Introduction
Les arguments juridiques concernant la dĂ©finition d’un seul terme peuvent donner l’impression de n’ĂŞtre guère plus qu’arguties sĂ©mantiques pour qui mĂ©connaĂ®t le droit des assurances. Or, les dĂ©bats sur des dĂ©tails d’interprĂ©tation sont souvent au cĹ“ur de procĂ©dures en droit des assurances oĂą les enjeux sont gros. L’analyse de ces litiges dĂ©termine souvent si la procĂ©dure se termine par un gros paiement, ou par une action rejetĂ©e Ă juste titre. Dans Trillium Mutual Insurance Company v. Emond1, la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchĂ©e sur la question de savoir si les règlements entraient ou non dans la dĂ©finition du terme « loi » au sens d’une police d’assurance des propriĂ©taires occupants.
Contexte
La famille Emond habitait une rĂ©sidence près de la rivière des Outaouais, dans le territoire de compĂ©tence de l’Office de protection de la nature de la vallĂ©e Mississippi (l’« OPNVM »). Leur propriĂ©tĂ© Ă©tait assujettie aux politiques rĂ©glementaires de l’OPNVM rĂ©gissant les dĂ©veloppements adjacents aux rivières, lacs, berges, terres Ă risque et milieux humides. Une inondation a gravement endommagĂ© la maison des Emond, qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e perte totale2.
La police d’assurance
Les Emond souhaitaient dĂ©poser une rĂ©clamation pour la perte de leur maison au titre de leur assurance des propriĂ©taires occupants, souscrite auprès de la Trillium Mutual Insurance Company (« Trillium »).
Cette police contenait un avenant de [traduction] « valeur Ă neuf garantie » stipulant que Trillium paierait au titulaire de police le coĂ»t de reconstruction d’une habitation dĂ©truite avec des matĂ©riaux de qualitĂ© Ă©quivalente et selon les normes de construction actuelles.
La police comportait aussi une clause d’exclusion prĂ©cisant que Trillium ne couvrirait pas les [traduction] « coĂ»ts supplĂ©mentaires de rĂ©paration ou de remplacement attribuables Ă l’application de toute loi en matière de zonage, de dĂ©molition, de restauration ou de construction des bâtiments ». Autrement dit, si la reconstruction d’une rĂ©sidence engendrait des coĂ»ts additionnels suivant l’application de toute « loi » en lien avec le zonage ou des travaux de dĂ©molition ou de construction, Trillium ne paierait pas ces coĂ»ts additionnels.
MalgrĂ© cela, la police prĂ©voyait aussi un avenant de [traduction] « garantie relative aux règlements de construction et Ă la conformitĂ© au Code » opĂ©rant comme une exception Ă la clause d’exclusion. Cet avenant stipulait que, nonobstant l’exclusion, Trillium couvrirait Ă hauteur de 10 000 $ les dĂ©penses additionnelles engagĂ©es pour se conformer [traduction] « Ă toute “loi” en matière de zonage, de dĂ©molition ou de construction ». En clair, la couverture des coĂ»ts de conformitĂ© Ă©tait plafonnĂ©e Ă 10 000 $.
Au moment de faire reconstruire leur maison, les Emond devaient respecter les politiques rĂ©glementaires de l’OPNVM, d’oĂą des coĂ»ts additionnels de conformitĂ©. Trillium a convenu qu’elle devait couvrir le coĂ»t de la reconstruction conformĂ©ment Ă l’avenant de « valeur Ă neuf garantie ». Elle a aussi convenu de payer les 10 000 $ en coĂ»ts de conformitĂ© aux termes de l’exception Ă la clause d’exclusion.
En revanche, un litige est survenu autour de la question de savoir si Trillium devait payer plus que l’indemnitĂ© additionnelle de 10 000 $ consentie pour l’observance des politiques rĂ©glementaires de l’OPNVM.
La demande
Les parties ont comparu devant la juge saisie de la demande afin de savoir si Trillium devrait rembourser les coĂ»ts de conformitĂ© additionnels au-delĂ de 10 000 $. Les Emond ont fait valoir que Trillium devait couvrir ces dĂ©penses du fait qu’elles n’Ă©taient exclues que si elles Ă©taient en lien avec l’observance d’une « loi », et que les politiques rĂ©glementaires de l’OPNVM n’Ă©taient pas des « lois », mais plutĂ´t des règlements ou des politiques.
