Si la rĂ©ponse Ă cette question peut dĂ©pendre de la juridiction dans laquelle exerce l’avocat, le droit au QuĂ©bec est maintenant clair.
Le Tribunal administratif du travail siĂ©geant en rĂ©vision vient de rĂ©pondre clairement Ă cette question dans Syndicat professionnel des ingĂ©nieurs d’Hydro-QuĂ©bec inc. et Paquette, 2017 QCTAT 855.
Dans cette affaire, un travailleur insatisfait d’avoir vu son grief rejetĂ© par un arbitre a dĂ©posĂ© une plainte contre son syndicat pour violation du devoir de juste reprĂ©sentation. C’est le mĂŞme cabinet d’avocats qui avait plaidĂ© le grief (mais pas le mĂŞme avocat) qui a comparu en dĂ©fense pour dĂ©fendre le syndicat. Le travailleur a demandĂ© que le Tribunal exclu ce cabinet du dossier.
La première juge administratif saisie de la requĂŞte y a fait droit. Pour la juge, se basant sur sa lecture du nouveau Code de dĂ©ontologie des avocats, le travailleur qui dĂ©pose un grief est un « client » de l’avocat chargĂ©, par le syndicat, de plaider le grief. La juge Ă©crit que l’avocat a un « client bi-cĂ©phale ». Elle conclut en consĂ©quence que le cabinet de cet avocat est en conflit d’intĂ©rĂŞts et de peut reprĂ©senter le syndicat en dĂ©fense Ă la plainte du travailleur.
Cette conclusion avait des consĂ©quences graves. Si le travailleur est le client de l’avocat, il peut donc lui donner des instructions et le congĂ©dier. De mĂŞme, l’avocat doit lui communiquer toute information apprise dans le cadre du dossier et lui communiquer toute offre de règlement prĂ©sentĂ©e par l’employeur. L’avocat aurait aussi le devoir de protĂ©ger le secret professionnel des confidences que lui aurait fait le travailleur. On comprend que l’avocat se retrouverait souvent en conflit d’intĂ©rĂŞts pris entre un travailleur et un syndicat. Il y aurait des situations oĂą la partie patronale ne pourrait plus nĂ©gocier le règlement d’un grief avec le syndicat sans l’accord du travailleur puisque l’avocat du syndicat aurait des devoirs envers le travailleur.
Le syndicat a porté en révision la décision de la juge.
Le juge administratif Turcotte a renversĂ© la première dĂ©cision. Il s’appui sur la jurisprudence antĂ©rieure de la Cour supĂ©rieure, la Commission d’accès Ă l’information et le Conseil de discipline du Barreau et sur le rĂ©gime particulier de relations du travail. Dans notre rĂ©gime, le syndicat dĂ©tient le monopole de reprĂ©sentation et est libre de choisir d’assigner ou non un avocat, et de le choisir. L’avocat n’a qu’un seul client : le syndicat. Seul le syndicat peut lui donner des instructions et l’avocat n’a d’obligations qu’envers le syndicat. Les confidences que le plaignant fait Ă l’avocat peuvent ĂŞtre partagĂ©s avec le syndicat puisqu’il est le client de l’avocat. Le juge Ă©crit : « Il ne peut y voir de conflit d’intĂ©rĂŞts, car le plaignant n’est pas leur client. En l’occurrence, leurs obligations professionnelles ne sont dues qu’au [syndicat]. Ces derniers doivent en effet analyser le dossier dans l’intĂ©rĂŞt de leur client ».
Il pourrait bien sûr se présenter des cas où un salarié pourrait choisir son propre avocat mais cela ne se produirait que lorsque le salarié et le syndicat auraient des intérêts opposés et distincts ; la simple divergence de vue au plan stratégique de défense ne suffit pas.
Stéphane Lacoste est avocat général avec Teamsters Canada