Au mois de dĂ©cembre passĂ©, j’ai lu un article de la CBC sur des juristes autochtones qui parlaient de partialitĂ© et de racisme. Le Barreau de la Colombie-Britannique et la Continuing Legal Education Society of BC ont lancĂ© un projet de vidĂ©o s’intitulant « I Was Wearing a Suit ». L’article de la CBC exposait les points de vue de juristes autochtones au sein de la profession et, plus important encore, entamait une conversation sur la façon dont les peuples autochtones sont traitĂ©s dans notre système de justice.
Je suis une citoyenne de la Première nation Tr'ondĂ«k HwĂ«ch'in, une nation d’autonomie interne situĂ©e Ă Dawson City, au Yukon. Je suis une avocate chevronnĂ©e et je pratique dans le domaine du droit pĂ©nal depuis vingt ans. Au cours de ma carrière, j’ai Ă©tĂ© procureure, j’ai travaillĂ© Ă l’Aide juridique et j’ai prĂ©sidĂ© la Commission des droits de la personne du Yukon. Je suis de descendance Han, Tlingit et Kaska.
DĂ©jĂ , en onzième annĂ©e, je savais que je voulais ĂŞtre avocate. Les gens oublient que le Canada n’est âgĂ© que de 150 ans. Il fut une Ă©poque pas si lointaine oĂą les Indiens ne pouvaient tout simplement pas devenir des juristes. Ils ne pouvaient pas voter. Ils ne pouvaient quitter leur rĂ©serve sans la permission d’un agent des Indiens. Ils ne pouvaient pas lĂ©galement organiser certaines cĂ©rĂ©monies. Tous ces concepts Ă©taient protĂ©gĂ©s par le bouclier de la primautĂ© du droit. C’est ce qui a suscitĂ© ma fascination sans borne pour les droits, les responsabilitĂ©s et la primautĂ© du droit. Il Ă©tait important pour moi d’Ă©tudier Ă la facultĂ© de droit.
Il est possible d’ĂŞtre une avocate autochtone fière. J’ai suivi une formation juridique. Je suis qualifiĂ©e. Je suis professionnelle. J’ai prĂŞtĂ© serment et je connais mes obligations Ă©thiques en tant qu’officier de justice. J’ai eu la chance de compter sur le soutien de ma famille, de la communautĂ© autochtone, ce qui m’a permis de poursuivre mon travail en contentieux criminel au cours des vingt dernières annĂ©es.
J’ai fait mon stage au ministère de la Justice du gouvernement fĂ©dĂ©ral. Le bureau rĂ©gional du Yukon n’avait jamais eu une stagiaire avant moi, et encore moins une Autochtone du Yukon. Mon admission au barreau Ă la fin du mois de janvier 2001 a fait les manchettes locales. J’Ă©tais la première personne d’une Première nation du Yukon Ă se joindre au ministère de la Justice Ă titre de procureure. C’Ă©tait bouleversant d’ĂŞtre la première et je faisais alors la une des journaux locaux. J’ai appris plusieurs leçons en cours de route. La première d’entre elles consistait Ă ĂŞtre une avocate autochtone fière, forte et Ă©duquĂ©e qui exerce le droit en adoptant une perspective autochtone. Ă€ l’instar de plusieurs de mes ancĂŞtres, j’ai appris Ă faire preuve de bravoure et d’une certaine tĂ©mĂ©ritĂ©.
