N.D.L.R. Article paru en anglais dans Perspectives PRD (Institut d’arbitrage et de mĂ©diation du Canada).
On ne peut inclure une clause d’arbitrage dans un contrat sans s’interroger sur ce qu’il nous en coĂ»tera. Que le paiement des frais d’arbitrage par un tiers soit prĂ©vu ou non dans le libellĂ©, les parties et leurs avocats doivent savoir exactement Ă quoi s’en tenir afin de prĂ©server leur libertĂ© d’opter pour les modalitĂ©s de financement qui leur convient.
Vous ĂŞtes en pleine rĂ©daction de contrat. Surgit l’idĂ©e qu’en cas de litige, ce sera l’arbitrage. Parfait. Vous contentez-vous d’insĂ©rer une clause prĂ©fabriquĂ©e parmi la litanie de clauses standard? Cela se dĂ©fend : l’Institut d’arbitrage et de mĂ©diation du Canada vous en propose d’excellentes. Mais n’y a-t-il pas d’autres questions Ă se poser? Le coĂ»t de l’arbitrage est en progression, de mĂŞme que la propension Ă recourir au financement par un tiers pour rĂ©duire ses frais et une partie des risques. Il serait donc utile de savoir ce qu’il faut avoir en tĂŞte lorsqu’on rĂ©dige une convention d’arbitrage prĂ©voyant le financement d’un tiers. Commencez par dire Ă votre client que Hulk Hogan a gagnĂ© son procès contre un tabloĂŻde qui avait publiĂ© une vidĂ©o de ses frasques sexuelles en s’appuyant sur l’aide financière d’un milliardaire qui avait Ă©tĂ© vilipendĂ© par le mĂŞme tabloĂŻde. Une fois que vous avez son attention, surveillez ses yeux tomber dans le vide Ă mesure que vous lui expliquez ce qui suit.
Compétence législative
L’Ă©tablissement du droit applicable peut avoir une incidence majeure sur la libertĂ© de recourir au financement par un tiers. LĂ©gitimĂ© au Canada, le financement externe fait l’objet d’une jurisprudence particulièrement Ă©toffĂ©e en Ontario; cette formule est aussi relativement courante en Australie, au Royaume-Uni et dans nombre d’États amĂ©ricains. Par contre, elle est prohibĂ©e en Irlande et dans d’autres États de nos voisins du Sud, en vertu de l’interdiction dont sont frappĂ©s la champartie et le soutien abusif en common law. Par consĂ©quent, mieux vaut bien choisir le droit applicable pour prĂ©server sa latitude.
Confidentialité
Un contrat qui contient une clause d’arbitrage comportera aussi probablement des clauses de confidentialitĂ©. Or la communication d’information Ă un bailleur de fonds est vraisemblablement autorisĂ©e de la mĂŞme façon qu’Ă un expert ou Ă un conseiller1. Toutefois, on pourra prĂ©venir tout diffĂ©rend en stipulant dans la clause de confidentialitĂ© qu’il est permis de communiquer des renseignements Ă un tiers bailleur de fonds si celui-ci se soumet aux mĂŞmes obligations de confidentialitĂ© que les parties ou conclut lui-mĂŞme une entente de non-divulgation. Ou encore, la partie souhaitant obtenir du financement pourrait demander Ă l’arbitre d’autoriser la communication de renseignements confidentiels au bailleur de fonds une fois le tribunal d’arbitrage formĂ©. Autrefois, ce genre de dĂ©marche aurait Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme un signe d’impĂ©cuniositĂ©. Or mĂŞme un plaideur qui a les reins solides peut très bien transfĂ©rer Ă un tiers le coĂ»t et les risques d’une procĂ©dure d’arbitrage. C’est le constat que fait Bentham IMF, un bailleur de fonds australien inscrit en bourse, Ă©tabli au Canada depuis 2016 : « Au dĂ©but, le financement externe Ă©tait typique des combats du genre ‟David contre Goliath”, mais on voit de plus en plus de clients nantis envisager le financement externe comme outil d’encadrement des finances et des risques », explique Naomi Loewith, gestionnaire d’investissements et conseillère juridique chez Bentham Ă Toronto.
