Par Lauren Shadley
S’agissant des procès en matière pĂ©nale, le public est souvent trop prĂ©occupĂ© par la question de savoir si l’accusĂ© est innocent ou coupable. En tant qu’avocate de la dĂ©fense, j’ai toujours Ă©tĂ© plus attirĂ©e par ce qui survient Ă la fin du procès, soit la question de la dĂ©termination de la peine.
Alors que les faits qui sous-tendent la culpabilitĂ© ou l’innocence de l’accusĂ© peuvent relever du domaine de la haute prĂ©cision, et d’ailleurs, la culpabilitĂ© de l’accusĂ© ne fait parfois aucun doute, la vaste gamme des principes que le ministère public et le tribunal de la dĂ©termination de la peine doivent envisager et dont ils doivent tenir compte peuvent donner lieu Ă un Ă©ventail pratiquement infini de fascinants dĂ©bats.
Le dĂ©fendeur sera-t-il incarcĂ©rĂ© pendant une certaine pĂ©riode avec des possibilitĂ©s douteuses de rĂ©insertion? Lui accordera-t-on une deuxième chance? Quand les tribunaux devraient-ils favoriser l’exemplaritĂ© de la peine au dĂ©triment de la rĂ©insertion dans la sociĂ©tĂ©? De quelle façon et Ă quel moment la dissuasion devrait-elle jouer un rĂ´le dans l’analyse? Le dĂ©fendant devrait-il se voir accorder l’autorisation de terminer ses Ă©tudes, ou de conserver un emploi, ou de demeurer au sein de la communautĂ©, ou d’ailleurs, de rester dans le pays? Comment prĂ©venir au mieux le rĂ©cidivisme et, plus important, promouvoir les intĂ©rĂŞts supĂ©rieurs du public et l’ordre public? Je serais prĂŞte Ă parier que mĂŞme les affaires de dĂ©termination de la peine les plus courantes soulèvent des questions fondamentales au sujet de ce qui importe vĂ©ritablement en droit et des meilleurs moyens de mettre en Ĺ“uvre un changement positif.
Les facultĂ©s de droit, la sociĂ©tĂ© et les mĂ©dias en gĂ©nĂ©ral mettent la preuve de la culpabilitĂ© Ă l’avant-scène du procès pĂ©nal. La majoritĂ© de ce que nous enseignent les cours de droit pĂ©nal est axĂ©e sur les Ă©lĂ©ments constitutifs d’un crime, la classification des infractions, les divers moyens de dĂ©fense Ă la disposition d’un accusĂ©, ainsi que certains aspects de la procĂ©dure tels que les Ă©lĂ©ments fondamentaux de l’enquĂŞte prĂ©liminaire et du procès. Certains cours de niveau plus avancĂ© peuvent porter sur la Charte et sur des questions de preuve. Le sujet de la dĂ©termination de la peine est gĂ©nĂ©ralement abordĂ© vers la fin du cours typique d’introduction au droit pĂ©nal, ce qui laisse frĂ©quemment peu de temps, voire pas du tout, pour couvrir le sujet. Ceci pourrait, en partie, ĂŞtre dĂ» au fait que la dĂ©termination de la peine peut souvent ĂŞtre Ă©cartĂ©e au motif qu’il s’agit d’une question de fait et de droit et non d’un sujet possible d’analyse thĂ©orique sur les bancs de l’universitĂ©.
L’École du Barreau du QuĂ©bec, quant Ă elle, n’envisage que les aspects probatoires des audiences de dĂ©termination de la peine, sans s’arrĂŞter Ă ses principes mĂŞmes. Comment insuffler une vie aux principes de dĂ©termination de la peine Ă la lumière d’un vĂ©cu rĂ©el? C’est une grande partie de l’extraordinaire processus d’apprentissage d’un jeune juriste, et ce travail Ă la fois difficile et sensible est largement absent de nos Ă©tudes officielles.
Alors qu’un procès pourrait ĂŞtre axĂ© sur ce qui s’est rĂ©ellement passĂ©, lors du processus de dĂ©termination de la peine, notre attention professionnelle est axĂ©e spĂ©cifiquement sur la personne accusĂ©e. En outre, alors qu’une infraction ou un crime commis peut tomber sous le coup d’un article codifiĂ© particulier, ce n’est pas le cas de la vie d’une personne. Ses antĂ©cĂ©dents, sa situation actuelle et ses plans pour l’avenir lui sont exclusivement particuliers. Le vĂ©cu d’une personne peut expliquer ses actes et suggĂ©rer une voie vers la rĂ©insertion sociale ou la guĂ©rison. Une personne peut ĂŞtre le soutien financier de sa famille ou bĂ©nĂ©ficier du soutien de sa famille et de sa communautĂ©
Une personne peut devoir travailler Ă l’Ă©tranger ou chercher un emploi qui lui serait interdit si elle possède un casier judiciaire. Ces incidences accessoires sur la vie de la personne doivent ĂŞtre intĂ©gralement comprises lors de l’audience de dĂ©termination de la peine. Qui plus est, puisque tous ces Ă©lĂ©ments doivent ĂŞtre examinĂ©s, un juge doit conserver un vaste pouvoir discrĂ©tionnaire pour choisir la peine la plus appropriĂ©e. Les peines minimales obligatoires ont pour malencontreuse consĂ©quence de limiter le pouvoir discrĂ©tionnaire des juges Ă cette Ă©tape et d’Ă©liminer l’examen de la situation particulière d’une personne et l’attention qui y est portĂ©e.
Cette attention portĂ©e Ă la personne garantit l’Ă©quitĂ© et la proportionnalitĂ© de la peine. Cependant, pour ne pas Ă©garer notre attention, nous (p. ex., tant les juristes que le public) devons Ă©viter la tentation des rĂ©ponses faciles. Les Conservateurs de M. Harper, quant Ă eux, Ă©taient trop axĂ©s sur la logique simpliste des peines minimales obligatoires, soit l’idĂ©e que toute personne ayant commis un crime donnĂ© mĂ©rite une peine donnĂ©e, sans Ă©gard Ă sa situation personnelle. Les tribunaux sont tentĂ©s par les rĂ©ponses faciles lorsqu’ils adoptent aveuglĂ©ment la thĂ©orie selon laquelle des peines plus sĂ©vères se traduiront par une diminution de la criminalitĂ©. Ceci pourrait ĂŞtre vrai pour un braqueur de banque ou pour un fraudeur qui prĂ©mĂ©dite longuement son crime. Cependant, ce ne sera probablement pas le cas pour la conductrice qui prĂ©sume Ă tort qu’elle peut conduire en toute sĂ©curitĂ© ou pour le voleur qui tient tout simplement pour acquis qu’il n’a aucune chance de se faire prendre.
Une chose est certaine : alors que ce domaine est l’un des parents pauvres des facultĂ©s de droit et de la couverture mĂ©diatique des procès en matière pĂ©nale, il ne s’agit pas d’une question que l’on peut se permettre de sous-analyser.
Lauren Shadley est membre à titre particulier de la Section du droit pénal