J. Cote & Son Excavating Ltd. v City of Burnaby, 2018 BCSC 1491 (disponible uniquement en anglais)
Madame la juge Maisonville
M. Preston comparaissant pour le demandeur
C.L. Paterson comparaissant pour l’intimĂ©e
M. A. Whitten comparaissant pour le Procureur général de la Colombie-Britannique
31 août 2018
Un propriĂ©taire public peut-il imposer une interdiction gĂ©nĂ©rale Ă l’encontre des soumissions d’entrepreneurs qui l’ont poursuivi en justice par le passĂ©?
Dans l’arrĂŞt J. Cote & Son Excavating Ltd. v City of Burnaby, 2018 BCSC 1491, un entrepreneur gĂ©nĂ©ral dont le nom figurait sur la liste de ceux frappĂ©s d’interdiction soutenait qu’une telle clause violait ses droits constitutionnels en l’empĂŞchant d’avoir recours aux tribunaux.
Faits
La ville de Burnaby a ajoutĂ© une clause dans son appel d’offres qui visait Ă exclure les soumissions de proposants l’ayant poursuivie en justice au cours des deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes.
La clause de reprĂ©sailles a Ă©tĂ© insĂ©rĂ©e environ deux mois après que le demandeur, un entrepreneur en construction, a intentĂ© des poursuites contre la ville suscitĂ©es par le dĂ©cès de l’un de ses travailleurs. J. Cote soutenait que la clause limitait son droit d’accès aux tribunaux en le dissuadant, ainsi que les autres entrepreneurs, d’intenter des poursuites afin de ne pas se priver de possibilitĂ©s de traiter des affaires avec la ville. Ă€ ces fins, J. Cote a dĂ©posĂ© de la preuve selon laquelle la clause lui avait fait perdre des contrats, en citant neuf octroyĂ©s par la ville pendant la pĂ©riode au cours de laquelle il Ă©tait frappĂ© d’interdiction de dĂ©poser une soumission. J. Cote a en outre calculĂ© que la ville lui avait fourni 17 p. 100 de son travail par le passĂ©, impliquant que ces contrats auraient constituĂ© une partie importante de son travail.
J. Cote a prĂ©sentĂ© une demande de procès sommaire, cherchant Ă obtenir une dĂ©claration selon laquelle la clause de reprĂ©sailles est nulle et non avenue car elle limitait un droit d’accès aux tribunaux protĂ©gĂ© par la constitution. Au fond, il y avait trois contestations : la limitation violait la Charte des droits et libertĂ©s, elle Ă©tait contraire Ă la primautĂ© du droit et violait l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 et Ă©tait contraire Ă l’ordre public.
ArrĂŞt
La Cour a posé les questions suivantes et y a répondu.
- La clause contestĂ©e viole-t-elle de façon injustifiable un droit d’accès raisonnable aux tribunaux protĂ©gĂ©s par la Charte, ce qui la rend nulle et non avenue?
Non. L’article 24 de la Charte ne constitue pas un recours pour les mesures inconstitutionnelles en gĂ©nĂ©ral. Le demandeur « doit pouvoir indiquer une violation d’un droit ou d’une libertĂ© spĂ©cifique Ă©noncĂ© et garanti par la Charte pour qu’il existe un recours » en vertu de cet article (au paragraphe 41). Puisque la Charte ne confère aucun droit gĂ©nĂ©ral d’accès aux tribunaux pour le règlement des litiges de nature civile, il n’existe aucun recours en vertu de ce texte lorsqu’un droit d’accès est limitĂ©.
- La clause contestĂ©e est-elle inconstitutionnelle car elle empĂŞche l’accès aux tribunaux de façon contraire Ă l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 et Ă la primautĂ© du droit?
