Les avocats et les avocates pratiquant le droit de la famille sont approchĂ©s rĂ©gulièrement par des clients qui demandent une augmentation rĂ©troactive du montant de la pension alimentaire et par ceux qui se dĂ©fendent contre de telles demandes. Dans l’arrĂŞt D.B.S. c. S.R.G., [2006] 2 RCS 231, la Cour suprĂŞme du Canada a Ă©noncĂ© le critère et les principes juridiques qui s’appliquent pour dĂ©terminer si des ordonnances rĂ©troactives devraient ĂŞtre rendues.
Dans l’arrĂŞt prĂ©citĂ©, la Cour suprĂŞme a confirmĂ© que les ordonnances alimentaires rĂ©troactives ne sont ni rares ni exceptionnelles, et a formulĂ© les principes gĂ©nĂ©raux suivants :
- La pension alimentaire confère un droit Ă l’enfant, et un parent ne peut aliĂ©ner le droit de son enfant Ă des aliments conformĂ©ment Ă l’arrĂŞt Willick c. Willick, [1994] 3 RCS 670. Les parents ont l’obligation de subvenir aux besoins de leurs enfants en fonction de leur revenu, comme l’exigent les Lignes directrices fĂ©dĂ©rales sur les pensions alimentaires pour enfants. Cette obligation, tout comme le droit corollaire de l’enfant aux aliments existe indĂ©pendamment de toute loi ou ordonnance judiciaire.
Le parent crĂ©ancier et le parent dĂ©biteur ont tous deux la responsabilitĂ© de s’assurer du versement du montant de pension alimentaire appropriĂ©. Bien que l’ordonnance alimentaire doive offrir au parent dĂ©biteur prĂ©visibilitĂ© et, dans une certaine mesure, certitude, pour la gestion de ses affaires, cette ordonnance ne dispense pas le parent crĂ©ancier ou le parent dĂ©biteur de l’obligation de faire en sorte que l’enfant bĂ©nĂ©ficie toujours d’une pension alimentaire appropriĂ©e.
- Le tribunal saisi d’une demande d’ordonnance rĂ©troactive doit mettre en Ă©quilibre la certitude du parent dĂ©biteur avec l’impĂ©ratif de l’Ă©quitĂ© envers l’enfant et celui de la souplesse. Tous les facteurs doivent ĂŞtre examinĂ©s, y compris la raison pour laquelle le parent crĂ©ancier a tardĂ© Ă demander l’ordonnance alimentaire, le comportement du parent dĂ©biteur, les situations antĂ©rieure et actuelle de l’enfant ainsi que les difficultĂ©s que pourrait causer une ordonnance rĂ©troactive au parent dĂ©biteur.
- Si le parent crĂ©ancier est reconnu avoir droit Ă une ordonnance rĂ©troactive, en règle gĂ©nĂ©rale, le tribunal doit la faire rĂ©troagir, jusqu’Ă concurrence de trois ans, Ă la date Ă laquelle le parent crĂ©ancier a rĂ©ellement informĂ© le parent dĂ©biteur, Ă moins que ce dernier ne se soit comportĂ© de façon rĂ©prĂ©hensible.
L’issue des demandes rĂ©troactives dĂ©pend invariablement des faits. Il y a des diffĂ©rences importantes entre les cas oĂą il existe une ordonnance ou une entente antĂ©rieure en matière de pension alimentaire et les cas oĂą il n’en existe pas. Si une ordonnance ou une entente existe, le parent dĂ©biteur aura Ă©tĂ© mis au courant de son obligation de payer la pension alimentaire et du fait que ce montant devrait ĂŞtre rajustĂ© compte tenu des modifications de son revenu. Toutefois, en l’absence d’une ordonnance ou d’une entente existante, il est possible que le parent dĂ©biteur n’ait pas Ă©tĂ© mis au courant de son obligation de verser une pension alimentaire pour enfants et qu’il ait pu se fonder sur une entente informelle relative au partage des dĂ©penses conclue avec le parent crĂ©ancier.
Les deux questions que les clients posent le plus souvent quant au critère Ă©noncĂ© dans l’arrĂŞt D.B.S. c. S.R.G. portent sur la date de l’information rĂ©elle et le genre de comportement qui constitue un comportement rĂ©prĂ©hensible.
L’information rĂ©elle et les mesures prises par les parents crĂ©anciers
L’« information rĂ©elle » donne lieu Ă une interprĂ©tation large, soit « toute indication du parent crĂ©ancier qu’une pension alimentaire devrait lui ĂŞtre versĂ©e pour l’enfant ou, s’il en touche dĂ©jĂ une, que son montant devrait ĂŞtre rĂ©visĂ© ». L’information rĂ©elle ne suppose pas l’exercice d’un recours judiciaire par le parent crĂ©ancier; il suffit que ce dernier aborde le sujet avec le parent dĂ©biteur[1].
