Dans l’arrĂŞt Jackson v. Cooper, 2024 ABCA 272, la Cour d’appel de l’Alberta prĂ©cise comment calculer les intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement pour un accident de voiture conformĂ©ment Ă l’article 585.2 de l’Insurance Act. Ces intĂ©rĂŞts doivent ĂŞtre calculĂ©s au moyen d’un taux annuel de 4 % selon le paragraphe 4(1) de la Judgment Interest Act jusqu’au 8 dĂ©cembre 2020, après quoi le taux Ă appliquer est celui prescrit dans le Judgment Interest Regulation.
Contexte
Papa Jackson a eu un accident de voiture Ă Edmonton, en Alberta, le 21 octobre 2015. La partie dĂ©fenderesse a reconnu sa responsabilitĂ© et M. Jackson a obtenu des dommages-intĂ©rĂŞts pour ses blessures. Pendant le procès, l’AssemblĂ©e lĂ©gislative de l’Alberta a adoptĂ© l’Insurance (Enhancing Driver Affordability And Care) Amendment Act, qui a reçu la sanction royale le 9 dĂ©cembre 2020. Cette loi modificative ajoutait l’article 585.2 Ă l’Insurance Act, avec pour effet de rĂ©duire les intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement.
Procès
L’un des points en litige au procès Ă©tait le calcul des intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement. Il avait Ă©tĂ© dĂ©terminĂ© que l’article 585.2 ne s’appliquait qu’après la date de sanction royale (9 dĂ©cembre 2020). La dĂ©fense avait fait valoir que le taux d’intĂ©rĂŞt le plus bas devait plutĂ´t s’appliquer Ă partir de la date de l’accident. Le juge de première instance avait conclu que cela reviendrait Ă une application rĂ©troactive de l’article 585.2, ce qui n’Ă©tait pas justifiĂ©. La dĂ©fense n’avait pas rĂ©ussi Ă rĂ©futer la prĂ©somption contre l’application rĂ©troactive de la loi.
Le juge de première instance avait dĂ©fini ce qu’il entendait par « loi avec effet immĂ©diat », « loi avec effet rĂ©trospectif » et « loi avec effet rĂ©troactif ». Une loi avec effet immĂ©diat ne s’applique qu’aux faits se produisant après son entrĂ©e en vigueur. Une loi a un effet rĂ©troactif si elle s’applique Ă une situation oĂą tant les faits que l’effet juridique se sont dĂ©jĂ produits. Et une loi est rĂ©trospective si elle s’applique Ă une situation oĂą les faits se sont produits, mais que l’effet juridique est encore en cours. Le juge de première instance a statuĂ© que l’application de l’article 585.2 avant le 9 dĂ©cembre 2020 reviendrait Ă une application rĂ©troactive de la loi.
Il a par ailleurs conclu que les intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement sont un droit substantiel Ă©veillant une prĂ©somption contre l’application rĂ©troactive de la loi. Ce type de droit influe sur le rĂ©sultat d’une action, en l’espèce le jugement rendu. Les droits procĂ©duraux, eux, jouent sur la transformation de la cause d’action en rĂ©sultat juridique. Le juge de première instance a statuĂ© que le calcul des intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement n’a aucune incidence sur [traduction] « la manière dont le plaideur fait valoir sa cause d’action », et donc, que ces intĂ©rĂŞts ne constituent pas un droit procĂ©dural. Leur calcul est un droit substantiel, d’oĂą la prĂ©somption contre l’application rĂ©troactive de la loi.
Cette prĂ©somption n’a pas pu ĂŞtre rĂ©futĂ©e par la dĂ©fense. Ni l’objet affirmĂ© de l’article 585.2 (protĂ©ger le public en diminuant les primes d’assurance) ni le libellĂ© de l’Insurance Act et de la Judgment Interest Act n’ont suffi pour rĂ©futer ladite prĂ©somption.
D’après ces facteurs, le juge de première instance a tranchĂ© que l’article 585.2 ne s’appliquait qu’Ă l’intĂ©rĂŞt calculĂ© après le 9 dĂ©cembre 2020.
Appel
Deux des trois juges de la Cour d’appel de l’Alberta ont confirmĂ© la dĂ©cision du juge de première instance, avec nuance : la Cour a dĂ©terminĂ© que l’effet de la loi Ă©tait rĂ©trospectif et non rĂ©troactif. Les faits de l’espèce Ă©taient survenus avant la promulgation de la loi, mais l’effet juridique, lui, avait toujours cours lorsque la loi a Ă©tĂ© promulguĂ©e. La Cour a conclu que les faits ayant permis Ă M. Jackson d’obtenir des dommages-intĂ©rĂŞts non pĂ©cuniaires dĂ©coulaient de l’accident, survenu avant la promulgation de la loi. L’effet juridique n’Ă©tait pas terminĂ© puisque la poursuite Ă©tait en cours au moment de la promulgation de l’article 585.2.
La Cour d’appel a affirmĂ© que la dĂ©fense n’avait pas rĂ©ussi Ă rĂ©futer la prĂ©somption contre l’application rĂ©troactive de la loi. La dĂ©fense avait soutenu deux points : le premier, que la modification faisait partie d’une loi qui visait Ă rendre les assurances plus abordables en Ă©tablissant [traduction] « des mesures immĂ©diates pour stabiliser les primes », et le deuxième, qu’aucune disposition transitoire n’avait Ă©tĂ© prĂ©vue pour la modification, alors qu’il en existait pour les deux autres modifications importantes apportĂ©es au mĂŞme moment. Ces arguments ne permettaient pas de rĂ©futer la prĂ©somption.
La Cour a confirmĂ© la dĂ©cision du juge de première instance, selon laquelle les intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement rĂ©duits prĂ©vus dans le Judgment Interest Regulation ne s’appliquaient qu’après le 9 dĂ©cembre 2020.
Dissidence
L’honorable juge Grosse, qui s’est dissociĂ©e de la conclusion de la Cour, aurait accueilli l’appel.
Contrairement Ă la majoritĂ©, elle a dit que c’est la dĂ©cision qui Ă©tait Ă l’origine des intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement. Il faut qu’une dĂ©cision soit rendue et qu’un dĂ©lai s’Ă©coule pour que ces intĂ©rĂŞts s’appliquent. Au moment de la prise d’effet de l’article 585.2, les premières donnĂ©es de fait nĂ©cessaires Ă l’application des intĂ©rĂŞts Ă©taient inexistantes, et M. Jackson n’avait pas obtenu jugement. La juge Grosse a fait remarquer en outre que la Judgment Interest Act confère au tribunal la discrĂ©tion d’accorder des intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement. Elle a conclu que de modifier le calcul de ces intĂ©rĂŞts ne reviendrait pas Ă une application rĂ©trospective de la loi, et donc qu’il n’y avait aucune prĂ©somption contre l’application rĂ©trospective de la loi.
La juge Grosse a dĂ©clarĂ© que la dĂ©fense avait rĂ©ussi Ă rĂ©futer la prĂ©somption, donc que c’est le taux le plus bas qui devait s’appliquer au calcul des intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement.
Conclusion
Pour un accident survenu avant le 8 dĂ©cembre 2020, le calcul des intĂ©rĂŞts antĂ©rieurs au jugement continue de se faire au taux de 4 % pour les dommages-intĂ©rĂŞts non pĂ©cuniaires, mais après cette date, c’est le taux rĂ©duit prĂ©vu dans le Judgment Interest Regulation qui s’applique.
Dylan Sigurdson, stagiaire en droit.