En 2017, Torstar et Postmedia ont conclu un marchĂ© pour l’Ă©change d’actifs portant sur plusieurs quotidiens locaux. Peu aprĂšs la conclusion de la fusion, le Bureau de la concurrence confirmait l’ouverture d’une enquĂȘte sur ce marchĂ©. Le prĂ©sent article fournit un bref rĂ©sumĂ© de ce qui est connu publiquement concernant cette enquĂȘte, Ă ce jour.
La transaction et les allégations du Bureau de la concurrence
Le 27 novembre 2017, Postmedia et Torstar ont annoncĂ© (article uniquement en anglais) publiquement la conclusion d’une transaction comportant le transfert de 41 journaux communautaires et quotidiens dont la plupart sont situĂ©s dans l’Est et le Sud de l’Ontario. Plus prĂ©cisĂ©ment, Postmedia a transfĂ©rĂ© Ă Torstar la propriĂ©tĂ© de 17 journaux et de leurs plateformes numĂ©riques respectives en Ă©change de 24 journaux et de leurs plateformes numĂ©riques respectives (Ă l’exception de Metro Ottawa et Winnipeg dont seules les versions imprimĂ©es ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©es). Le mĂȘme jour, Postmedia a annoncĂ© qu’elle allait Ă©liminer tous les journaux qu’elle avait acquis, sauf un, et Torstar a annoncĂ© qu’elle ne continuerait Ă produire que quatre journaux. En tout, 36 des 41 journaux ont Ă©tĂ© Ă©liminĂ©s, se traduisant par la perte d’environ 300 emplois.
Lors d’un appel tĂ©lĂ©phonique placĂ© juste avant l’annonce publique de la transaction, Torstar et Postmedia ont informĂ© la Direction des fusions du Bureau de la concurrence que la transaction n’Ă©tait soumise Ă aucune exigence d’avis prĂ©alable Ă la fusion. MalgrĂ© cet avis, la Direction des fusions a, le jour mĂȘme, entamĂ© un examen de la transaction, cherchant Ă savoir si le marchĂ© allait se traduire par une diminution ou un empĂȘchement considĂ©rables de la concurrence dans ce secteur.
Deux jours plus tard, soit le 29 novembre 2017, la Direction des cartels du Bureau a ouvert sa propre enquĂȘte criminelle fondĂ©e sur l’article 45 de la Loi sur la concurrence (la Loi). L’enquĂȘte criminelle sur le complot Ă©tait axĂ©e sur la question de savoir si Torstar et Postmedia, en leur qualitĂ© d’Ă©diteurs de journaux concurrents, avaient antĂ©rieurement discutĂ© et dressĂ© une liste, afin d’Ă©viter toute concurrence, des journaux particuliers qui allaient ĂȘtre transfĂ©rĂ©s, des employĂ©s dont les postes allaient ĂȘtre Ă©liminĂ©s, et quels journaux allaient opĂ©rĂ©s dans quelles rĂ©gions particuliĂšres pendant une pĂ©riode donnĂ©e.
EnquĂȘte Ă ce jour
En rĂ©ponse aux enquĂȘtes, les deux parties ont dĂ©clarĂ© ne pas avoir complotĂ© et ne pas avoir discutĂ© ensemble leurs intentions. MalgrĂ© tout, le 6 mars 2018, le commissaire Ă la concurrence, se fondant sur l’article 10 de la Loi, a entamĂ© une enquĂȘte pour dĂ©terminer les faits et pour savoir si la conduite de Torstar et de Postmedia avait enfreint l’article 45 de la Loi. Cette enquĂȘte Ă©tait distincte et rĂ©alisĂ©e parallĂšlement Ă l’examen des effets sur la concurrence menĂ© par la Direction des fusions du Bureau.
