Remarque. Cet article a Ă©tĂ© publiĂ© en ligne (en anglais) pour la première fois sous forme de billet et est reproduit avec l’autorisation de son auteure.
Dans l’arrĂŞt Rikhye v. RikhyeNote de bas de page 1, le juge Bloom se penche sur la question de savoir si un tiers qui n’est pas une partie au litige peut ĂŞtre autorisĂ© Ă assister Ă un contre-interrogatoire en tant que soutien moral d’une aĂ®nĂ©e dont il est allĂ©guĂ© qu’elle a Ă©tĂ© victime de maltraitance.
Le juge a examinĂ©, en particulier, le fait que la demanderesse, qui devait ĂŞtre tĂ©moin lors du contre-interrogatoire, Ă©tait vulnĂ©rable et influençable. La difficultĂ© rĂ©sidait non seulement dans la question de savoir si l’Ă©tat de la demanderesse nĂ©cessitait la prĂ©sence d’une personne offrant un soutien, mais Ă©galement dans celle de savoir lequel des deux enfants adultes de la demanderesse risquait le plus d’influencer ses rĂ©ponses.
Faits
La demanderesse est une femme de 84 ans dépressive et anxieuse. Elle a vécu avec son fils et sa bru entre 2012 et 2016 dans une résidence sise à Brampton. En 2016, elle a déménagé pour aller vivre chez sa fille.
Peu après avoir emmĂ©nagĂ© chez sa fille, la mère a entamĂ© une procĂ©dure cherchant Ă faire annuler le transfert de la propriĂ©tĂ© de Brampton Ă son fils et Ă sa bru [traduction] « au motif de mauvais traitements infligĂ©s Ă une personne âgĂ©e »Note de bas de page 2. La demanderesse a en outre signifiĂ© une requĂŞte visant Ă obtenir un certificat d’affaire en instance. Dans les mĂŞmes moments, la demanderesse et sa fille (maintenant fournisseur de soins) se sont prĂ©sentĂ©es au commissariat de police pour dĂ©poser une plainte contre son fils, que la police a arrĂŞtĂ© pour [traduction] « mauvais traitements infligĂ©s Ă une personne âgĂ©e »Note de bas de page 3. En fin de compte, aucune accusation n’a Ă©tĂ© portĂ©e Ă son encontre.
La mère a dĂ©posĂ© deux affidavits Ă l’appui de la requĂŞte visant Ă obtenir un certificat d’affaire en instance. Son contre-interrogatoire portant sur ces deux affidavits, auquel elle souhaitait que sa fille assiste, devait avoir lieu le 16 aoĂ»t 2017.
Les parties ont déposé des motions incidentes portant sur la question de savoir si la fille devait être autorisée à assister au contre-interrogatoire.
L’avocat de la mère soutenait que sa cliente Ă©tait [traduction] « Ă bout de nerfs » et prenait des anxiolytiques et des antidĂ©presseurs. Il a soulignĂ© qu’il Ă©tait facile de la manipuler et qu’elle avait du mal Ă faire face Ă son fils, dont elle allĂ©guait qu’il avait pillĂ© ses biens. L’avocat a en outre affirmĂ© que personne d’autre que sa fille ne pouvait lui apporter le soutien dont elle avait besoin.
La dĂ©fense a convenu qu’il Ă©tait facile de manipuler la mère, mais a soutenu que la prĂ©sence de la fille pourrait ĂŞtre cause de manipulation. Un autre fils a tĂ©moignĂ© que sa mère [traduction] « aime beaucoup les personnes qui s’occupent d’elle et leur fait entièrement confiance […] [et] elle ferait n’importe quoi pour Ă©viter de fâcher […] la personne qui s’occupe d’elle ». Selon le fils, la mère [traduction] est « dans le besoin et ne veut pas offenser qui que ce soit »Note de bas de page 4. L’avocat de la dĂ©fense a soutenu que la fille avait dĂ©jĂ fait Ă©tat de son opinion en provoquant l’arrestation du fils dĂ©fendeur. Il a en outre soulignĂ© que la crĂ©dibilitĂ© est un enjeu important pour la requĂŞte visant Ă obtenir un certificat d’affaire en instance et que le contre-interrogatoire comporterait des questions au sujet de la prĂ©sence de la mère au commissariat de police.
Il a Ă©tĂ© reconnu que la Cour pourrait, sans commettre d’erreur, autoriser la prĂ©sence d’une personne de soutien appropriĂ©e, mais les dĂ©fendeurs ont soutenu que la fille n’Ă©tait pas la personne appropriĂ©e.
