Recevabilité de déclarations antérieures compatibles en vertu de l’exception contextuelle

  • 28 mai 2018
  • James A. Gumpert, Q.C.

Le 14 mai, la Cour suprĂŞme du Canada a rendu par oral sa dĂ©cision dans l’affaire R. c. Cain, 2018 CSC 20. La dĂ©cision rĂ©sultait d’une majoritĂ© de 4 contre 1.

L’appel portait sur la question pointue mais importante de savoir si les portions compatibles d’une dĂ©claration antĂ©rieure compatible peuvent ĂŞtre utilisĂ©es dans le cadre du contre-interrogatoire d’un plaignant portant sur les incohĂ©rences dans une dĂ©claration antĂ©rieure.

La majoritĂ© de la Cour suprĂŞme du Canada a confirmĂ© la dĂ©cision majoritaire de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse selon laquelle les portions compatibles d’une dĂ©claration antĂ©rieure peuvent ĂŞtre utilisĂ©es pour dĂ©terminer si les incohĂ©rences allĂ©guĂ©es constituaient en fait des incohĂ©rences. La dĂ©claration antĂ©rieure pourrait Ă©galement servir Ă  dĂ©terminer si des incohĂ©rences sont fondamentales ou simplement accessoires.

L’affaire Cain portait sur une agression sexuelle. La plaignante a fait l’objet d’un contre-interrogatoire portant sur sa dĂ©claration antĂ©rieure. En raison de problèmes d'alphabĂ©tisation, l’intĂ©gralitĂ© de la dĂ©claration lui a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e lors du contre-interrogatoire. La plaignante Ă©tait la principale tĂ©moin Ă  charge. La dĂ©fense soutenait qu’en raison de toutes les incohĂ©rences entre sa dĂ©claration antĂ©rieure et son tĂ©moignage lors de l’audience, la preuve de la plaignante n’Ă©tait pas fiable. Le juge du fond a remarquĂ© des incohĂ©rences mineures, mais a affirmĂ© l’existence d’un fil conducteur cohĂ©rent entre sa dĂ©claration antĂ©rieure et son tĂ©moignage. Il a rendu son verdict de culpabilitĂ© en se fondant sur le tĂ©moignage de la plaignante.

La majoritĂ© de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a affirmĂ© que le juge du fond n’avait pas utilisĂ© les aspects cohĂ©rents des dĂ©clarations de la plaignante pour trancher sur sa vĂ©racitĂ©, mais bien plutĂ´t pour dĂ©terminer si, dans le contexte des portions compatibles de la dĂ©claration, les incohĂ©rences Ă©taient fondamentales.

La majoritĂ© de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (approuvĂ©e par la CSC) a utilisĂ© la citation suivante parue dans un article rĂ©digĂ© par le professeur David Paciocco (dĂ©sormais monsieur le juge Paciocco, de la Cour d’appel de l’Ontario) comme constituant le droit Ă  l’Ă©gard de l’exception contextuelle :

[TRADUCTION]

(4) Déclarations antérieures compatibles qui offrent un contexte pour les déclarations recevables;

[…]

(d) Exception (4) – DĂ©clarations antĂ©rieures compatibles qui offrent un contexte pour les dĂ©clarations recevables

La « règle de l’intĂ©gralitĂ© de la dĂ©claration » peut conduire Ă  la production de dĂ©clarations antĂ©rieures compatibles. Elle affirme que lorsqu’une partie Ă©tablit qu’une dĂ©claration est recevable, cela ne doit pas ĂŞtre basĂ© sur une sĂ©lectivitĂ© trompeuse. En toute Ă©quitĂ©, la partie qui prouve la dĂ©claration ne devrait pas le faire hors de son contexte, elle devrait prouver l’intĂ©gralitĂ© de la dĂ©claration. […]

Les mĂŞmes principes s’appliquent par consĂ©quent lorsque l’avocat demande Ă  un tĂ©moin d’expliquer une dĂ©claration antĂ©rieure incohĂ©rente. La partie qui forme cette opposition devrait, en toute Ă©quitĂ© et mĂŞme Ă  titre d’obligation Ă©thique, prĂ©senter l’intĂ©gralitĂ© de la dĂ©claration au tĂ©moin pour que le contexte des incohĂ©rences puisse ĂŞtre compris. Ă€ dĂ©faut, l’avocat de la partie opposĂ©e sera autorisĂ© Ă  examiner l’intĂ©gralitĂ© de la conversation connexe. D’ailleurs, cette tactique peut se solder par la recevabilitĂ© de dĂ©clarations connexes.

[…]

Par consĂ©quent, rien n’empĂŞche une partie de souligner les portions cohĂ©rentes entre la dĂ©claration antĂ©rieure connexe et le tĂ©moignage de son tĂ©moin. Le but de l’opĂ©ration n’est pas de prouver que le tĂ©moin disait la vĂ©ritĂ© dans son tĂ©moignage sur la question. Le simple fait de faire des dĂ©clarations compatibles ne prouve pas la crĂ©dibilitĂ© et les dĂ©clarations compatibles d’un tĂ©moin ne corroborent pas non plus leur tĂ©moignage lors de l’audience. Les Ă©lĂ©ments compatibles ne sont pertinents que dans la mesure oĂą ils permettent Ă  la personne qui tranche de juger si la dĂ©claration pertinente est vĂ©ritablement fondamentalement incohĂ©rente dans son ensemble et de dĂ©terminer les incidences que toute divergence dans les dĂ©tails devrait avoir sur la crĂ©dibilitĂ© et la fiabilitĂ© globales du tĂ©moin. En fait, les Ă©lĂ©ments compatibles de la dĂ©claration antĂ©rieure ne renforcent aucunement les dires de la partie, ils servent simplement Ă  rĂ©futer les assertions d’incohĂ©rence de la partie opposĂ©e ou Ă  rĂ©duire le poids des incohĂ©rences qui peuvent rester.

James A. Gumpert, c.r., est procureur de la Couronne principal auprès du Service des poursuites pĂ©nales de la Nouvelle-Écosse. Il est membre du ComitĂ© de direction de la Section nationale du droit pĂ©nal de l’Association du Barreau canadien.