En Ontario, les poursuites civiles pour litiges en matière d’assurance et risques non assurables peuvent dominer la scène juridique, surtout quand il s’agit d’interprĂ©ter les obligations des courtiers. GĂ©nĂ©ralement, deux stratĂ©gies de dĂ©fense sont possibles dans un litige en matière d’assurance : 1) la compagnie d’assurance prĂ©tend que la police a Ă©tĂ© appliquĂ©e expressĂ©ment selon les directives du courtier, ou 2) le courtier dit que la police a Ă©tĂ© appliquĂ©e expressĂ©ment selon la demande de l’assurĂ©. Il est donc primordial pour les deux parties (la personne physique ou morale assurĂ©e et le courtier) de comprendre les obligations Ă la base de leur relation.
Les clients doivent s’attendre Ă ce que leur courtier ne se contente pas de leur proposer une couverture; celui-ci doit aussi leur signaler les lacunes importantes qu’elle pourrait contenir. Les courtiers, quant Ă eux, doivent faire preuve de diligence, c’est-Ă -dire comprendre leurs obligations et s’assurer que leurs pratiques commerciales reflètent les obligations strictes qui leur sont imposĂ©es par les tribunaux. Mais Ă quelles obligations fait-on rĂ©fĂ©rence?
« Nous vous avons informĂ© de tous les types de protection que vous pouviez souscrire. »
D’aucuns croiront que le rĂ´le du courtier d’assurance consiste simplement Ă prĂ©senter toutes les protections disponibles Ă ses clients. En rĂ©alitĂ©, il y a plus. Selon les tribunaux, il est raisonnable et opportun d’imposer aux courtiers d’assurance l’obligation de non seulement fournir des renseignements Ă leurs clients, mais encore de les conseiller. En effet, les courtiers ont l’obligation d’informer leur clientèle sur les diverses formes de protection nĂ©cessaires pour rĂ©pondre Ă ses besoins et pas uniquement sur les protections disponibles1.
Il arrive qu’une personne se contente de demander la « protection complète » plutĂ´t que de chercher Ă dĂ©terminer les couvertures prĂ©cises requises pour son entreprise. Dans ce cas, ou si un client ne fournit aucune directive et se fie plutĂ´t Ă son courtier, celui-ci doit se renseigner sur les activitĂ©s de son client pour Ă©valuer les risques prĂ©visibles et lui proposer les protections indiquĂ©es2.
Il est capital que le courtier comprenne les activitĂ©s de son client pour pouvoir lui proposer une protection pour des risques prĂ©cis et prĂ©visibles. Malheureusement, le client qui subit une perte ne peut se rendre compte qu’après coup que sa police n’est pas adĂ©quate. On peut alors l’accuser d’avoir mal lu sa police et de ne pas s’ĂŞtre aperçu que le risque n’Ă©tait pas couvert. Or, les tribunaux ont soulignĂ© que le fait que les assurĂ©s ne lisent pas leur police ou ne posent pas de questions sur celle-ci ne dĂ©charge en rien les courtiers de leur obligation d’informer les clients des lacunes de la couverture choisie3, 4.
Peut-ĂŞtre que le courtier n’a pas pu obtenir la couverture adĂ©quate demandĂ©e par le client ou rĂ©pondre Ă ses attentes de « protection complète ». Tout de mĂŞme, il doit informer la personne des lacunes dans la couverture choisie pour qu’elle puisse souscrire une assurance ailleurs, ou la conseiller sur la manière d’Ă©viter les lacunes5,6,7.
« Nous vous avons offert la protection demandĂ©e selon ce qui Ă©tait disponible Ă ce moment. »
Inversement, le client peut avoir demandĂ© des protections prĂ©cises au lieu d’une « protection complète ». Cependant, la couverture souhaitĂ©e n’Ă©tait peut-ĂŞtre pas disponible Ă ce moment. Dans ce cas, le courtier ne doit pas oublier que son obligation est d’exercer le degrĂ© de compĂ©tence et de diligence raisonnable. S’il est incapable d’offrir la protection demandĂ©e, il doit informer le client sans tarder afin d’empĂŞcher que celui-ci subisse une perte en se fiant Ă lui8.