Ma rĂ©silience est en partie due Ă mes assises solides, Ă la fiertĂ© que je ressens Ă l’Ă©gard de mon identitĂ© autochtone et de ses enseignements traditionnels, sans mentionner, Ă©videmment, Ă ma formation juridique. Je sais qui je suis et d’oĂą je viens. J’apporte une perspective autochtone dans l’exercice de mes fonctions. Ce n’est pas facile la plupart des jours puisque je dois confronter le racisme, la discrimination et la misogynie. J’ai tendance Ă m’imposer de hautes normes d’excellence, car je reconnais la dĂ©termination dont ont fait preuve les gens qui ont ouvert la voie pour que je puisse me joindre Ă mes collègues autochtones et non autochtones du Barreau du Yukon. Mes ancĂŞtres ont veillĂ© Ă ce que tous les enseignements et outils soient Ă ma portĂ©e pour que j’emprunte cette voie. Je sais qu’il y a des obstacles systĂ©miques. Il est moins probable que les qualifications de mes collègues non autochtones soient remises en question et ils n’ont pas Ă dissiper rĂ©gulièrement des doutes quant Ă la possibilitĂ© que leur partialitĂ© ait une incidence sur leur capacitĂ© Ă accomplir leur travail. J’espère que mes collègues du milieu juridique prennent le temps de s’informer de ce qu’est la rĂ©conciliation. Selon moi, les premières Ă©tapes d’une rĂ©conciliation sont l’Ă©coute et la prise d’initiative pour Ă©duquer et reconnaĂ®tre notre propre histoire canadienne tout en prenant conscience de nos propres prĂ©jugĂ©s.
Les anecdotes de l’article de la CBC reprĂ©sentent l’essence mĂŞme des gens qui relèvent le dĂ©fi d’ĂŞtre des initiateurs – les prĂ©curseurs qui sont toujours appelĂ©s Ă enseigner aux autres –, et qui font face Ă la pression y Ă©tant associĂ©e. Ă€ de nombreuses reprises dans ma vie, je me suis retrouvĂ©e seule, accĂ©dant pour la toute première fois Ă un rĂ´le d’influence. Ces nouveaux rĂ´les portent en eux la bĂ©nĂ©diction et le fardeau qu’implique l’enrichissement de la diversitĂ© au sein de la profession. Comme le dit l’avocate autochtone Ardith Walke dans le segment oĂą elle apparaĂ®t : [traduction] « Les personnes qui portent ce fardeau doivent avoir un endroit oĂą le dĂ©poser. Nous devons les Ă©couter. »
Les gens disent souvent vouloir assurer la diversitĂ© au sein de la profession juridique et de la magistrature. Toutefois, Ă la suite de la lecture de cet article, il appert qu’il reste encore du travail Ă accomplir. Que pouvons-nous faire pour soutenir les juristes autochtones et les aider Ă rester dans la profession? Ă€ quels obstacles sont-ils toujours confrontĂ©s? Je continuerai Ă poser ces questions difficiles en tant qu’avocate chevronnĂ©e et je le ferai pour responsabiliser les prochaines gĂ©nĂ©rations de stagiaires autochtones qui prendront la place qui leur revient de plein droit dans les tribunaux comme juristes. Notre prĂ©sence dans des tribunaux de partout au Canada ne doit pas ĂŞtre confinĂ©e Ă la surreprĂ©sentation des Autochtones au banc des accusĂ©s ou au nombre des plaignants. Nous assumerons des rĂ´les autres que celui de personne dĂ©tenue.
Après vingt ans de carrière comme avocate plaidante, j’ai remarquĂ© que de moins en moins de femmes chevronnĂ©es exercent Ă mes cĂ´tĂ©s. Depuis tout rĂ©cemment, cependant, je constate que des avocates autochtones font leurs premiers pas dans le milieu. J’espère qu’un jour une collègue, une « amie » qui me ressemble, se trouvera de l’autre cĂ´tĂ© du tribunal. Ou encore, peut-ĂŞtre aurai-je l’occasion de me prĂ©senter devant une juge autochtone. J’en caresse l’espoir.
J’aimerais transmettre mes remerciements aux avocates autochtones qui apparaissent dans cet article de la CBC. J’admire votre tĂ©nacitĂ© et votre bravoure! Je crois dans la primautĂ© du droit et je continuerai de travailler Ă l’Ă©limination du racisme et de la discrimination. Je continuerai de pratiquer le droit.
Dans la vidĂ©o, une avocate autochtone dĂ©clare : « Je suis une reprĂ©sentante lĂ©gale, je suis une guerrière et je suis une avocate. » Cette affirmation rĂ©sume bien ce que je pense. Ça me dĂ©finit. C’est moi... vĂŞtue d’un tailleur.
Melissa D. Atkinson est avocate-conseil principale Ă l’interne ainsi que superviseure des aides judiciaires autochtones de l’Aboriginal Legal Services Ă Toronto.