Introduction
Le 6 fĂ©vrier 2015, la Cour suprĂŞme du Canada rendait un arrĂŞt historique concernant le droit de toute personne de pouvoir demander, dans certaines circonstances, qu’un mĂ©decin l’aide Ă mettre fin Ă ses jours. Dans Carter c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral)[1], la Cour suprĂŞme dĂ©clare:
L’alinĂ©a 241b) et l’article 14 du Code criminel portent atteinte de manière injustifiĂ©e Ă l’article 7 de la Charte et sont inopĂ©rants dans la mesure oĂą ils prohibent l’aide d’un mĂ©decin pour mourir Ă une personne adulte capable qui (1) consent clairement Ă mettre fin Ă sa vie; et qui (2) est affectĂ©e de problèmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition.
La Cour suspend la prise d’effet de la dĂ©claration d’invaliditĂ© pendant 12 mois, laissant aux Parlement et aux lĂ©gislatures provinciales cette pĂ©riode pour adopter des lois qui soient compatibles avec les paramètres constitutionnels Ă©noncĂ©s dans ses motifs.
Analyse
L’article 14 C. Cr. dispose que « [n]ul n’a le droit de consentir que la mort lui soit infligĂ©e, et un tel consentement n’atteint pas la responsabilitĂ© pĂ©nale d’une personne par qui la mort peut ĂŞtre infligĂ©e Ă celui qui a donnĂ© ce consentement. » L’article 241b C. Cr. dispose, pour sa part, « qu’[e]st coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas, aide ou encourage quelqu’un Ă se donner la mort que le suicide s’ensuive ou non ». Enfin, l’article 7 de la Charte Ă©nonce que « [c]hacun a droit Ă la vie, Ă la libertĂ© et Ă la sĂ©curitĂ© de sa personne; il ne peut ĂŞtre portĂ© atteinte Ă ce droit qu’en conformitĂ© avec les principes de justice naturelle. »
Cela dit, les articles 241b) et 14 du C. Cr. ne deviennent toutefois inopĂ©rants qu’Ă l’Ă©gard des mĂ©decins qui traitent des personnes adultes capables de donner clairement un consentement Ă mettre fin Ă leur vie et qui sont affectĂ©es de problèmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables leur causant des souffrances persistantes qui leur sont intolĂ©rables au regard de leur condition. Pour le reste, les dispositions du Code criminel continuent de s’appliquer. ConsĂ©quemment, il n’est pas donnĂ© Ă quiconque d’aider quelqu’un Ă se suicider non plus qu’Ă lui infliger la mort parce qu’elle y consent. Ainsi, un proche qui aiderait Ă se suicider un membre de sa famille qui prĂ©senterait des problèmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables lui causant des souffrances persistantes et intolĂ©rables ou encore causerait son dĂ©cès Ă sa demande s’exposerait Ă ĂŞtre poursuivi en vertu des articles 14 et 241b) C. Cr.
Aux yeux de la Cour suprĂŞme, l’aide mĂ©dicale Ă mourir a deux visages : soit le fait de prescrire ou de fournir une substance visant Ă provoquer le dĂ©cès d’une personne, soit le fait d’administrer une substance visant Ă provoquer le dĂ©cès de cette personne. Ainsi, ce qui est visĂ© par l’arrĂŞt de la Cour suprĂŞme est non seulement le fait pour un mĂ©decin d’aider une personne Ă se suicider en lui prescrivant une substance visant Ă provoquer son dĂ©cès, mais Ă©galement le fait pour un mĂ©decin d’administrer lui-mĂŞme une substance visant Ă provoquer son dĂ©cès.
Aux États-Unis, le suicide mĂ©dicalement assistĂ© – physician assisted suicide – est lĂ©gal dans quatre États amĂ©ricains, soit ceux du Vermont, du Montana, de l’Oregon et de Washington. Dans ces États, un mĂ©decin est autorisĂ© Ă prescrire une mĂ©dication visant Ă provoquer le dĂ©cès d’une personne en fin de vie et non Ă la lui administrer. Il en est de mĂŞme en Suisse. La personne s’administre donc elle-mĂŞme la substance et met elle-mĂŞme fin Ă sa vie. En revanche, en Europe, les lĂ©gislations des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg autorisent un mĂ©decin Ă administrer lui-mĂŞme une substance visant Ă provoquer le dĂ©cès d’une personne dans le cadre de lĂ©gislations portant sur l’euthanasie.