Divulgation
Il y a Ă©galement lieu, au moment de rĂ©diger la convention d’arbitrage, de statuer sur la divulgation de l’existence et du contenu de l’entente de financement. La pratique la plus recommandable pour le bĂ©nĂ©ficiaire consiste Ă faire savoir qu’il est financĂ© et Ă divulguer l’identitĂ© du bailleur de fonds afin de prĂ©venir tout conflit d’intĂ©rĂŞts Ă l’Ă©gard de l’autre partie ou du tribunal. Certes, un bailleur de fonds professionnel s’abstiendra d’emblĂ©e de tout conflit, mais cette divulgation prĂ©viendra les contestations ultĂ©rieures. Quant aux modalitĂ©s du financement, elles devraient ĂŞtre distinctes des enjeux de fond et de ce fait secrètes, histoire de protĂ©ger les renseignements concernant le budget ou la stratĂ©gie d’instance. Ce principe va dans le sens de l’Accord Ă©conomique et commercial global Canada-Union europĂ©enne (AECG) qui, entrĂ© en vigueur en septembre 2017, Ă©tablit un cadre oĂą toute partie Ă un litige qui profite d’un financement externe doit divulguer Ă la partie adverse et au tribunal l’identitĂ© du tiers en question, sans rendre obligatoire la communication de tout autre renseignement2.
Pouvoirs de l’arbitre
On peut aussi envisager une clause reconnaissant – ou niant – Ă l’arbitre le droit de trancher les questions de financement par un tiers. L’arbitre pourrait se prononcer sur l’existence d’un conflit d’intĂ©rĂŞts rĂ©sultant de la participation d’un bailleur de fonds, ou sur les renseignements pouvant ĂŞtre communiquĂ©s Ă celui-ci. Pourraient aussi ĂŞtre soumises au tribunal d’arbitrage l’autorisation d’un financement externe et les questions de savoir si une convention de financement externe nĂ©cessite son approbation et si l’arbitre a le droit de prendre connaissance des modalitĂ©s de financement, ainsi que la portĂ©e exacte du rĂ´le du bailleur de fonds, qui peut aller du simple financement Ă la prestation de conseils.
Recouvrement des coûts financés
Si le contrat habilite l’arbitre Ă adjuger les dĂ©pens, il pourrait l’autoriser explicitement Ă obliger la partie dĂ©faite Ă rembourser la contribution externe dont a bĂ©nĂ©ficiĂ© la partie ayant eu gain de cause le cas Ă©chĂ©ant. Ainsi, la Haute Cour d’Angleterre a rĂ©cemment confirmĂ© une adjudication de dĂ©pens qui comprenait le remboursement, Ă titre d’« autres coĂ»ts », du financement externe dont avait bĂ©nĂ©ficiĂ© la partie victorieuse dans le cadre d’un litige arbitrĂ© par la Chambre de commerce internationale3.
Pour l’avenir
Lorsqu'un contrat est appelĂ© Ă contenir une clause d’arbitrage, il y a lieu pour l’avocat comme pour le client de connaĂ®tre les enjeux entourant le financement par un tiers, mĂŞme si le contrat est finalement muet Ă cet Ă©gard. Les organismes d’encadrement de l’arbitrage pourraient favoriser la gĂ©nĂ©ralisation du financement externe en traitant de cette pratique dans leur code de dĂ©ontologie. Quant aux parties Ă un arbitrage, elles seraient bien avisĂ©es de se pencher, Ă tout le moins, sur ce mode de financement et ses implications puisque la seule constante en matière d’arbitrage semble ĂŞtre l’augmentation de son coĂ»t.
Courtney Kachur pratique le droit de la construction et du litige commercial chez Rose LLP Ă Calgary. Elle est aussi secrĂ©taire de la Section du droit de la construction et des infrastructures de l’ABC.
Notes
1. La Cour fĂ©dĂ©rale a rĂ©cemment Ă©tabli qu’une « tierce partie crĂ©ancière » avait le droit de recevoir de l’information comme les autres tierces parties telles que « les experts, les tĂ©moins potentiels, les consultants et ceux dont les conseils sont pertinents au litige ». Seedlings Life Sciences Ventures LLC c. Pfizer Canada, 2017 CF 826.
2. AECG, art. 8.26.
3. Essar Oilfields Services Limited v Norscot Rig Management PVT Limited [2016] EWHC 2361 (Comm).