Le 27 janvier, le promoteur d’une boĂ®te de nuit Ă©tait poignardĂ© Ă mort (disponible uniquement en anglais). Depuis, le public demande au conseil municipal de Vancouver de sĂ©curiser le Granville Entertainment District. Des centres commerciaux, des bars et des entreprises s’y cĂ´toient pour faire de ce quartier l’un des plus animĂ©s du centre-ville. En 2010, un système de surveillance a Ă©tĂ© temporairement installĂ© en vue des Jeux olympiques, principalement par la GRC, mais a suscitĂ© une controverse importante et a Ă©tĂ© enlevĂ© Ă la fin des Jeux. Aujourd’hui, en vertu d’une rĂ©cente motion (disponible uniquement en anglais), la ville examine un certain nombre de mesures de sĂ©curitĂ©, notamment la remise en service des systèmes de vidĂ©osurveillance dans le quartier. Elle Ă©tudie actuellement l’idĂ©e en collaboration avec les parties prenantes, dont le commissaire Ă la vie privĂ©e de la Colombie-Britannique (qui examine Ă©galement de très près des propositions similaires pour Richmond, Terrace et Kelowna - disponible uniquement en anglais).
Outre les questions de l’efficacitĂ© et des coĂ»ts, la perspective d’une vidĂ©osurveillance Ă©tatique soulève des questions intĂ©ressantes en matière de protection de la vie privĂ©e. D’un cĂ´tĂ©, elle devrait se conformer Ă la lĂ©gislation provinciale sur la protection des donnĂ©es. De l’autre, elle soulève des questions liĂ©es Ă la constitutionnalitĂ© des perquisitions et saisies.
Autoriser l’utilisation de camĂ©ras en vertu de la lĂ©gislation sur la protection de la vie privĂ©e
La Freedom of Information and Protection of Privacy Act de la Colombie-Britannique pourrait s’appliquer Ă un hypothĂ©tique système de vidĂ©o Ă Vancouver. L’expression [traduction] « entitĂ© publique » inclut des pouvoirs publics locaux, et les renseignements personnels sont [traduction] « des renseignements enregistrĂ©s, autres que ses coordonnĂ©es, concernant une personne reconnaissable », ce qui inclurait des enregistrements d’une personne soit sous forme audio, soit en format vidĂ©o, ou les deux (annexe 1).
En vertu de cette loi, la collecte de donnĂ©es n’est autorisĂ©e qu’Ă certaines fins. Les deux qui pourraient ĂŞtre envisagĂ©es sont la collecte aux fins de maintien de l’ordre public et la collecte de renseignements directement liĂ©s Ă un programme ou Ă une activitĂ© et nĂ©cessaires Ă son dĂ©roulement (art. 26).
La première fin ne justifierait probablement pas un enregistrement proactif, car le libellĂ© a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ© comme ne renvoyant qu’Ă des enquĂŞtes spĂ©cifiques (disponible uniquement en anglais) dĂ©jĂ en cours (p. 3-4). Étant donnĂ© qu’un système vidĂ©o enregistrerait probablement en continu pour pouvoir rĂ©vĂ©ler des crimes futurs encore inconnus, il ne serait pas couvert. L’autre fin exigerait de la municipalitĂ© qu’elle Ă©tablisse que la surveillance est nĂ©cessaire aux fins de ses activitĂ©s. Dans des dĂ©cisions antĂ©rieures, le Commissaire Ă la vie privĂ©e a interprĂ©tĂ© cela comme un seuil Ă©levĂ© (disponible uniquement en anglais) exigeant des Ă©lĂ©ments de preuve considĂ©rables et très solides, bien que ne signifiant pas que les donnĂ©es doivent ĂŞtre absolument nĂ©cessaires Ă la rĂ©alisation de son travail par cette instance publique (p. 4).
Si la municipalitĂ© peut justifier la nĂ©cessitĂ©, un système de surveillance adĂ©quatement conçu pourrait ĂŞtre compatible avec le reste de la FOIPPA. Les dispositions de la Loi autorisent une utilisation correspondant aux fins de la collecte et de la communication Ă d’autres organismes publics si les donnĂ©es s’avèrent pertinentes Ă une enquĂŞte (art. 32, al. 33.2(i)). La FOIPPA pourrait imposer certaines restrictions quant aux modalitĂ©s de la collecte des donnĂ©es (art. 27), mais la principale difficultĂ© que devrait rĂ©soudre la municipalitĂ© rĂ©side dans la justification mĂŞme de la collecte.
Utilisation des enregistrements dans le cadre d’instances pĂ©nales
Advenant la possibilitĂ© de la crĂ©ation lĂ©gale d’un système de vidĂ©osurveillance, cela pourrait ne pas ĂŞtre la fin des difficultĂ©s de nature juridique. Au moment de la rĂ©daction du prĂ©sent article, il ne semble pas que les tribunaux aient eu l’occasion d’envisager sous tous ses angles la question de savoir si l’article 8 de la Charte autorise une vidĂ©osurveillance Ă©tatique de lieux publics en continu. Alors que les tribunaux pĂ©naux canadiens ont dĂ©sormais l’habitude d’examiner des enregistrements vidĂ©o, ces derniers tendent Ă ĂŞtre prĂ©sentĂ©s par des parties privĂ©es (magasins, gĂ©rants d’immeubles d’habitations, etc.) ou dans le cadre d’activitĂ©s spĂ©cifiques de maintien de l’ordre.
