Concrétisation d’intentions : jurisprudence récente en matière de partage de pensions

En dépit de dispositions législatives visant à faciliter les partages de pension lors de ruptures de mariages et à accélérer l’aboutissement de tels partages, d’intéressants litiges continuent à se présenter. Les affaires récentes McKearney-Morgan v. Morgan, 2016 NSSC 79 et Stephens v. Stephens, 2016 ONSC 367 constituent deux exemples de tels litiges, dans le cadre desquels le tribunal a été appelé à faire exécuter des ordonnances judiciaires existantes, dans le but de donner effet à l’intention initiale des parties.

McKearney-Morgan v. Morgan

Après un mariage de courte durée, les époux se sont divorcés et ont obtenu une ordonnance de divorce ainsi qu’un jugement portant sur les mesures accessoires. L’ordonnance établissait que le régime de pension offert par l’employeur du défendeur devait faire l’objet d’un partage en parts égales, ce qui correspond au traitement accordé à un bien matrimonial, en application du paragraphe 4(1) de la Matrimonial Property Act (loi sur les biens matrimoniaux) de la Nouvelle-Écosse. Dans son ordonnance, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse accordait à la demanderesse 35 % de la totalité des prestations de retraite cumulées jusqu’à la date de la séparation des époux, y compris les cotisations de retraite versées avant le mariage. La part de la demanderesse était évaluée à 44 818,90 $.

L’ordonnance n’a pas précisé de quelle manière la demanderesse pouvait s’assurer d’obtenir sa part des prestations de pension. L’administrateur du régime a refusé d’exécuter l’ordonnance, compte tenu de dispositions de la Pension Benefits Act (loi sur les prestations de pension) de la Nouvelle-Écosse, qui imposent aux partages de pensions à la source une limite supérieure de 50 pour cent des prestations de retraite cumulées pendant le mariage. L’administrateur du régime a consulté l’autorité responsable de la réglementation des régimes de pension en Nouvelle-Écosse et, en fin de compte, a transféré à la demanderesse 2 822 $, soit le maximum autorisé en vertu de la Pension Benefits Act. Dans l’ordonnance, le défendeur n’avait pas été désigné fiduciaire et, en l’absence d’une nouvelle ordonnance judiciaire, il refusait de se charger de veiller à restituer à la demanderesse sa pleine part. La demanderesse a déposé une requête en exécution de l’ordonnance.

La Cour a conclu que la Matrimonial Property Act et la Pension Benefits Act n’étaient pas en conflit car la Pension Benefits Act ne régit pas le droit aux prestations mais prévoit plutôt un mécanisme de partage des prestations de pension. La Cour a jugé que le refus de l’administrateur du régime d’exécuter l’ordonnance découlait de la confusion entre le [traduction] « droit aux prestations » et les [traduction] « fonctions administratives » prévus dans la Pension Benefits Act. La Cour a précisé que la décision quant au droit aux prestations en application de la Matrimonial Property Act relevait de sa propre compétence, alors qu’il incombait à l’administrateur du régime de veiller à l’application de ce droit une fois établi.

Néanmoins, la Pension Benefits Act régissait les gestes posés par l’administrateur du régime, et l’autorisation d’un partage à la source établi en fonction du 35 pour cent de la totalité de la valeur de rachat des prestations cumulées contrevenait à cette loi en raison de la limite supérieure qui est imposée aux partages de pensions, c’est-à-dire le 50 pour cent des prestations de retraite cumulées pendant la durée de la relation du couple. La Cour a accepté que l’administrateur du régime était limité dans ses gestes par le seuil de 50 pour cent imposé par la Pension Benefits Act et que la Cour n’était pas habilitée à rendre une ordonnance de fiducie portant sur le solde de la part de la demanderesse qui obligerait l’administrateur du régime à en être fiduciaire.

La Cour a exprimé sa frustration au sujet de la corrélation entre les lois concernées et a indiqué que l’autorité responsable de la réglementation des régimes de pension devrait recommander au gouvernement de la Nouvelle-Écosse de modifier les dispositions législatives applicables afin de [traduction] « veiller à ce qu’une interprétation harmonieuse en soit possible » et de [traduction] « donner aux participants des régimes de retraite les moyens de se conformer aux ordonnances judiciaires rendues sous le régime de la Matrimonial Property Act ».

En l’absence d’une intervention de la législature permettant de remédier à ce problème, la Cour a établi une fiducie à l’égard de la partie de l’ordonnance qui n’avait pas été réglée jusque-là et a ordonné au défendeur d’assurer le rôle de fiduciaire. La Cour a cependant qualifié d’insuffisante cette voie de recours, car la satisfaction du droit de la demanderesse dépend de la coopération du défendeur.

Stephens v. Stephens

Dans cette affaire, et compte tenu du ratio de transfert de 73,1 pour cent du régime concerné, l’administrateur du régime avait établi la valeur de la pension du défendeur à 445 681,68 $. Par la suite, les époux avaient conclu une entente de règlement en se fondant sur cette évaluation.

Environ deux ans plus tard, l’administrateur du régime a avisé les parties qu’il avait incorrectement appliqué le ratio de transfert à l’évaluation de la pension du défendeur – la totalité de la valeur des prestations aurait dû être établie à 609 687,67 $. Ayant déjà reçu un transfert de fonds correspondant à sa part de pension calculée sur la foi de l’évaluation erronée, la demanderesse a déposé une requête demandant la modification de la disposition de l’entente de règlement qui portait sur les prestations de pension et le paiement d’une somme additionnelle qui tiendrait compte de l’augmentation de la valeur de la pension du défendeur.

Le défendeur a fait valoir que l’ordonnance judiciaire initiale ne prévoyait aucun autre paiement de compensation une fois que la demanderesse a reçu le transfert de fonds. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a relevé que le paragraphe 67.3(10) de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario prévoit qu’une fois qu’un transfert est effectué du régime de retraite, un conjoint qui ne participe pas au régime ne peut plus en réclamer d’autres sommes à l’égard du conjoint qui y participe.

Ayant conclu qu’un montant réduit avait été appliqué par erreur, la Cour a toutefois jugé qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une situation où la demanderesse « réclam[ait] quoi que ce soit d’autre ». Elle corrigeait plutôt une erreur qui avait été commise en raison de l’information inexacte qui avait été fournie par l’administrateur du régime. La Cour a déterminé que rien n’interdisait à la demanderesse de chercher à recevoir sa pleine part de la pension du défendeur et d’obtenir le solde auquel elle avait droit compte tenu de l’évaluation exacte des prestations de retraite, une issue qui concordait avec les intentions premières des parties. Le paragraphe 67.3(10) n’aurait pas pour effet d’empêcher la correction d’une sous-évaluation, même lorsqu’un transfert de la part du conjoint non-participant au régime a déjà eu lieu.

En résumé

Dans les deux causes, les tribunaux ont cherché à faire en sorte que les intentions des parties soient concrétisées. Dans l’arrêt McKearney-Morgan v. Morgan, le tribunal a conclu que la législation sur les pensions n’appuyait pas les intentions des parties en ce qui concerne le partage à la source des prestations de retraite, et il en est résulté l’imposition d’une obligation fiduciaire sur l’époux participant jusqu’à ce que le droit à pension de l’épouse non-participante soit satisfait. Dans Stephens c. Stephens, la Cour a jugé que l’existence de dispositions prévoyant des distributions finales ne devrait pas empêcher la correction d’erreurs paraissant dans l’ordonnance initiale, faute de quoi les intentions des parties en seraient ainsi contrecarrées.

Natasha Monkman est avocate salariée chez Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP à Toronto