Note : Cet article a d’abord Ă©tĂ© publiĂ© (en anglais) dans Supreme Advocacy, le 16 mai 2019. Il est Ă nouveau publiĂ© avec l’autorisation de l’auteure. Cette version a Ă©tĂ© lĂ©gèrement modifiĂ©e pour en rĂ©duire la longueur.
LĂ oĂą il y a de grands obstacles, il y a souvent de grandes possibilitĂ©s. Dans FAIRLY EQUAL: Lawyering the Feminist Revolution, Linda Silver Dranoff raconte une histoire vivante couvrant quatre dĂ©cennies qui traite aussi bien de son vĂ©cu que de la typique course Ă obstacles canadienne. Elle a donc choisi d’Ă©crire des mĂ©moires personnelles, non pas Ă titre de simple tĂ©moin, mais en tant que « participante consciente », comme le mentionne Ursula Franklin dans l’avant-propos. Le livre commence Ă une Ă©poque de restrictions, oĂą l’on attendait des femmes qu’elles se contentent de leur rĂ´le d’Ă©pouse et de mère. C’est son père qui l’a encouragĂ©e Ă ne pas attendre. Ainsi, Ă vingt-neuf ans, divorcĂ©e et mère monoparentale, Mme Dranoff est entrĂ©e Ă la facultĂ© de droit. Le processus de stage s’est avĂ©rĂ© une expĂ©rience Ă©prouvante Ă partir du moment oĂą l’associĂ© principal du cabinet oĂą elle Ă©tait stagiaire l’a licenciĂ©e parce qu’il ne pouvait supporter qu’on lui rappelle constamment son manque de prĂ©paration et son inaptitude en cour. Toutefois, Ă l’instar d’autres expĂ©riences oĂą elle a Ă©tĂ© exclue, cela lui a permis de constater qu’exercer le droit seule en cabinet privĂ© est la meilleure façon de pratiquer le droit, soit, sans patron, oĂą personne ne se met en travers de votre chemin Ă mesure que vous gravissez les Ă©chelons. Elle a pris sa vie et son parcours juridique en main. « N’attendez pas une permission » est l’une des leçons Ă tirer de ce livre.
Il n’est pas Ă©tonnant qu’il ait fallu Ă Mme Dranoff dix ans pour pondre cet ouvrage. Il est dense, il regorge d’exemples sur la course Ă obstacles et il dĂ©crit les aptitudes requises pour surmonter ce dĂ©fi, ce qui est presque impossible Ă synthĂ©tiser ou Ă passer en revue.
Ainsi, pour ĂŞtre juste avec FAIRLY EQUAL, voici quelques exemples de ce qui m’a le plus interpellĂ©e. Linda Silver Dranoff dĂ©crit les attitudes envers les femmes qui ont tout au long de l’histoire minĂ© la nouvelle Loi portant rĂ©forme du droit de la famille, dont l’objectif Ă©tait l’atteinte de l’Ă©quitĂ© pour les femmes. Elle prĂ©sente la façon dont les juges ont exercĂ© leur pouvoir d’interprĂ©tation discrĂ©tionnaire pour ignorer l’intention apparente, soit la contribution Ă©gale des hommes et des femmes au mariage, et pour favoriser une notion hĂ©rĂ©ditaire selon laquelle les biens d’un homme lui appartiennent en propre et n’ont pas Ă ĂŞtre partagĂ©es. Elle a agi comme avocate dans l’affaire Leatherdale c. Leatherdale [1982 2 RCS 743, 30 R.F.L. (2d) 225 (CSC); (1980, 31 O.R. (2d) 141, (1980), 19 R.F.L. (2d) 148 (Ont. C.A.); (1980) 14 R.F.L. (2d) 263 (HC)], dans le cadre de laquelle le plus haut tribunal de notre pays avait une occasion unique de changer la vie de Mme Leatherdale et d’autres femmes, mais oĂą il a plutĂ´t choisi de lui accorder un quart des biens en se fondant sur une notion de somme, en conformitĂ© avec la « contribution », alors qu’aujourd’hui, elle aurait eu droit Ă la moitiĂ© des biens. Mme Dranoff rappelle son intervention controversĂ©e Ă la Cour suprĂŞme du Canada, et affirme que « les juges ont leurs propres perceptions et opinions, et le pouvoir de les mettre en Ĺ“uvre; ils examinent les faits d’une manière qui fait valoir leur point de vue et dĂ©montre ce qu’ils veulent prouver. » Ce commentaire fait allusion Ă la conception erronĂ©e du juge en chef de l’Ă©poque, Bora Laskin, Ă l’Ă©gard de l’argument qu’elle prĂ©sentait.
