Lorsque le projet de loi C-46 est entrĂ© en vigueur le 18 dĂ©cembre 2018, il a suscitĂ© une multitude de difficultĂ©s concernant les affaires de conduite avec facultĂ©s affaiblies. Non seulement la loi, Ă savoir la Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrĂ©latives Ă d'autres lois, instaure-t-elle de nouvelles prĂ©somptions et infractions connexes Ă la conduite avec facultĂ©s affaiblies par la drogue, mais elle a Ă©galement complètement refondu le rĂ©gime de la conduite avec facultĂ©s affaiblies par l’alcool.
Tant les avocats de la dĂ©fense que ceux de la Couronne sont aux prises avec la signification d’un grand nombre de ces nouvelles dispositions et avec la manière dont elles s’appliquent aux dossiers traditionnels. Pendant ce temps, certains des nouveaux pouvoirs d’enquĂŞte ont fait l’objet de contestations, y compris ceux qui autorisent les analyses de salive et les tests d'haleine alĂ©atoires.
Les dispositions sur les tests d'haleine alĂ©atoires ont Ă©tĂ© remises en question dans de nombreuses provinces, y compris en Ontario, au Yukon et en Colombie-Britannique. Ă€ l’heure actuelle, le traitement de ces contestations prend des tournures diffĂ©rentes dans ces trois rĂ©gions.
En Ontario et au Yukon, les contestations ont été déposées devant les cours provinciales. Au sein de ces affaires, on a constaté un désaccord entre les juristes et les tribunaux quant à la procédure correcte et quant à savoir si la preuve devrait être entendue dans le cadre du procès même avant la contestation quant à la constitutionnalité ou par la suite. Ces désaccords ont ralenti le processus de traitement des contestations, se traduisant par une planification supplémentaire. De rares progrès ont été faits au niveau des arguments de fond connexes au caractère constitutionnel du mécanisme.
En Colombie-Britannique, un groupe de plaideurs a dĂ©posĂ© des contestations du caractère constitutionnel des mesures au nom de clients qui ont Ă©tĂ© condamnĂ©s en vertu du rĂ©gime d'interdiction immĂ©diate de conduire en vigueur en Colombie-Britannique. Cela a permis de rĂ©aliser quelques progrès supplĂ©mentaires Ă©tant donnĂ© que les contestations des plaideurs dans ces affaires sont examinĂ©es dans le cadre d’un contrĂ´le judiciaire et de poursuites civiles correspondantes devant la Cour suprĂŞme Court de la Colombie-Britannique. Par consĂ©quent, la première dĂ©cision sera rendue par une Cour supĂ©rieure, crĂ©ant un prĂ©cĂ©dent devant ĂŞtre suivi par les autres tribunaux dans la province et qui aura une très grande influence sur les tribunaux provinciaux de tout le pays. Ces affaires devraient ĂŞtre tranchĂ©es au dĂ©but de 2020. Elles sont Ă l’Ă©tape de la gestion de la cause; les dates limites pour produire des Ă©lĂ©ments de preuve et des arguments Ă©tant en cours de dĂ©termination et le processus d’affectation d’un juge de la gestion de la cause Ă©tant Ă©galement enclenchĂ©.
Une tactique similaire a Ă©tĂ© mise en Ĺ“uvre pour contester les analyses de salive. Michelle Gray, une femme ayant la sclĂ©rose en plaques Ă qui il a Ă©tĂ© interdit de conduire Ă la suite d’une analyse positive pour la prĂ©sence de cannabis qu’elle utilisait pour des raisons mĂ©dicales, a dĂ©posĂ© une contestation devant la Cour suprĂŞme de la Nouvelle-Écosse. L’analyse a Ă©tĂ© effectuĂ©e avec un appareil d’analyse de salive approuvĂ© de la marque Drager DrugTest 5000. Madame Gray conteste la constitutionnalitĂ© des dispositions sur l’analyse de salive se trouvant dans le Code criminel et dans la lĂ©gislation provinciale qui a servi de base Ă son interdiction. Tout comme les contestations des tests d'haleine alĂ©atoires en Colombie-Britannique, celle de madame Gray en est actuellement Ă l’Ă©tape de la gestion de la cause.
Concernant toutes ces contestations, les parties espèrent dĂ©poser autant d’Ă©lĂ©ments de preuve et de documents que possible par voie d’affidavits pour simplifier les questions pour la cour afin que des dĂ©cisions importantes concernant tous les plaideurs puissent ĂŞtre rendues en temps opportun.