Analyse
Le juge Bloom, se fondant sur la dĂ©cision rendue par le protonotaire Dash dans l’affaire Poulton v. A.& P. Properties Limited, 2005 CanLII 4105 et celle rendue par le protonotaire Muir dans l’affaire DeGrandis v. 1123951 Ontario Limited, 2016 ONSC 4335 (deux dĂ©cisions disponibles uniquement en anglais), a affirmĂ© les principes suivants concernant l’accord d’une autorisation Ă un tiers n’Ă©tant pas partie au litige d'assister aux contre-interrogatoires.
- Un tiers n’Ă©tant pas partie au litige peut ĂŞtre prĂ©sent pour assister une partie en litige seulement si la partie opposĂ©e y consent ou si le tribunal l’a ordonnĂ©.
- La partie qui demande l’ordonnance est tenue d’Ă©tablir son droit Ă ĂŞtre prĂ©sente.
- Le tiers n’Ă©tant pas partie au litige ne devrait pas ĂŞtre tĂ©moin lors du procès subsĂ©quent.
- La prĂ©sence du tiers n’Ă©tant pas partie au litige ne doit pas entraver l’interrogatoire.
- Le tiers n’Ă©tant pas partie au litige ne doit ni assumer le rĂ´le de tĂ©moin ni aider le tĂ©moin Ă rĂ©pondre aux questions.
Aux principes susmentionnĂ©s, le juge Bloom a ajoutĂ© celui selon lequel la Cour, lorsqu’elle tranche la question de l’autorisation de la prĂ©sence d’un tiers n’Ă©tant pas partie au litige est tenue d’envisager l’Ă©quitĂ© substantielle envers les parties, aussi bien que l’apparence d’Ă©quitĂ© envers celles-ci.
Le juge Bloom a conclu qu’alors qu’il n’hĂ©siterait pas Ă approuver la prĂ©sence d’une personne de soutien qualifiĂ©e pour aider Ă ce que le contre-interrogatoire soit appropriĂ©, en l’espèce, considĂ©rant les principes Ă©noncĂ©s ci-dessus, la demanderesse n’a pas Ă©tabli la nĂ©cessitĂ© d’obtenir une telle ordonnance.
Étant donnĂ© que la fille avait obtenu l’arrestation du fils, ce dernier ne pourrait pas se fier Ă l’Ă©quitĂ© du contre-interrogatoire si elle y assistait.
Le juge Bloom a en outre mentionnĂ© le moment du dĂ©but de l’action, soit peu de temps après l’emmĂ©nagement de la mère chez sa fille. Il a soulignĂ© que le fait de permettre Ă cette dernière d’assister au contre-interrogatoire crĂ©ait un risque d’iniquitĂ©, tant substantielle qu’en apparence.
En fin de compte, le juge Bloom a rejetĂ© la motion incidente de la demanderesse et a accueilli celle du dĂ©fendeur, interdisant Ă la fille d’assister au contre-interrogatoire.
Enseignements
La Cour peut approuver la prĂ©sence d’une personne de soutien appropriĂ©e lors d’un contre-interrogatoire pour qu’elle aide cette partie, particulièrement lorsque cette dernière est vulnĂ©rable. Étant donnĂ© que les contre-interrogatoires ne sont pas une procĂ©dure publique, un tiers n’Ă©tant pas partie au litige ne peut y assister que sur consentement [de la partie opposĂ©e] ou sur ordonnance de la Cour. Il incombe Ă la partie qui demande l’ordonnance d’Ă©tablir qu’elle a le droit d’assister au contre-interrogatoire. Pour trancher la question de savoir si un tiers n’Ă©tant pas partie au litige peut ĂŞtre autorisĂ© Ă assister Ă un contre-interrogatoire, la Cour est tenue d’envisager l’Ă©quitĂ© envers les parties, non seulement substantielle mais aussi en apparence.
Toutefois, si le tiers n’Ă©tant pas partie au litige qui demande une ordonnance l’autorisant Ă assister au contre-interrogatoire risque d’influencer indĂ»ment le tĂ©moin (un danger bien rĂ©el en prĂ©sence d’aĂ®nĂ©s vulnĂ©rables qui pourraient se laisser manipuler par des membres de leur famille), il n’obtiendra probablement pas l’autorisation de la Cour.
Kimberly A. Whaley est associée fondatrice du cabinet WEL Partners à Toronto