Tout cela m’a d’abord dĂ©couragĂ©e. Je me suis ensuite sentie ragaillardie lors de la lecture du passage oĂą Mme Dranoff et d’autres juristes dĂ©fendent leur position, ne lâchent pas prise et font en sorte que la loi soit modifiĂ©e Ă nouveau pour intĂ©grer de façon plus manifeste le concept de l’Ă©galitĂ©.
Les descriptions de certaines des pires affaires avec lesquelles Mme Dranoff a dĂ» composer, comme des conjoints nantis qui utilisent des juristes et des comptables comme des « tueurs Ă gages » pour trouver des moyens (comme l’interposition de fiducies) de ne rien partager avec leur femme, m’ont rappelĂ© certaines des causes les plus cauchemardesques dont je me suis occupĂ©. Toutefois, alors que j’ai choisi de travailler dans un cabinet privĂ© axĂ© sur le droit collaboratif et la conciliation, Mme Dranoff est restĂ©e dans la mĂŞlĂ©e, agissant le reste de sa vie comme une agente de changement et championne des droits.
Voici un rĂ©sumĂ© des questions que Mme Dranoff a traitĂ©es ou prises en charge, ou sur lesquelles elle a Ă©crit : agressions sexuelles, nouvelles technologies de reproduction, rĂ©forme fiscale et rĂ©forme des pensions, travailleurs domestiques, femmes autochtones et Ă©galitĂ©, sage-femme, mĂ©diation, harcèlement sexuel, responsabilitĂ© du fait de produits comme les implants mammaires, protection des droits Ă l’Ă©galitĂ© dans l’ère de la privatisation, immigration, droit de la famille, violence contre les femmes et les enfants, traite de personnes, environnement, Ă©quitĂ© salariale, femmes en politique, discrimination fondĂ©e sur la grossesse, garderies, et plus encore.
L’auteure raconte Ă©galement comment le travail qu’elle a Ă©tĂ© en mesure d’accomplir, les gens qu’elle a aidĂ©s au cours de sa longue carrière ainsi que les changements qu’elle a apportĂ©s et auxquels elle a participĂ© lui ont donnĂ© l’Ă©nergie dont elle avait besoin.
Pour moi, la plus grande leçon Ă retenir, issue du dernier chapitre, « Over to you », est l’idĂ©e qu’une personne peut vraiment changer les choses :
[TRADUCTION] Les efforts visant Ă apporter des changements favorables aux femmes ont souvent commencĂ© par l’idĂ©e d’une personne ou d’un petit groupe qui a fait preuve de dĂ©termination. Selon moi, voilĂ comment les transformations ont lieu. Une personne a une vision et est dĂ©terminĂ©e Ă crĂ©er un monde meilleur. Cette vision fait ensuite consensus auprès de compatriotes qui sont sur la mĂŞme longueur d’onde. J’encourage les gens qui nous suivent Ă en faire de mĂŞme, Ă ne jamais remettre en question ce que peut accomplir une seule personne, mais plutĂ´t Ă se convaincre de ce qu’il faut faire et Ă dĂ©cider des mesures Ă prendre pour apporter sa contribution.
La première Ă©tape consiste Ă Ă©tablir des objectifs. Aucun but n’a jamais Ă©tĂ© atteint sans d’abord avoir Ă©tĂ© conçu. Mme Dranoff dĂ©clare en toute simplicitĂ©, vers la fin du livre : [traduction] « Je me suis donnĂ© comme objectif de m’assurer de laisser un compte rendu historique sur les Ă©poques que j’ai traversĂ©es et de conserver des documents d’archives personnels ». Elle fait bien plus que cela. Elle partage avec nous ce qu’elle a appris au cours des annĂ©es oĂą elle a travaillĂ© comme militante et activiste, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, prĂ©cisant notamment que, pour conserver nos gains et continuer d’accomplir des choses, il nous faut ĂŞtre mĂ©fiants, vigilants et proactifs.
Linda Silver Dranoff nous fait un grand cadeau en publiant ce livre. Ainsi, si vous pouvez faire une seule chose, procurez-vous ce livre et donnez-le Ă des jeunes. Je suis passĂ©e par lĂ . J’ai vĂ©cu cela. DĂ©couvrez maintenant ce que vous pouvez faire.
Darlene Madott est une auteure et une avocate Ĺ“uvrant dans le domaine du droit de la famille Ă Toronto.
www.DarleneMadott.com
madott@dmfamilylaw.net