Au Canada, la Cour suprĂŞme a optĂ©, Ă la diffĂ©rence des États amĂ©ricains et de la Suisse, pour l’aide mĂ©dicale Ă mourir - physician assisted death - plutĂ´t que pour l’aide mĂ©dicale au suicide - physician assisted suicide. Un mĂ©decin canadien pourra donc non seulement aider une personne rencontrant les exigences de la loi Ă se suicider mais Ă©galement pourra intentionnellement provoquer sa mort. Au QuĂ©bec, le lĂ©gislateur a dĂ©jĂ optĂ© pour l’aide mĂ©dicale Ă mourir et non pour l’aide au suicide, le rapport de la Commission Mourir dans la dignitĂ© ayant, dans ses propositions de rĂ©forme, Ă©carter le suicide assistĂ© comme champ d’intĂ©rĂŞt[2].
Par ailleurs, pour mesurer la portĂ©e rĂ©elle de l’arrĂŞt de la Cour suprĂŞme, il importe de rappeler que la demande faite Ă la Cour d’invalider certains articles du Code criminel ne provient pas de personnes en fin de vie mais notamment de deux personnes qui n’Ă©taient pas en fin de vie mais Ă©taient affligĂ©es de conditions dĂ©bilitantes. Gloria Taylor souffrait d’une maladie neuro-dĂ©gĂ©nĂ©rative fatale - la sclĂ©rose latĂ©rale amyotrophique (ou SLA), comme Sue Rodriguez - et Ley Carter prĂ©sentait une stĂ©nose du canal rachidien lombaire, une maladie qui entraĂ®ne la compression progressive de la moelle Ă©pinière.
Dans la perspective de la Cour suprĂŞme, la fin de vie n’est pas un Ă©lĂ©ment qui doit ĂŞtre pris en considĂ©ration pour obtenir une aide mĂ©dicale Ă mourir, quelque soit sa forme. Ainsi, une personne adulte qui souffre de SLA pourra demander qu’un mĂ©decin mette fin Ă ses jours dès lors qu’il est dĂ©montrĂ© qu’elle a des problèmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables qui lui causent des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition, sans qu’elle soit nĂ©cessairement en fin de vie.
La Cour reconnaĂ®t tant au Parlement fĂ©dĂ©ral qu’aux lĂ©gislatures provinciales le pouvoir de lĂ©gifĂ©rer en matière d’aide mĂ©dicale Ă mourir, chacun dans son champ de compĂ©tence. Dans le sillon de l’arrĂŞt Carter, les diffĂ©rentes provinces canadiennes, Ă l’exception du QuĂ©bec, devront, pour se conformer Ă la dĂ©cision de la Cour et bien encadrer l’aide mĂ©dicale Ă mourir dans leur province, adopter vraisemblablement des lĂ©gislations sur l’aide mĂ©dicale Ă mourir, calquĂ©es, par exemple, sur le modèle proposĂ© par le parlementaire Steven Fletcher[3] ou s’inspirant de la lĂ©gislation quĂ©bĂ©coise en la matière[4].
En principe, l’aide mĂ©dicale Ă mourir devrait ĂŞtre rĂ©servĂ©e aux rĂ©sidents de la province. La lĂ©gislation devrait Ă©galement prĂ©voir le cadre dans lequel les deux formes d’aide mĂ©dicale Ă mourir devraient ĂŞtre fournies. Les lĂ©gislatures devraient offrir des garanties suffisantes pour Ă©viter les dĂ©rapages et protĂ©ger les personnes les plus vulnĂ©rables. Sans doute Ă©galement que diverses lois devront ĂŞtre amendĂ©es, telles que la Loi mĂ©dicale et la Loi sur la pharmacie pour lĂ©gitimer la prescription et l’administration d’une substance lĂ©tale visant Ă mettre fin aux jours d’une personne.