De son cĂ´tĂ©, Trillium a affirmĂ© que les règles, les règlements, la rĂ©glementation, et les ordonnances entraient tous dans la dĂ©finition du terme « loi » au sens de la clause d’exclusion. Par consĂ©quent, Trillium Ă©tait d’avis que la clause d’exclusion s’appliquait et qu’elle n’avait donc pas Ă couvrir les coĂ»ts de conformitĂ© additionnels au-delĂ des 10 000 $ convenus.
La juge a donnĂ© raison Ă la famille Emond, concluant que le terme « loi » dĂ©signait uniquement les lois et actes lĂ©gislatifs et excluait les règles, les règlements, la rĂ©glementation et les ordonnances3. Elle a donc Ă©tabli que les Emond Ă©taient en droit de rĂ©clamer le coĂ»t de reconstruction de leur maison de mĂŞme que tous les coĂ»ts additionnels de conformitĂ© aux politiques rĂ©glementaires de l’OPNVM au-delĂ des 10 000 $ dĂ©jĂ prĂ©vus par l’exception Ă la clause d’exclusion4.
L’appel de Trillium
Ă€ la Cour d’appel de l’Ontario, Trillium a soutenu que la juge saisie de la demande avait errĂ© en concluant que les coĂ»ts de conformitĂ© au-delĂ de cette somme de 10 000 $ devaient ĂŞtre remboursĂ©s. Elle a fait valoir que sans ce plafond, elle se verrait obligĂ©e de dĂ©bourser un montant illimitĂ© en coĂ»ts de conformitĂ©, ce qui Ă©tait injustifiable sur le plan commercial et revenait Ă faire fi de la clause d’exclusion5.
La Cour a fait droit Ă l’appel et dĂ©clarĂ© que la juge avait errĂ© dans son interprĂ©tation du terme « loi » comme excluant les règles, les règlements, la rĂ©glementation, et les ordonnances. La Cour a citĂ© des dĂ©finitions du dictionnaire et de la jurisprudence, et conclu que [traduction] « par consĂ©quent, le sens ordinaire du terme “loi” englobe la lĂ©gislation et la rĂ©glementation qui lui est subordonnĂ©e, tels que les règlements6 ».
De plus, la Cour a dĂ©clarĂ© que l’exclusion stipulĂ©e dans la police de Trillium contenait dans son libellĂ© non pas simplement le terme « loi », mais bien [traduction] « toute loi », et que Trillium avait donc aussi pour intention d’inclure dans ce terme les règles, les règlements, la rĂ©glementation et les ordonnances7.
En outre, la Cour a aussi attirĂ© l’attention sur le fait patent que [traduction] « si l’exclusion ne s’appliquait pas aux coĂ»ts additionnels en lien avec l’observance des règlements, de la rĂ©glementation, ou des ordonnances, alors l’exception ne saurait non plus s’appliquer dans le sens d’une “protection additionnelle” au montant de 10 000 $8 ».
Au bout du compte, la Cour a conclu que l’exclusion s’appliquait aux coĂ»ts additionnels d’observance des politiques rĂ©glementaires de l’OPNVM au-delĂ des 10 000 $ prĂ©vus Ă la clause d’exception9.
Conclusion
L’implication la plus claire de cette affaire, c’est que gĂ©nĂ©ralement, lorsqu’une police d’assurance mentionne le terme « loi », ce terme sera interprĂ©tĂ© comme englobant les règlements, la rĂ©glementation, et les ordonnances en plus des lois et actes lĂ©gislatifs. Ainsi, toute argumentation soutenant qu’il n’englobe pas tous ces Ă©lĂ©ments sera probablement rejetĂ©e, du moins en ce qui concerne l’interprĂ©tation d’une police d’assurance.
Cette affaire met aussi en Ă©vidence la lourdeur des consĂ©quences que peut occasionner l’interprĂ©tation d’un seul mot. Comme Trillium l’a soulignĂ©, si le terme « loi » n’englobait pas la rĂ©glementation, les règlements, et les ordonnances, elle aurait Ă©tĂ© obligĂ©e de dĂ©bourser une somme illimitĂ©e Ă la famille Emond pour garantir l’observance des politiques rĂ©glementaires de l’OPNVM10.
Michael A. Valdez, Stieber Berlach LLP.
Notes de bas de page
1 Trillium Mutual Insurance Company v. Emond, 2023 ONCA 729.
10 Ibid., para 32. Voir aussi, para 31 de la décision concernant la demande : Emond v. Trillium Mutual Insurance Company, 2022 ONSC 5519.