Un courtier a assurĂ©ment l’obligation de connaĂ®tre les protections offertes par la compagnie d’assurance, mais doit aussi savoir ce qui pourrait donner lieu Ă un litige, et soit offrir les protections nĂ©cessaires, soit indiquer clairement au client les exclusions ou limites de la police9, 10.
Dans le fond, le courtier doit aller un peu plus loin : si la couverture demandĂ©e n’est pas offerte, il doit essayer de proposer les protections appropriĂ©es ou confirmer que le client comprend les exclusions et leurs consĂ©quences pour son entreprise. Et pendant la durĂ©e de la police, si de nouvelles exclusions s’ajoutent, les parties ne doivent pas oublier qu’en ne signalant pas ces exclusions dans la lettre de renouvellement, le courtier peut ĂŞtre tenu responsable. Celui-ci devra donc consigner : (1) les discussions importantes sur la police et les protections; (2) comment il a signalĂ© au client les lacunes dans la couverture et ce qui pourrait donner matière Ă litige; et (3) ce qu’il a fait pour offrir la protection demandĂ©e ou informer le client des limites de la protection.
« Vous n’avez ni donnĂ© de prĂ©cisions sur vos activitĂ©s ni posĂ© les bonnes questions. »
D’aucuns pourraient soutenir que lorsque le client n’indique pas clairement au courtier ses besoins, il peut arriver que la police soit incomplète. Cependant, les parties doivent savoir qu’il incombe au courtier de vĂ©rifier que ses clients sont protĂ©gĂ©s contre les risques prĂ©visibles assurables11.
Vu cette obligation, les tribunaux ont imposĂ© aux courtiers la responsabilitĂ© de s’informer sur les activitĂ©s de leurs clients pour leur conseiller les protections adĂ©quates12. S’il est dĂ©montrĂ© que la protection nĂ©cessaire existait au moment de la perte et que le client l’aurait fort probablement demandĂ©e, on pourrait conclure que le courtier a manquĂ© Ă son obligation13. Ne pas informer le client de manière Ă ce qu’il puisse se procurer les protections supplĂ©mentaires pour ses activitĂ©s peut constituer, en soi, une nĂ©gligence.
Conclusion
En dĂ©finitive, les courtiers d’assurance ont une obligation stricte de renseigner leurs clients sur les formes de protection nĂ©cessaires pour rĂ©pondre Ă leurs besoins, et non seulement celle de les informer des protections disponibles. Ils ne doivent pas oublier les raisons pour lesquelles les personnes morales et physiques demandent leurs services Ă la base : se faire conseiller. Les assurĂ©s doivent vĂ©rifier que leur courtier honore ses obligations durant la validitĂ© de la police pour se protĂ©ger eux-mĂŞmes et protĂ©ger leur entreprise contre les pertes non assurables. Comme l’a affirmĂ© la Cour : le courtier est un professionnel possĂ©dant des connaissances spĂ©cialisĂ©es, et l’assurĂ© est en droit de se fier Ă son expertise14. S’attendre Ă ce que le client connaisse aussi bien les assurances que le courtier, Ă©value ses propres besoins en matière de protection et pose les « bonnes questions » va Ă l’encontre de l’existence mĂŞme de la profession de courtier.
Jordan Kazan Baigrie est avocat chez Pallett Valo LLP, oĂą il exerce dans le domaine de la dĂ©fense dans les affaires d’assurances.
1 Fletcher c. SociĂ©tĂ© d’assurance publique du Manitoba (1990, CSC).
2 Fine’s Flowers Ltd. et al. v. General Accident Assurance Co. of Canada et al. (1977, ONCA).
3 Shaeen v. Meridian Insurance Group Inc. (2011, ONSC).
4 Elevli v. Crain & Schooley Insurance Brokers Ltd. (2018, ONSC).
6 CIA Inspection Inc. v. Dan Lawrie Insurance Brokers (2010 ONSC).
7 Alvaro v. InsureBC (Lee & Porter) Insurance Services (2019 BCSC).
10 2049390 Ontario Inc. v. Leung (2020, ONCA).
12 Ostenda v. Miranda (2012, ONSC).