La rĂ©cente dĂ©cision du Barreau de l’Alberta de rĂ©intĂ©grer l’ancien juge Camp est inquiĂ©tante. Me Camp a fait une sĂ©rie de commentaires tout Ă fait odieux et sexistes dans le cadre de l’audition d’un dossier portant sur une agression sexuelle (y compris, notamment, le fait d’appeler la victime « l’accusĂ©e » et de dire que les relations sexuelles et la douleur [traduction] « sont parfois concomitantes ». Il semble qu’une personne qui nourrit de telles opinions ne pourrait ĂŞtre un fonctionnaire judiciaire, et encore moins un juge, appropriĂ©. Et pourtant, voici qu’il est de nouveau accueilli dans le système, en tant qu’avocat. En cette qualitĂ©, il traitera avec des personnes de tous les sexes, malgrĂ© qu’en tant que juge, il a fait preuve d’idĂ©es sexistes excĂ©dant la normale.
Il est toutefois difficile de dĂ©nier Ă Me Camp sa chance d’exercer alors qu’il semble avoir fait de tels efforts pour entrer dans l’ère contemporaine. En notre qualitĂ© de juristes, nous sommes sensibles aux rĂ©cits de repentir, et cela semble en ĂŞtre un. Me Camp connaĂ®t les prĂ©judices qu’il a causĂ©s. Il a changĂ©. Il ne fait plus fi des difficultĂ©s vĂ©cues par les femmes tant au sein de sa propre profession qu’en celui de la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral. Bien qu’il ait rĂ©ussi Ă passer des dĂ©cennies en tant que magistrat sans percevoir l’Ă©norme vague de changements juridiques et sociaux liĂ©s Ă la question du consentement ni les Ă©volutions du droit en matière de viol, la thĂ©rapie et la formation ont corrigĂ© tout cela. Il « comprend » dĂ©sormais vĂ©ritablement. Il a, selon ses dires, encore cinq Ă dix bonnes annĂ©es d’exercice du droit devant lui. Ce qu’il fera dans un cabinet privĂ©, loin de la magistrature.
Pourtant, pour un grand nombre d’entre nous (particulièrement les femmes), les aspects inquiĂ©tants de cette dĂ©cision ternissent le rĂ©cit de repentir. Nous exerçons quotidiennement parmi des hommes sexistes et nombre d’entre nous n’aiment pas l’idĂ©e qu’il soit acceptable d’ĂŞtre sexiste (bon d’accord sexiste repenti) et de continuer Ă exercer le droit. Le sexisme auquel nous faisons gĂ©nĂ©ralement face n’est pas aussi manifestement Ă©vident que lorsqu’un juge demande pourquoi ne pas avoir tout simplement serrĂ© les genoux alors qu’on nous violait, mais il n’en demeure pas moins courant dans la profession. Il est discret. Il est systĂ©mique. Il est ciblĂ©. Il revĂŞt la forme de l’exclusion de conversations, de prĂ©sumĂ©es capacitĂ©s infĂ©rieures, de l’omniprĂ©sent « plafond de verre ». Il s’agit de situations plus vastes telles que le manque de garderies sur les lieux du travail dans les grands cabinets urbains, et des tentatives dĂ©risoires pour faire miroiter une situation d’associĂ©e aux femmes lorsqu’« associĂ©e » ne se dĂ©cline que sur le modèle masculin (c’est-Ă -dire, ne vivez plus que pour votre cabinet). Il s’agit de situations plus pointues telles que le rare mais rĂ©el survivant d’un autre âge qui prĂ©sume automatiquement en vous voyant arriver Ă une confĂ©rence de règlement que vous ĂŞtre « la secrĂ©taire » ou qui, juste Ă la fin d’une discussion tĂ©lĂ©phonique avec vous sur les dossiers que vous accepterez, vous dit qu’il pense que votre voix est très « sexy » et vous propose de dĂ®ner avec lui un de ces jours.
Le groupe chargĂ© de trancher sur la rĂ©intĂ©gration devait rĂ©pondre Ă la question de savoir si le public ferait confiance Ă la profession si Me Camp Ă©tait autorisĂ© Ă exercer de nouveau. Le public ne va peut-ĂŞtre pas remarquer un avocat sexiste, mais nous, les femmes, ne manquerons pas de le faire. L’avocat de Me Camp a fait remarquer que les actes de son client avaient rĂ©vĂ©lĂ© [traduction] « un manque de sensibilitĂ© et de connaissances » mais qu’ils « ne prouvaient ni une absence de bonne moralitĂ© ni un manque d’honnĂŞtetĂ© ni tout autre comportement inadmissible ». Pourquoi le manque de sensibilitĂ© et de connaissances n’est-il pas acceptable au sein de la magistrature, mais acceptable pour ceux qui exercent le droit?
Il semble n’ĂŞtre que justice que Me Camp, ayant tirĂ© certains enseignements personnels de l’affaire, ait une deuxième chance. Il ne fait aucun doute que nous lui souhaitons tous le plus grand des succès dans ses nouvelles capacitĂ©s. Cependant, nous ne pouvons nous empĂŞcher d’ĂŞtre quelque peu cyniques. Après tout, s’il n’a pas vĂ©ritablement changĂ© de point de vue, ce sera un avocat sexiste de plus. Il est plus que probable que dans notre contexte de l’exercice du droit, Me Camp se sentira comme un poisson dans l’eau.
Diane Baker Mason est avocate à la retraite et romancière