates, et je dois dire qu’elles portent leurs toges avec panache. Je n’ai pas vu d’Ă©checs.
Mais il reste quand mĂŞme du travail Ă accomplir. De jeunes avocates me disent qu’elles sont encore confrontĂ©es Ă des stĂ©rĂ©otypes dĂ©passĂ©s dans la gestion quotidienne des cabinets. Les activitĂ©s de « mĂ©nagères », comme la planification d’Ă©vĂ©nements, continuent Ă incomber principalement aux femmes. Maintenant qu’elles ont accès aux comitĂ©s, ce sont souvent elles qui se trouvent Ă faire la plus grosse part du travail.
L’une des principales difficultĂ©s pour les femmes en droit reste la conciliation famille-travail. Souvent, les grossesses tombent en mĂŞme temps que les occasions de devenir associĂ©e, alors les femmes sont nombreuses Ă quitter la pratique privĂ©e pour travailler au gouvernement, oĂą les possibilitĂ©s de prendre congĂ© sont meilleures. Bien que les choses commencent lentement Ă changer, les hommes sont encore rĂ©ticents Ă se prĂ©valoir du congĂ© parental, et ce sont les femmes qui Ă©copent.
MĂŞme s’il Ă©volue, le droit de la famille (mon domaine de pratique) est encore un peu Ă part. On continue Ă percevoir les questions liĂ©es Ă la famille comme Ă©tant moins importantes que bien d’autres, alors mĂŞme qu’il faut des habiletĂ©s très pointues pour rĂ©ussir Ă nĂ©gocier des solutions pour des parties qui sont encore en relation. C’est un travail très difficile, qui n’est pas reconnu Ă sa juste valeur.
Quel conseil donneriez-vous Ă la jeune femme que vous Ă©tiez?
- Ne t’en mets pas tant sur les Ă©paules. Concentre-toi sur les très, très nombreuses choses que tu as accomplies plutĂ´t que sur les quelques-unes que tu n’as pas faites.
- Sois plus exigeante sur le plan financier. Estime mieux la valeur de ton travail. Souvent, je m’en demandais trop et me rĂ©compensais trop peu.
- Voyage, prends des vacances et profite de la vie – ne fais pas que travailler. Trouve-toi un siège Ă un comitĂ© qui te fera voir du pays.
- Ne tourne pas le dos aux occasions qui s’offrent Ă toi. N’aie pas peur. Fonce.
Dites-nous une chose sur vous que la plupart des gens ne savent pas.
Je peux vous en dire trois.
- En fait, je n’ai vraiment, VRAIMENT aucune envie d’ĂŞtre juge.
- Il y a des choses pour lesquelles notre profession exige de la confiance, mais qui me rendent parfois très nerveuse.
- J’ai une conscience presbytĂ©rienne que de bons amis ont baptisĂ©e « Zelda ». Elle a de très hautes attentes, me dit que je ne suis jamais tout Ă fait assez bonne. MĂŞme si j’aurai toujours une petite voix critique au fond de moi, le fait de recevoir un hommage si important me permet d’Ă©loigner Zelda pour un bon moment et de goĂ»ter pleinement ce que j’ai accompli.