(Partie 2 de 2)
Dans la première partie de cet article, je faisais remarquer que nul ne peut prĂ©dire l’avenir. Je prĂ©dis tout de mĂŞme que lorsque les tribunaux reprendront leurs activitĂ©s rĂ©gulières, ils seront submergĂ©s par un afflux de dossiers se faisant concurrence pour les mĂŞmes ressources judiciaires. En plus des causes toujours non rĂ©glĂ©es qui Ă©taient dĂ©jĂ dans le système avant l’arrivĂ©e de la COVID-19, il faut s’attendre Ă de nouveaux problèmes en matière de pension alimentaire, Ă des difficultĂ©s liĂ©es aux biens (y compris des faillites), Ă un stress accru et des traumatismes aggravĂ©s dĂ©coulant de la violence familiale, et Ă de nouvelles sĂ©parations.
Depuis la suspension des activitĂ©s rĂ©gulières Ă la mi-mars 2020, le nombre de difficultĂ©s urgentes temporaires liĂ©es au rĂ´le parental sur lesquelles les tribunaux ont eu Ă se pencher a explosĂ©. J’ai dĂ©jĂ rĂ©digĂ© un article au sujet de ce qu’il faut retenir de la jurisprudence en matière de responsabilitĂ© parentale (disponible en anglais seulement). En revanche, la jurisprudence sur la pension alimentaire urgente temporaire au profit des enfants ou des Ă©poux est nettement moins abondante. Alex Boland prĂ©sente une excellente analyse (uniquement en anglais) de quelques-unes des plus rĂ©centes dĂ©cisions ontariennes en la matière, lesquelles se contredisent Ă certains Ă©gards. Plus le temps passe, plus le nombre de dĂ©cisions portant sur des enjeux urgents de pension alimentaire augmente1.
Le vendredi 5 juin 2020, le gouvernement de l’Ontario a modifiĂ© un règlement dans le but essentiellement d’autoriser le bureau provincial d’exĂ©cution des ordonnances alimentaires Ă rĂ©tablir les suspensions de permis de conduire Ă compter du lundi 8 juin 2020. Lorsque cela commencera, je prĂ©dis que les tribunaux de l’Ontario seront inondĂ©s de dossiers en pension alimentaire.
Les tribunaux ont exigĂ© Ă juste titre des parents dĂ©biteurs qu’ils s’en tiennent aux normes les plus Ă©levĂ©es en matière de communication et ont critiquĂ© ceux qui faisaient passer leurs propres besoins avant ceux de leurs personnes Ă charge. Je crains toutefois qu’il manque aux familles les plus vulnĂ©rables — dĂ©biteurs, crĂ©anciers et enfants — des directives claires pour leur permettre de rĂ©soudre les problèmes de pension alimentaire.
Par exemple, dans la cause ontarienne Land v. Tudor (dĂ©cision = en anglais), le parent dĂ©biteur qui se reprĂ©sentait seul a demandĂ© l’autorisation de dĂ©poser une requĂŞte urgente en pension alimentaire, mais son dossier Ă©tait incomplet et il s’est trompĂ© quant Ă la procĂ©dure Ă suivre pour demander une ordonnance provisoire par rapport Ă une ordonnance dĂ©finitive (aux paragraphes 5 Ă 8). Je suis d’avis que cette procĂ©dure est très dĂ©routante. Dans le premier volet de mon article, je souligne Ă quel point il est difficile de dĂ©terminer si nous sommes en prĂ©sence d’un changement de situation suffisamment important pour justifier la modification dĂ©finitive d’une ordonnance alimentaire.
Il est possible que de nombreux ex-conjoints règlent les questions de pension alimentaire de façon « temporaire, temporaire sans prĂ©judice », comme l’ont fait les tribunaux dans le contexte parental (J.W. v. C.H., 2020 BCPC 52 (CanLII), au paragraphe 17, disponible uniquement en anglais). Je soutiens sans rĂ©serve l’idĂ©e de recourir Ă toutes les options de règlement Ă l’amiable lorsque cela convient. Toutefois, les nĂ©gociations ont souvent lieu « Ă l’abri du droit ». Les orientations fournies par la jurisprudence aident les familles Ă rĂ©gler de nombreux problèmes hors cour2.
Par ailleurs, je crois que plusieurs familles ne parviennent pas Ă rĂ©gler leurs problèmes — que ce soit en cour ou hors cour. Surcharge rime souvent avec inaction. Les familles qui subissent les rĂ©percussions de la COVID-19 comme une perte d’emploi ou un ralentissement des activitĂ©s commerciales Ă©prouvent dĂ©jĂ des difficultĂ©s Ă©conomiques importantes. Que va-t-il leur arriver?