Non. L’article 96 de la Loi constitutionnelle, de pair avec la primautĂ© du droit, assure une protection constitutionnelle quant Ă l’accès Ă la justice dans le contexte civil. Cependant, toutes les restrictions de l’accès Ă la justice ne sont pas nĂ©cessairement inconstitutionnelles. Il incombe au demandeur d’Ă©tablir que la restriction est rĂ©ellement imposĂ©e en contravention de la primautĂ© du droit et qu’il a subi une contrainte excessive; seuil Ă©tabli dans l’arrĂŞt Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur gĂ©nĂ©ral), 2014 CSC 59 dans le contexte d’un mĂ©canisme proposĂ© pour dĂ©terminer les frais d’audience.
La Cour a affirmĂ© que le fait que certains entrepreneurs puissent choisir de ne pas avoir recours aux tribunaux en raison de l’existence d’une clause de reprĂ©sailles ne suffit pas Ă lui seul Ă Ă©tablir la contrainte excessive. Le demandeur n’a pas dĂ©posĂ© suffisamment de preuve qu’il avait perdu des contrats au point de subir une contrainte excessive dĂ©coulant de son recours Ă son droit d’accès Ă la justice. Sa preuve Ă©tait de nature spĂ©culative, car elle Ă©tait fondĂ©e sur la rĂ©partition du travail par le passĂ©. En tant que telle, elle n’a pas convaincu la Cour.
- La clause contestĂ©e devrait-elle ĂŞtre dĂ©clarĂ©e nulle car elle est contraire Ă l’ordre public Ă©tant donnĂ© qu’elle pourrait dĂ©nier l’accès aux tribunaux?
Non. La Cour a conclu qu’en l’absence de mauvaise foi, les clauses qui interdisent aux entrepreneurs de dĂ©poser des soumissions lorsqu’ils sont en cours d’instance ont un objectif commercial et sont valides. La dissuasion et la prĂ©vention des poursuites ne sont pas la mĂŞme chose. Les traiter de la mĂŞme façon compromettrait l’analyse de la contrainte excessive. S’ils ne souhaitaient pas ĂŞtre assujettis auxdites clauses qui faisaient partie intĂ©grante de l’appel d’offres, les entrepreneurs avaient le loisir de ne pas dĂ©poser de soumission.
Conclusion
Pour conclure, la Cour a affirmĂ© qu’il existe un droit d’accès aux tribunaux, mais que le fardeau de la preuve de l’atteinte au droit est lourd. Sauf preuve de la contrainte excessive, les clauses de reprĂ©sailles qui pĂ©nalisent les proposants qui ont intentĂ© des poursuites contre le propriĂ©taire ne violeront pas ce droit.
Un entrepreneur qui pourrait recueillir de meilleures preuves de la contrainte excessive pourrait de nouveau contester une clause de reprĂ©sailles. En l’espèce, l’entrepreneur a, d’une certaine façon, obtenu gain de cause car la ville a retirĂ© la clause de reprĂ©sailles de son appel d’offres avant l’audition de l’affaire. (La ville soutenait que cette mesure avait privĂ© la clause de tous ses effets, mais la Cour a autorisĂ© l’audition des points constitutionnels, car la demande du demandeur concernant des dommages-intĂ©rĂŞts fondĂ©s sur la Charte n’avait pas encore Ă©tĂ© tranchĂ©e.) L’avenir nous dira si, Ă la lumière de la prĂ©sente dĂ©cision, la ville insĂ©rera de nouveau la clause dans ses appels d’offres.
En attendant, les proposants devraient envisager avec prudence les rĂ©percussions que des poursuites auront sur leurs autres dĂ©bouchĂ©s commerciaux et bien comprendre les incidences de la prĂ©sence de ce genre de clause dans les appels d’offres. Les propriĂ©taires devraient se demander si les clauses de reprĂ©sailles sont nĂ©cessaires pour atteindre leurs objectifs et Ă©viter d’y avoir recours lorsqu’il existe un risque prononcĂ© qu’elles soient la cause d’une contrainte excessive pour un proposant.
Préparé par : Krista M. Johanson, associée dans le cabinet BLG à Vancouver