Résumé jurisprudentiel : les calculs actuariels ne sont pas exigés pour prouver l’existence du régime de prestations d’un employé

Rein v Alberta (Human Rights Commission), 2016 ABQB 386  (disponible uniquement en anglais)

Juge Pentelchuk

Sandeep Dhir, c.r. et Lindsey Miller pour la requérante, Gloria Rein

Janice Ashcroft, c.r. pour l’intimée, Alberta Human Rights Commission

Simon Renouf, c.r. pour les intimés, AUPE et Unifor Local 880

18 juillet 2016

La requérante, Gloria Rein, a demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commissaire en chef de la Commission des droits de la personne de l’Alberta (Alberta Human Rights Commission) portant rejet de sa plainte en matière de droits de la personne au sujet du régime collectif de prestations de santé et d’assurance vie de son employeur qui met fin à la couverture au moment où un employé atteint son soixante-cinquième anniversaire. Selon la plainte, la condition d’admissibilité au régime fondée sur l’âge constitue une discrimination interdite.

Résumé

En vertu de la fonction de « gardienne » que lui confère la législation, la Commissaire en chef a rejeté la plainte, au stade préliminaire, au motif d’absence de fondement. Cette fonction lui donne le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte à condition que la preuve ne fournisse aucune base raisonnable pour passer à l’étape suivante (Mis v Alberta Human Rights Commission, 2001 ABCA 212 (disponible uniquement en anglais)).

La Commissaire en chef a conclu que le régime tomberait probablement sous le coup de l’exonération légale visant les régimes d’assurance adoptés de bonne foi. Le paragraphe 7(2) de l’Alberta Human Rights Act lève l’interdiction fondée sur l’âge et sur la situation familiale pour [traduction] « l’exploitation d’un régime de retraite ou de pension adopté de bonne foi, ou les modalités de tout régime d’assurance collective ou de l’employé adopté de bonne foi. »

La Cour suprême du Canada a examiné, dans l’affaire Potash (Nouveau-Brunswick (Commission des droits de la personne) c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 2008 CSC 45 au para. 41), le critère juridique utilisé pour déterminer si un régime est adopté de bonne foi. Un régime est effectif s’il s’agit d’un « régime légitime, adopté de bonne foi et ne visant pas à porter atteinte à des droits protégés ». En revanche, les régimes factices qui privent arbitrairement les membres de leurs droits ne sont pas des régimes adoptés de bonne foi (2016 ABQB 386 au para. 46) (disponible uniquement en anglais).

La Commissaire en chef, dans sa décision écrite, a renvoyé à l’arrêt Potash et à la preuve avant de conclure, sans offrir de motifs supplémentaires, que le régime est un régime adopté de bonne foi. La décision (2016 ABQB 386) affirme simplement au para. 30 :

[TRADUCTION] « L’information appuie le fait que le régime a été adopté de bonne foi et que son objet n’est pas de priver ses membres de droits protégés. »

Dans le contexte du contrôle judiciaire, la requérante a contesté la brièveté de la décision, alléguant en outre l’insuffisance de la preuve pour établir la bonne foi de l’adoption du régime. La Cour a examiné les renseignements déposés devant la Commissaire en chef, dont les suivants (para. 39) :

le régime même, fourni par un grand assureur réputé, et qui contient une gamme complète de prestations;

les renseignements, y compris les dispositions de la convention collective, concernant une demande de remboursement des dépenses de santé à la seule disposition des employés ayant 65 ans ou plus;

un courriel adressé par le président du syndicat à la requérante pour expliquer les raisons sous-tendant l’exonération fondée sur l’âge;

un avis juridique rédigé pour le syndicat portant sur le bien-fondé des plaintes ou griefs alléguant une discrimination fondée sur l’âge déposées en raison de l’exclusion de la couverture du régime des employés de plus de 65 ans.

À la lumière de ce qui précède, la juge du contrôle judiciaire a affirmé que la décision de la Commissaire en chef était raisonnable et a rejeté la demande sans autre forme de motif. Elle a simplement affirmé au paragraphe 56 : [traduction] « À mon avis, il est tout à fait raisonnable, à la lumière de ces renseignements, que la Commissaire en chef ait conclu que le régime est fondé sur la bonne foi et que, par conséquent, le retrait des prestations offertes à un employé lorsqu’il atteint 65 ans ne constitue pas une discrimination au sens du paragraphe 7(2) de l’Alberta Human Rights Act ».

Aucune preuve de la nécessité de la restriction fondée sur l’âge ne figurait dans la liste susmentionnée. La Commissaire en chef a affirmé au paragraphe 28 (2016 ABQB 386) : [traduction] « La preuve de la bonne foi n’exige pas de calculs actuariels conçus pour établir que le régime doit contenir les restrictions soi-disant discriminatoires pour être financièrement viable ».

La juge du contrôle judiciaire n’a pas contredit cette interprétation, mais a affirmé la décision de la Commissaire en chef.

Conclusion

L’importance de cette décision réside dans ce qu’il n’est pas nécessaire de prouver pour établir que le régime est de bonne foi. Au stade préliminaire, très peu de preuve pour démontrer la bonne foi est exigée et la Commissaire en chef a rejeté la plainte avec une grande économie de motifs. Appliquant la norme plus rigoureuse du caractère raisonnable, la juge du contrôle judiciaire n’a pas cherché à combler le manque de motifs. Alors qu’elle affirme qu’il était raisonnable pour la Commissaire en chef de conclure que le régime avait été adopté de bonne foi en se fondant sur la preuve dont elle disposait, elle impose un fardeau de la preuve relativement lourd à la requérante qui doit établir que la structure du régime a pour objet de priver les membres de droits protégés. La condition d’admissibilité aux prestations fondée sur l’âge est, en elle-même insuffisante pour justifier une enquête plus poussée.

La juge du contrôle judiciaire a également tenu compte de la décision minoritaire exprimée dans l’arrêt Potash (au para. 45) selon laquelle les limites d’âge doivent être justifiées comme [traduction] « étant raisonnablement nécessaires eu égard au fonctionnement et à la viabilité du régime ». Elle a cependant souligné que la décision de la majorité n’avait pas conclu à une telle exigence. Cela confirme qu’aucune justification supplémentaire fondée sur le « fonctionnement » du régime ne sera exigée pour établir la bonne foi d’une restriction fondée sur l’âge.

Cette affaire, tout comme d’autres, telles que Foster v Nova Scotia (Human Rights Board of Inquiry), 2015 NSCA 66 (disponible uniquement en anglais), qui porte sur une autre plainte ayant échoué (en l’espèce une clause de retraite obligatoire insérée dans un régime de retraite) suggère que le seuil de la preuve nécessaire pour établir qu’un régime est adopté de bonne foi est inférieur. Les personnes qui déposent des plaintes doivent présenter des preuves supplémentaires pour établir que le régime pourrait être factice sous peine de courir le risque de voir leur plainte rejetée sans autre forme de procès.

Préparé par : Dante Manna, Stewart McKelvey