Le raisonnement qui sous-tend l’information rĂ©elle comme Ă©tant la date des rajustements rĂ©troactifs est qu’il s’agit de la date Ă laquelle le parent dĂ©biteur est prĂ©sumĂ© savoir que des questions ont Ă©tĂ© soulevĂ©es au sujet du caractère adĂ©quat du paiement de la pension alimentaire. Le parent crĂ©ancier doit toutefois prendre des mesures après avoir donnĂ© l’avis et ne pas permettre que la question traĂ®ne indĂ©finiment[2].
En cas de pĂ©riode d’inaction prolongĂ©e de la part du parent crĂ©ancier après avoir donnĂ© son avis, la certitude du parent dĂ©biteur peut ĂŞtre utilisĂ©e pour contester les rajustements proposĂ©s. L’inaction est Ă©galement susceptible de compromettre la demande du parent crĂ©ancier qui invoque qu’une augmentation du montant de la pension Ă©tait nĂ©cessaire pour rĂ©pondre aux besoins de l’enfant.
Toutefois, les parents crĂ©anciers peuvent ĂŞtre en mesure de justifier leur inaction s’ils craignent le parent dĂ©biteur, s’ils ont retardĂ© le dĂ©pĂ´t de la demande par suite de violence familiale ou s’ils n’ont pas Ă©tĂ© en mesure de retenir les services d’un avocat en raison de ressources financières limitĂ©es.
Comportement répréhensible et comportement du parent débiteur
Lorsque le parent dĂ©biteur s’est comportĂ© de façon rĂ©prĂ©hensible, l’ordonnance est prĂ©sumĂ©e prendre effet Ă la date Ă laquelle la situation a sensiblement changĂ© plutĂ´t qu’Ă la date de l’information rĂ©elle. Dans de tels cas, il est possible de faire rĂ©troagir l’ordonnance Ă plus de trois ans.
L’arrĂŞt D.B.S. c. S.R.G ne prĂ©cise pas suffisamment clairement en quoi consiste un « comportement rĂ©prĂ©hensible ». Il dĂ©finit cette expression s’agissant du parent dĂ©biteur qui accorde la prioritĂ© Ă ses intĂ©rĂŞts plutĂ´t qu’Ă l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant, et au droit de l’enfant Ă un niveau appropriĂ© d’aliments. Cependant, un certain nombre de dĂ©cisions rendues depuis l’arrĂŞt D.B.S. c. S.R.G. ont apportĂ© plus d’Ă©clairage aux types de comportements susceptibles de constituer un comportement rĂ©prĂ©hensible, y compris :
i) le parent dĂ©biteur qui cache ses augmentations de revenu ou son changement d’emploi au parent crĂ©ancier et qui ne fournit pas ses renseignements financiers[3];
ii) le parent débiteur qui tente de dissuader le parent créancier de présenter une demande de pension alimentaire en ayant recours à des moyens de pression ou aux menaces[4];
iii) le parent dĂ©biteur qui induit en erreur le parent crĂ©ancier en lui faisant croire qu’il s’acquitte de son obligation alimentaire alors qu’il n’en est rien, y compris en faisant une reprĂ©sentation erronĂ©e de son revenu[5].
Cependant, tout comme le comportement du parent dĂ©biteur peut justifier une ordonnance rĂ©troactive plus longue, un tel comportement peut Ă©galement attĂ©nuer une telle ordonnance. Par exemple, si le parent dĂ©biteur a payĂ© volontairement les dĂ©penses supplĂ©mentaires d’un enfant sans y ĂŞtre formellement tenu, il est possible qu’une ordonnance rĂ©troactive ne soit pas rendue ou que le montant soit rĂ©duit.
En rĂ©sumĂ©, les augmentations rĂ©troactives de pension alimentaire seront fonction de la date Ă laquelle le parent crĂ©ancier donne l’avis formel au parent dĂ©biteur ainsi que du comportement du parent dĂ©biteur. Le parent crĂ©ancier doit aborder le sujet dès qu’il est raisonnablement possible de le faire et prendre des mesures pour obtenir le rajustement de la pension alimentaire. Afin d’Ă©viter une conclusion de comportement rĂ©prĂ©hensible, les parents dĂ©biteurs devraient fournir leurs renseignements financiers complets et Ă©viter d’utiliser des tactiques d’intimidation.
Bien que dans l’arrĂŞt D.B.S. c. S.R.G., la Cour ait conclu que le titulaire du droit Ă la pension alimentaire est l’enfant, les gestes posĂ©s par chacun des parents peuvent modifier le montant auquel il a droit. Cela s’explique peut-ĂŞtre par le fait que la Cour tienne Ă la prĂ©visibilitĂ© et se prĂ©occupe de la contrainte excessive pour le parent dĂ©biteur.
Robynne B. Kazina est associée au sein du cabinet Taylor McCaffrey LLP, à Winnipeg.