En ce qui concerne le QuĂ©bec, qui a une lĂ©gislation concernant les soins de fin de vie, il faut se demander, Ă la lumière de l’arrĂŞt Carter, si celle-ci n’est pas trop restrictive en ce qu’elle limite aux personnes en fin de vie le droit de demander qu’un mĂ©decin mette fin Ă leurs jours. Dans sa dĂ©cision, la Cour suprĂŞme ne fait nullement mention de personnes en fin de vie mais, faut-il le rappeler, de personnes affectĂ©es de problèmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables leur causant des souffrances persistantes qui leur sont intolĂ©rables au regard de leur condition. Il se peut que les souffrances persistantes puissent exister avant que la personne soit vĂ©ritablement en fin de vie.
Conclusion
Au Canada, le fait d’aider une personne Ă mettre fin Ă ses jours ne constitue plus dorĂ©navant un crime en autant que l’aide provienne d’un mĂ©decin et qu’elle soit sollicitĂ©e par une personne adulte consentante qui est affligĂ©e de problèmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition.
D’un point de vue juridique, l’arrĂŞt Carter vient mettre fin Ă un tabou social sĂ©culaire puissant, soit tu ne tueras point et ce, au nom du droit de toute personne adulte qui est affligĂ©e de problèmes de santĂ© graves et irrĂ©mĂ©diables lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolĂ©rables au regard de sa condition, de choisir le moment et le comment de sa mort afin de lui Ă©viter une vie de souffrances aiguĂ«s et intolĂ©rables.
La dĂ©cision rendue par la Cour suprĂŞme est un soulagement pour plusieurs personnes qui craignent d’avoir Ă mourir dans des conditions qui leur enlèvent leur dignitĂ© d’ĂŞtre humain. Pour d’autres, elle est source de grandes inquiĂ©tudes, celles-ci craignant que, faute de ressources, elles en viennent Ă faire des choix qui leur seront imposĂ©s et non vĂ©ritablement consentis. Selon la Cour, les risques associĂ©s Ă l’aide mĂ©dicale Ă mourir peuvent ĂŞtre rĂ©duits considĂ©rablement avec l’implantation d’un rĂ©gime soigneusement conçu qui impose des limites strictes scrupuleusement surveillĂ©es et appliquĂ©es.
On le voit bien, la tâche qui attend les lĂ©gislateurs fĂ©dĂ©ral et provinciaux est titanesque. Après avoir dĂ©battu de la question pendant plus de deux ans afin d’obtenir un certain consensus, le QuĂ©bec s’est donnĂ© plus d’une annĂ©e, en fait 18 mois, pour mettre en place les structures et les processus pour bien encadrer l’aide mĂ©dicale Ă mourir. Qu’en sera-t-il dans les autres provinces et au niveau fĂ©dĂ©ral oĂą il n’existe, Ă l’heure actuelle, aucune initiative du type quĂ©bĂ©cois?
Ă€ l’Ă©chelle canadienne, la profession mĂ©dicale devra, par ailleurs, très rapidement modifier ses pratiques de fin de vie. Sans doute que des guides de bonnes pratiques cliniques en fin de vie devront ĂŞtre Ă©laborĂ©s pour bien encadrer ces pratiques. Car, en fin de compte, ce sont principalement les mĂ©decins qui seront appelĂ©s Ă donner vie au jugement de la Cour suprĂŞme. Mais, il y a Ă©galement les pharmaciens et les professionnels en soins infirmiers qui seront appelĂ©s Ă assister les mĂ©decins qui accepteront de procurer une aide mĂ©dicale Ă mourir sous l’une ou l’autre de ses formes : prescrire ou administrer une substance lĂ©tale.
M. Pierre Deschamps est un avocat et un Ă©thicien de MontrĂ©al. Il a Ă©tĂ© membre de la FacultĂ© de droit de l’UniversitĂ© McGill, et pendant dix ans, il a siĂ©gĂ© au Tribunal canadien des droits de la personne.
Notes en fin
[1] 2015 CSC 5.
[2] Commission spéciale Mourir dans la dignité, mars 2013, p. 47.
[3] Chambre des communes du Canada, projet de loi C-581 - Loi modifiant le Code criminel (aide mĂ©dicale Ă mourir), première lecture, 27 mars 2014; projet de loi C-582- Loi constituant la Commission canadienne sur l’aide mĂ©dicale Ă mourir, première lecture, 27 mars 2014.
[4] Loi concernant les soins de fin de vie, LQ, c. 2.