Par une dĂ©cision provisoire rendue en 2018 dans l’affaire Talos v. Grand Erie District School Board, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a refusĂ© d’appliquer l’exception prĂ©vue au Code des droits de la personne qui autorise les employeurs Ă mettre fin Ă la couverture au titre des avantages sociaux des employĂ©s actifs qui atteignent 65 ans au motif que la disposition portait atteinte Ă la garantie d’Ă©galitĂ© Ă©noncĂ©e par la Charte.
Faits
M. Talos a vu cesser les avantages sociaux collectifs dont il jouissait en tant qu’employĂ© lorsqu’il a atteint 65 ans. Il a dĂ©posĂ© une demande auprès du tribunal des droits de la personne, lui demandant de lui accorder 160 000 $ au titre des avantages sociaux perdus et d’une indemnisation du prĂ©judice subi en raison de la discrimination dans le cadre de son emploi fondĂ©e sur son âge.
Le cadre juridique
L’article 5 du Code des droits de la personne Ă©nonce que toute personne a droit Ă un traitement Ă©gal en matière d’emploi, sans discrimination fondĂ©e sur l’âge. Le paragraphe 25(2.1) du Code prĂ©voit que les rĂ©gimes d’avantages sociaux qui font une diffĂ©rence entre les travailleurs en raison de leur âge ne constituent pas une atteinte Ă l’article 5 du Code, Ă condition que ces rĂ©gimes soient conformes Ă la Loi de 2000 sur les normes d’emploi et Ă ses règlements d’application. L’article 44 de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi prĂ©voit qu’un employeur ne peut pas offrir un rĂ©gime d’avantages sociaux qui fait une distinction entre les employĂ©s et les personnes Ă leur charge en raison de leur âge, sauf si le Règlement l’y autorise. L’article 1 du Règlement 286/01 (frĂ©quemment appelĂ© le « Règlement sur les avantages sociaux ») dĂ©finit l’âge de la façon suivante : « 18 ans ou plus et de moins de 65 ans ».
Ă€ la lumière de ce mĂ©canisme lĂ©gislatif, le Tribunal a d’abord conclu que M. Talos ne pouvait avoir gain de cause. Ce dernier a par consĂ©quent soutenu que le paragraphe 25(2.1) du Code Ă©tait invalide et non exĂ©cutoire, car il constituait une violation injustifiable des droits Ă l’Ă©galitĂ© protĂ©gĂ©s par la Charte.
Arguments et décision
Le paragraphe 15(1) de la Charte
Le Tribunal a tout d’abord examinĂ© la question de savoir si le paragraphe 25(2.1) du Code enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte qui Ă©nonce « tous ont droit Ă la mĂŞme protection et au mĂŞme bĂ©nĂ©fice de la loi, indĂ©pendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondĂ©es sur […] l'âge […] ».
Pour Ă©tablir une violation du paragraphe 15(1), une personne doit en premier lieu montrer qu’une loi opère une distinction fondĂ©e sur l’un des motifs Ă©numĂ©rĂ©s et, en second lieu, dĂ©montrer que la distinction est discriminatoire car elle a pour effet de renforcer, perpĂ©tuer ou exacerber le dĂ©savantage. M. Talos affirmait que le paragraphe 25(2.1) du Code dĂ©savantage les travailleurs âgĂ©s. La Commission ontarienne des droits de la personne est intervenue, soutenant que le paragraphe 25(2.1) du Code crĂ©e une exclusion excessivement large de l’article 5 du Code en ce qui a trait aux rĂ©gimes d’avantages sociaux. Plusieurs autres syndicats de professeurs d’universitĂ© et d’enseignants sont intervenus pour appuyer et complĂ©ter les arguments prĂ©sentĂ©s par M. Talos et par la Commission.