Outre le fait d’encourager les rĂ©solutions hors cour, comment Ă©liminer le retard accumulĂ© par les tribunaux dans les meilleurs dĂ©lais et de façon proportionnĂ©e, plus abordable et, en fin de compte, plus Ă©quitable pour les familles qui ont dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin de l’aide des tribunaux?
On a beaucoup parlĂ© du recours aux nouvelles technologiques et je me rĂ©jouis aussi que les tribunaux s’en servent pour faciliter un certain nombre limitĂ© d’activitĂ©s judiciaires. Je sais qu’il s’agit de questions complexes qui ont Ă©tĂ© terriblement sous-financĂ©es depuis toujours. Mais je ne crois pas que la technologie soit la solution en soi.
La procĂ©dure judiciaire doit ĂŞtre simplifiĂ©e pour la rendre accessible au public qu’elle prĂ©tend servir. On devrait pouvoir aboutir Ă un règlement plus rapidement et de façon proportionnĂ©e. Un accès retardĂ© Ă©quivaut Ă un accès refusĂ©. Pour les affaires plus simples dans lesquelles les parties ne s’entendent pas, la procĂ©dure devrait ĂŞtre simplifiĂ©e. Cela libèrerait des ressources judiciaires pour les affaires plus complexes.
J’aimerais attirer l’attention sur deux petits Ă©largissements de la procĂ©dure qui reprĂ©sentent selon moi des mesures de redressement temporaires utiles dans les affaires de pension alimentaire, et qui pourraient Ă©ventuellement ĂŞtre adaptĂ©s pour des requĂŞtes en modification/requĂŞtes visant Ă modifier des mesures de redressement dĂ©finitives :
- La Cour suprĂŞme de la Colombie-Britannique, depuis le 27 avril, permet aux parties de la saisir de certaines questions simples et non urgentes au moyen d’observations Ă©crites. On trouve dans l’avis de la Cour des indications sur ce que doit contenir le dossier dĂ©posĂ©, y compris le nombre limite de pages. La Cour conserve son pouvoir discrĂ©tionnaire de dĂ©cider s’il convient ou non de trancher la question sur la foi des observations Ă©crites. On commence Ă trouver de plus en plus de dĂ©cisions rendues aux termes de cette procĂ©dure [C.G.R. v J.L.R, 2020 BCSC 842 (CanLII), (disponible uniquement en anglais)].
- La Cour supĂ©rieure de justice de la rĂ©gion centre-sud de l’Ontario, depuis le 19 mai 2020, permet les motions sur pièces « [l]orsque toutes les parties conviennent que la motion peut ĂŞtre instruite en se fondant sur les documents Ă©crits seulement, sans la tenue d’une audience par tĂ©lĂ©confĂ©rence ».
Les dĂ©fis sont diffĂ©rents d’un ressort Ă l’autre. Ce qui me prĂ©occupe, c’est l’inĂ©galitĂ© dans l’accès aux tribunaux. Si les tribunaux qui ont moins de capacitĂ© pour instruire les affaires non urgentes sont dĂ©sormais limitĂ©s, comment espèrent-ils venir Ă bout du retard accumulĂ© lorsque les activitĂ©s reprendront? MĂŞme s’il n’y a pas de solution universelle, les affaires peuvent ĂŞtre examinĂ©es de façon Ă©quitable en ayant recours Ă diverses procĂ©dures par dĂ©faut et en encourageant la crĂ©ativitĂ© dans les règlements.
J’espère que mes prĂ©dictions sur le retard accumulĂ© ne se rĂ©aliseront pas. Cependant, je me considère comme une personne pragmatique qui tend Ă devenir une optimiste sceptique. Si l’ensemble des parties intĂ©ressĂ©es pouvaient conjuguer leurs efforts pour optimiser la technologie et simplifier la procĂ©dure, je suis convaincue que notre système de justice pourrait rĂ©ellement offrir un accès moderne Ă la justice. Après tout, malgrĂ© des dĂ©fis imposants, amĂ©liorer l’accès Ă la justice des familles sĂ©parĂ©es vaut certainement la peine que l’on poursuive nos efforts collectifs.
Vanessa Lam est conseillère stratégique en droit de la famille et avocate effectuant de la recherche exerçant en Ontario.
2 Cette obligation prend d’ailleurs de plus en plus d’importance Ă la lumière des modifications apportĂ©es Ă la Loi sur le divorce, dont plusieurs entreront en vigueur le 1er mars 2021. Voir https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-78/sanction-royal, [une nouvelle dĂ©finition de « mĂ©canisme de règlement des diffĂ©rends familiaux » est introduite Ă l’article 2, nouvel article 7.3 (obligation des parties), nouvel alinĂ©a 7.2.(2) a) (obligation des conseillers juridiques) et nouveau paragraphe 16.1(6) (sous rĂ©serve du droit provincial, l’ordonnance peut obliger les parties Ă avoir recours Ă des mĂ©canismes de règlement des diffĂ©rends familiaux)].