Dans les jours qui ont suivi l’ouverture de l’enquĂȘte par le commissaire, la Cour supĂ©rieure de l’Ontario a fait droit Ă la demande de mandats de perquisition et de saisie. Les agents du Bureau de la concurrence ont effectuĂ© des perquisitions (article uniquement en anglais) dans les bureaux de Postmedia, de Torstar et du groupe Metroland Media Group dans la rĂ©gion du Grand Toronto.
Le 12 mars 2018, le Bureau de la concurrence a publiĂ© une dĂ©claration dans laquelle il confirmait qu’il enquĂȘtait sur des allĂ©gations de comportements anticoncurrentiels contraires aux dispositions de la Loi ayant trait aux complots et rĂ©alisait un examen distinct fondĂ© sur les dispositions concernant les fusions.
Le Bureau a annoncĂ© qu’il poursuivait uniquement son enquĂȘte criminelle (article uniquement en anglais) en novembre 2018. Dans un courriel en rĂ©ponse Ă des questions des mĂ©dias, un porte-parole a dĂ©clarĂ© : [TRADUCTION] « Pour mener son enquĂȘte et obtenir des Ă©lĂ©ments de preuve, la Loi sur la concurrence et le Code criminel fournissent au Bureau un certain nombre d’outils, notamment les fouilles, les ordonnances judiciaires exigeant la production de documents ou des rĂ©ponses Ă©crites Ă des questions, les dĂ©positions orales et les Ă©coutes tĂ©lĂ©phoniques ». En outre, le 4 dĂ©cembre 2018, le Bureau de la concurrence a obtenu une ordonnance de la Cour supĂ©rieure de l’Ontario pour faire progresser son enquĂȘte qui nĂ©cessitait que ses enquĂȘteurs interrogent sous serment un ancien employĂ© et cinq employĂ©s actuels de Torstar. Outre ces Ă©volutions de l’affaire, rares ont Ă©tĂ© les informations qui ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es publiquement concernant les enquĂȘtes, Ă l’exception de nouvelles quant Ă la procĂ©dure, y compris la publication d’une ordonnance de mise sous scellĂ©s et de requĂȘtes pour trancher les revendications des Ă©diteurs concernant le secret professionnel.
Ă ce jour, aucune accusation n’a Ă©tĂ© portĂ©e et les autres dĂ©tails concernant l’enquĂȘte, qui demeure en cours, restent confidentiels.
Regard sur l’avenir
Une fois l’enquĂȘte terminĂ©e, le commissaire dĂ©cidera s’il dispose de suffisamment de preuves pour exercer des poursuites. S’il considĂšre que c’est le cas, il renverra l’affaire devant le Service des poursuites pĂ©nales du Canada qui l’examinera et dĂ©cidera s’il est appropriĂ© d’entamer des poursuites.
La thĂ©orie de la responsabilitĂ© pĂ©nale du Bureau demeure peu claire. Son cadre analytique, tel qu’il est Ă©noncĂ© dans les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, indique que le Bureau rĂ©serve le recours Ă l’article 45 et aux dispositions pĂ©nales de la Loi aux seuls comportements anticoncurrentiels les plus graves, soit les plus « flagrants », ou aux « restrictions pures et simples » de la concurrence. En revanche, les comportements qui pourraient faire l’objet des moyens de dĂ©fense fondĂ©s sur les restrictions accessoires en application du paragraphe 45(4) ne feront pas l’objet d’une enquĂȘte criminelle fondĂ©e sur les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents. Dans ce contexte, il est difficile de discerner la maniĂšre dont le comportement en question, soit un Ă©change d’actifs probablement motivĂ© par les considĂ©rations commerciales typiques qui prĂ©sident gĂ©nĂ©ralement aux transactions (comme la fiscalitĂ©) pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une violation de l’article 45.
Les suites de cette enquĂȘte, Ă savoir l’exercice de poursuites, demeurent floues. Rares sont les dĂ©tails mis Ă la disposition du public concernant l’Ă©tat actuel de l’enquĂȘte.
Sean Stephenson est avocat principal dans le cabinet Dentons Canada s.e.n.c.r.l.