L’employeur soutenait que la diminution des avantages sociaux après 65 ans dĂ©coulait directement du processus de nĂ©gociation collective. Le syndicat de M. Talos avait choisi de ne pas revendiquer d’avantages sociaux pour les employĂ©s de plus de 65 ans face Ă la demande de l’employeur d’allègement de la charge de travail des employĂ©s. L’employeur soutenait en outre que M. Talos n’avait pas, dans les faits, Ă©tĂ© victime d’une discrimination lorsque ses avantages sociaux avaient pris fin. En dernier lieu, il affirmait qu’il existe un consensus social selon lequel les travailleurs prennent leur retraite Ă 65 ans et commencent Ă dĂ©pendre des programmes d’avantages sociaux offerts par le gouvernement. Le procureur gĂ©nĂ©ral de l’Ontario est intervenu aux cĂ´tĂ©s de l’employeur; les deux se fondant sur l’arrĂŞt Withler c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral) dans lequel la Cour suprĂŞme du Canada a envisagĂ© la lĂ©galitĂ© d’une prestation supplĂ©mentaire de dĂ©cès qui diminuait d’un certain montant pour chaque annĂ©e de l’âge, du participant au rĂ©gime dĂ©cĂ©dĂ©, ultĂ©rieure Ă l’âge prescrit. La Cour suprĂŞme a conclu que la prestation supplĂ©mentaire de dĂ©cès n’Ă©tait qu’une composante d’un plus vaste ensemble d’avantages dont les composantes Ă©quivalaient suffisamment en valeur si l’on comparait les survivants plus âgĂ©s et ceux qui Ă©taient plus jeunes.
Rejetant tous les arguments prĂ©sentĂ©s tant par le Procureur gĂ©nĂ©ral que par l’employeur, le tribunal a conclu que le paragraphe 25(2.1) du Code effectue une distinction fondĂ©e sur l’âge qui dĂ©savantage les personnes âgĂ©es d’au moins 65 ans; dĂ©savantage concrĂ©tisĂ© notamment par une perte de tranquillitĂ© d’esprit et des dĂ©penses financières supplĂ©mentaires, ainsi que l’exigence de justifier leurs ressources pour pouvoir accĂ©der aux prestations du gouvernement antĂ©rieurement obtenues en vertu de l’Ă©tat d’employĂ©. Le Tribunal a effectuĂ© une distinction avec l’arrĂŞt Withler fondĂ©e sur le fait qu’en l’espèce, l’employeur n’avait pas offert de compensation pour les avantages sociaux dĂ©niĂ©s Ă M. Talos une fois ses 65 ans atteints.
Article 1 de la Charte
Après avoir conclu que le paragraphe 25(2.1) du Code est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte, le Tribunal a tournĂ© son analyse vers la question de savoir si la violation peut ĂŞtre justifiĂ©e en vertu de l’article 1.
Il a conclu qu’au moment de sa promulgation, correspondant avec l’abolition en 2006 de la retraite obligatoire, le paragraphe 25(2.1) du Code Ă©tait liĂ© Ă la nĂ©cessitĂ© absolue, pour le lĂ©gislateur, de prĂ©server la viabilitĂ© financière des rĂ©gimes d’avantages sociaux proposĂ©s sur le lieu de travail. Toutefois, la portĂ©e et la gravitĂ© de l’atteinte sont inacceptables puisqu’il n’existe que de très rares donnĂ©es empiriques pour dĂ©montrer que les distinctions fondĂ©es sur l’âge visant les travailleurs d’au moins 65 ans sont nĂ©cessaires pour maintenir la viabilitĂ© financière des rĂ©gimes d’avantages sociaux proposĂ©s sur le lieu de travail. Le Tribunal a acceptĂ© la preuve que le coĂ»t de l’assurance pour les soins dentaires ne change pas avec l’âge et qu’il n’est pas hors de prix d’offrir une couverture Ă©tendue pour les soins de santĂ© jusqu’Ă 79 ans. Bref, le Tribunal a conclu que des mesures peuvent ĂŞtre prises pour gĂ©rer les rĂ©gimes d’avantages sociaux de façon Ă ce que le coĂ»t moyen par participant demeure le mĂŞme avant et après 65 ans. Il a en outre comparĂ© le paragraphe 25(2.1) du Code et la lĂ©gislation d’autres provinces et a conclu Ă l’existence d’autres solutions moins prĂ©judiciables.
Le Tribunal n’Ă©tait pas compĂ©tent pour statuer sur la validitĂ© du paragraphe 25(2.1) du Code, mais sa dĂ©cision provisoire lui a permis d’Ă©viter d’appliquer le paragraphe 25(2.1) du Code pour empĂŞcher M. Talos de remettre en cause son bien-fondĂ© (qui n’a pas, Ă ce jour, fait l’objet d’une dĂ©cision publique).
Terra Klinck et Nicolas Guadagnolo exercent le droit des régimes de retraite, des avantages sociaux et de la rémunération des cadres de direction dans le cabinet BMKP Law.