Tel qu’il a Ă©tĂ© indiquĂ©, les dispositions de la loi prĂ©sentent d’autres dĂ©fis. L’un d’entre eux touche les affaires ouvertes pendant la pĂ©riode de transition. Parce que l’article 258 du Code criminel en ce qu’il touche la prĂ©somption d’identitĂ© a Ă©tĂ© abrogĂ© par le projet de loi C-46, on continue Ă se demander si elles existent toujours s’agissant des affaires ouvertes pendant la pĂ©riode transitoire.
C’est en Ontario que la question s’est posĂ©e avec le plus d’urgence sous la direction de MaĂ®tre Richard Aitken. Dans deux affaires, R. v. Shaikh 2019 ONCJ 157 et R. v. Jagernauth 2019 ONCJ 231 (toutes deux disponibles uniquement en anglais), l’avocat de la dĂ©fense a plaidĂ©, avec gain de cause, que les prĂ©somptions ne survivaient pas Ă l’abrogation. Par consĂ©quent, le fardeau de la preuve incombe Ă la Couronne qui doit faire appel Ă un expert pour Ă©tablir un lien entre les rĂ©sultats et la pĂ©riode pendant laquelle le vĂ©hicule a Ă©tĂ© conduit. On a distinguĂ© ces affaires Ă de multiples occasions, notamment dans l’arrĂŞt R. v. Porchetta, 2019 ONCJ 244 (disponible uniquement en anglais).
Aucune de ces affaires n’a Ă©tĂ© tranchĂ©e en appel. Il reste donc Ă savoir quel sera le courant jurisprudentiel qui sera entĂ©rinĂ©.
En outre, en raison des certificats Ă©manant de techniciens qualifiĂ©s prĂ©vus par les dispositions du Code, d’aucuns se sont posĂ© des questions quant Ă la valeur probatoire des anciens certificats. Dans la dĂ©cision R. v. Flores-Vigil 2019 ONCJ 192 (disponible uniquement en anglais), la Cour Ă©tait confrontĂ©e Ă celle de savoir si un tĂ©moignage oral donnĂ© par un technicien qualifiĂ© suffisait pour Ă©tablir les Ă©lĂ©ments obligatoires prĂ©vus par l’article 320.31 du Code criminel, qui doivent ĂŞtre prouvĂ©s pour pouvoir s’appuyer sur les nouvelles prĂ©somptions. La dĂ©cision Flores-Vigil est plus particulièrement axĂ©e sur la nĂ©cessitĂ© d’identifier la valeur cible de la norme de gaz sur le certificat fourni par l’analyste. L’ancien formulaire pour le certificat n’indiquait pas la valeur cible alors que le certificat transitoire l’indique.
Les certificats transitoires eux-mĂŞmes se sont avĂ©rĂ©s une source fertile de contre-interrogatoires et d’argumentation juridique. Nombreuses sont les personnes qui certifient, sans mĂŞme le lire, le contenu du certificat qui affirme qu’une demande a Ă©tĂ© faite en vertu de l’article 320.24 du Code criminel, malgrĂ© le fait qu’une telle demande n’existait pas Ă ce moment. De mĂŞme, bien que le Code autorise l’utilisation du taux d’alcoolĂ©mie et des Ă©chantillons d’haleine arrondis Ă la valeur infĂ©rieure, le Code Ă©nonce que les rĂ©sultats de chaque test Ă blanc doivent ĂŞtre communiquĂ©s, ainsi que tout message d’erreur ou d’exception produit par l’appareil.
Cette approche a Ă©tĂ© codifiĂ©e au paragraphe 320.34(1). Cela se traduit par le fait qu’il existe une multitude de demandes de communication qui doivent faire l’objet d’une dĂ©cision pour dĂ©terminer exactement ce que signifient ces dispositions du Code. Le processus concernant ces demandes de communication a Ă©galement Ă©tĂ© remis en question. Bien que le paragraphe 320.34(2) suggère qu’une demande pour « d’autres renseignements » doit ĂŞtre dĂ©posĂ©e avec un prĂ©avis de 30 jours et entendue 30 jours avant le procès, s’il n’est pas satisfait Ă ces exigences, il n’est pas certain que la demande doit respecter ce processus.
Ces obstacles probatoires et exploratoires, et bien d’autres encore, existent en vertu des nouvelles dispositions du Code en ce qu’elles traitent de la conduite avec facultĂ©s affaiblies. Ă€ ce stade, la seule certitude est qu’il n’y a pas pĂ©nurie de questions sur lesquelles fonder un dossier dans ce domaine.
Kyla Lee est associée dans le cabinet Acumen Law Corporation à Vancouver.