La règle anti-privation est un principe de common law qui entache de nullité les dispositions qui retirent une partie de la valeur de l’actif d’un failli lors de la déclaration de faillite (valeur qui, autrement, serait à la disposition des créanciers). Dans l’arrêt Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc., 2020 CSC 25, la Cour suprême du Canada a réputé invalide une clause contractuelle qui exigeait d’un sous-traitant qu’en cas d’insolvabilité ou de déclaration de faillite, il renonce à dix pour cent du prix total du contrat de sous-traitance en faveur de l’entrepreneur général.
Chandos Construction Ltd., un entrepreneur général, a sous-traité une partie d’un projet à Capital Steel Inc. L’une des clauses du contrat de sous-traitance exigeait de Capital qu’elle renonce à 10 % du prix total du contrat en faveur de Chandos au titre de frais pour le dérangement causé en cas d’insolvabilité ou de faillite de Capital. Cette dernière a fait faillite et Chandos affirmait avoir le droit de se fonder sur la clause d’insolvabilité pour réduire sa dette envers Capital. En fait, la clause créait un crédit au profit de Chandos; crédit payable par le failli. Face à cette situation unique en son genre par laquelle la clause d’insolvabilité établirait, au profit de Chandos, une réclamation pouvant être prouvée dans le contexte de la faillite au lieu d’une dette envers Capital, le syndic a demandé des conseils et directives aux tribunaux.
Le dossier a progressé dans la hiérarchie judiciaire. La Cour du banc de la Reine de l’Alberta a déclaré que la clause d’insolvabilité était invalide. Dans une décision rendue à 8 contre 1, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, confirmant celle de la Cour d’appel de l’Alberta portant invalidité de la clause d’insolvabilité.
Dans des motifs rédigés par le juge Rowe, la majorité de la CSC a affirmé que, sauf indication claire sans ambiguïté, le Parlement est présumé ne pas avoir l’intention de modifier la common law existante. Les articles 65.1, 66.34 et 84.2 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité n’éliminent pas la règle anti-privation puisqu’ils ont été mis en œuvre pour protéger la personne insolvable ou en faillite, alors que la règle anti-privation a pour objet de protéger les créanciers.
La majorité a souligné le fait que le critère pour l’application de la règle anti-privation est fondé sur les effets et non sur les intentions (comme la juge Côté, l’aurait conclu dans ses motifs dissidents). Le critère en deux volets.
- L’application de la clause pertinente est-elle déclenchée par une insolvabilité ou une faillite?
- Dans l’affirmative, a-t-elle pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable?
Si la réponse est affirmative, la clause enfreint alors la règle anti-privation.
Madame la juge Côté, en désaccord, a convenu que la règle anti-privation est applicable au Canada, mais souhaitait confirmer la clause au motif qu’elle répondait à un objectif commercial légitime. La majorité, quant à elle, considérait que cela allait créer « des difficultés nouvelles plus grandes », comme le besoin, pour les tribunaux, d’évaluer l’intention après les faits et le recours accru à ces clauses pour établir des priorités pour certains créanciers, ce qui « encouragerait les parties qui peuvent plausiblement prétendre être de bonne foi »; le tout pouvant probablement nuire à l’administration efficace des faillites d’entreprise.
Les entrepreneurs doivent se méfier des clauses déclenchées par la survenance de l’insolvabilité ou de la faillite qui ont pour objet de pénaliser la partie insolvable, puisqu’elles ne pourront probablement pas être mises en œuvre. Cet arrêt n’a pas de répercussion sur les clauses normalisées dont le déclenchement n’est pas assujetti à la survenance de l’insolvabilité ou de la faillite, et les droits ordinaires de résiliation et de recouvrement des dommages-intérêts légitimes ne sont pas affectés.
Jason Buttuls est un avocat principal exerçant le droit du litige et de l’arbitrage en matière de construction dans le cabinet Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l., et au moment de la rédaction de cet article, Yi Liu y était stagiaire.
Bien que les auteurs se soient efforcés d’être exacts, cet article ne devrait pas remplacer des conseils juridiques.