Pour une personne, dont la poursuite est fondĂ©e en partie sur des enregistrements vidĂ©o Ă©tatiques, qui souhaiterait faire exclure la preuve, la difficultĂ© principale serait de savoir si les enregistrements peuvent tomber dans la catĂ©gorie des « perquisitions » effectuĂ©es par les pouvoirs publics. Contrairement aux enregistrements privĂ©s, les camĂ©ras des pouvoirs publics tombent plus clairement dans la catĂ©gorie des mesures Ă©tatiques prĂ©vues par la Charte.
Le critère pour qualifier une perquisition repose largement sur la question de savoir si les attentes de l’accusĂ© en matière de respect de sa vie privĂ©e sont objectivement raisonnables (R. c. Patrick, au paragraphe 27). Maints facteurs diffĂ©rents peuvent entrer en jeu lors de cette analyse. Cependant, quelques-uns d’entre eux sont particulièrement importants dans le cas qui nous concerne. Militant contre le concept de « perquisition » est le fait que la surveillance a lieu dehors, lĂ oĂą un accusĂ© sait qu’il est observĂ©. Étant donnĂ© le fait que des lieux comme Granville Street sont extrĂŞmement ouverts et publics, cela aurait un poids considĂ©rable. La nature des renseignements rĂ©vĂ©lĂ©s serait un autre facteur important. Le tribunal demanderait si des dĂ©tails biographiques intimes et confidentiels d’ordre personnel au sujet de l’accusĂ© sont rĂ©vĂ©lĂ©s. Les dĂ©placements et les actes d’une personne dans la rue peuvent rĂ©vĂ©ler beaucoup de choses Ă propos de sa vie quotidienne, telles que lĂ oĂą elle est, son apparence physique et les personnes avec lesquelles elle se trouve (particulièrement si des technologies de reconnaissance faciale devaient ĂŞtre utilisĂ©es). Cependant, par rapport Ă la plus grande partie des renseignements protĂ©gĂ©s par l’article 8 (provenant de maisons, de bureaux et d’ordinateurs), cela semble moins rĂ©vĂ©lateur. Le contexte public et l’exposition limitĂ©e pourraient bien sonner le glas du succès Ă un recours Ă l’article 8.
Toutefois, deux importants facteurs militeraient en faveur du concept de « perquisition ». Tout d’abord, les tribunaux ont reconnu que les technologies d’enregistrement permettent une intrusion particulièrement profonde dans la vie privĂ©e (R. c. Duarte). L’enregistrement permanent, infaillible et infini produit par les appareils audio-vidĂ©o les rend particulièrement plus rĂ©vĂ©lateurs que les souvenirs de l’observation d’une personne. La Cour suprĂŞme de la Colombie-Britannique a rĂ©cemment appliquĂ© ce raisonnement lorsqu’elle a affirmĂ© qu’une camĂ©ra de surveillance ininterrompue installĂ©e par la police (qui observait, Ă partir d’un lieu public, le jardin Ă l’arrière de la maison d’une personne soupçonnĂ©e de vendre de la drogue) viole l’article 8 (R. v. Wong - disponible uniquement en anglais). Ensuite, les enregistrements en l’absence de tout discernement de la part d’un système de camĂ©ras publiques pourraient conduire les tribunaux Ă faire montre d’une prudence particulière. Contrairement Ă l’enregistrement d’un suspect effectuĂ© par un policier, ce genre de camĂ©ra n’est motivĂ© par aucun soupçon dirigĂ© envers une personne en particulier. Elles enregistrent toute personne passant devant leur objectif, y compris celles qui se trouvent sur les lieux Ă des fins lĂ©gitimes telles que pour le travail ou pour faire des courses. L’article 8 vise Ă prĂ©venir les perquisitions injustifiĂ©es avant qu’elles ne surviennent, car les personnes qui sont innocentes ne seront jamais accusĂ©es ni ne se retrouveront devant un tribunal (R. c. Patrick au paragraphe 33). Étant donnĂ© l’ampleur du possible enregistrement et le manque de motifs spĂ©cifiques, les tribunaux devraient ĂŞtre prudents et ne pas accepter trop rapidement les camĂ©ras installĂ©es sans mandat, sans quoi ils pourraient renoncer Ă leur capacitĂ© d’imposer des limites sur la durĂ©e et la portĂ©e (p. ex., autoriser l’utilisation de camĂ©ras en cas d’augmentation dramatique de la criminalitĂ©, mais seulement quatre camĂ©ras pendant six semaines), comme ils pourraient le faire si un mandat Ă©tait exigĂ©.
Naturellement, d’autres questions se posent. La perquisition pourrait malgrĂ© tout ĂŞtre rĂ©putĂ©e raisonnable, l’enregistrement pourrait ĂŞtre recevable en vertu du paragraphe 24(2). Et pourtant, si l’enregistrement peut, avec succès, ĂŞtre qualifiĂ© de perquisition, il tombe sous le coup de la Charte et la question de savoir s’il peut ĂŞtre utilisĂ© aux fins de poursuite devient très Ă©pineuse.
D’autres enjeux verront certainement le jour alors que les autoritĂ©s locales se penchent sur cette question, mais les municipalitĂ©s qui envisagent le recours Ă la vidĂ©osurveillance pourraient bien s’apercevoir que leur assise juridique est moins solide qu’elle ne le semble.
Dylan Williams est Ă©tudiant en droit Ă l’UniversitĂ© de la Colombie-Britannique