(a) Contexte
Quand la vente d’un logement résidentiel d’occasion est-elle taxable aux fins de la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (« TPS/TVH »)? Cette question a été abordée par la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») dans l’affaire 1351231 Ontario Inc.1, qui a examiné l’application de la TPS/TVH à la vente d’une unité de copropriété d’occasion par son propriétaire, une société inscrite aux fins de la TPS/TVH (le « propriétaire »).
Le propriétaire a acheté un logement en copropriété à titre de placement et l’a loué aux termes de baux à long terme (c.-à-d. plus de 60 jours) à des tiers en exonération de la TPS/TVH pendant environ neuf ans. Cependant, au cours des 14 mois suivants, le contribuable a affiché et loué le logement meublé (qui comprenait le chauffage, la climatisation, l’accès Wi-Fi et l’électricité) sur Airbnb aux termes de plusieurs locations à court terme (c.-à-d. des périodes de moins d’un mois) avant de le vendre à un acheteur sans lien de dépendance. Ni le contribuable ni l’acheteur n’ont remis la TPS/TVH sur la vente du logement en copropriété.
(b) La question en litige
La principale question que devait trancher la CCI était de savoir si l’unité de copropriété était un « immeuble d’habitation » au sens de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) (« LTA »). La vente d’un immeuble d’habitation d’occasion est généralement exonérée de la TPS/TVH en vertu de l’article 2 de la partie I de l’annexe V de la LTA si le vendeur (i) n’est pas un constructeur et (ii) n’a pas demandé de crédits de taxe sur les intrants à l’égard de sa dernière acquisition du complexe. Toutefois, les éléments suivants sont exclus de la définition du terme « immeuble d’habitation » :
- [le] tout ou partie d’un bâtiment qui est un hôtel, un motel, une auberge, une pension ou un gîte semblable, ni le fonds et les dépendances qui y sont attribuables… et si la totalité ou la presque totalité des baux, licences ou accords semblables, aux termes desquels les habitations dans le bâtiment ou dans la partie de bâtiment sont fournies, prévoient, ou sont censés prévoir, des périodes de possession ou d’utilisation continues de moins de 60 jours.
(c) La décision
La CCI a examiné les activités du propriétaire et a conclu que l’unité n’était pas un « immeuble d’habitation » parce que, au moment de la vente, qui, selon la Cour, était le moment pertinent pour prendre cette décision, (i) l’unité était similaire à un hôtel, un motel ou un gîte semblable puisqu’elle était répertoriée sur la plateforme Airbnb pour une location à court terme et louée meublée, y compris le chauffage, la climatisation, l’accès Wi-Fi, etc. (le fait qu’il n’y avait pas de restaurant ou de nourriture disponible sur les lieux n’était pas pertinent); et (ii) la totalité ou la quasi-totalité des baux en vertu desquels l’unité a été offerte étaient pour des périodes de moins de 60 jours, car le propriétaire louait exclusivement la propriété dans le cadre de baux à court terme puisqu’elle était répertoriée sur la plateforme Airbnb.
Pour rendre sa décision, la CCI a tenu compte des règles sur le changement d’utilisation des immeubles prévues au paragraphe 206(2) de la LTA, qui s’appliquent lorsqu’un inscrit commence à utiliser, à un moment donné, un immeuble acquis antérieurement pour être utilisé dans le cadre d’activités non commerciales comme immobilisation pour être utilisé dans le cadre de ses activités commerciales2. En vertu des règles sur le changement d’utilisation prévues au paragraphe 206(2), l’inscrit est réputé avoir reçu une fourniture du bien par vente lorsqu’il commence à utiliser le bien dans le cadre de ses activités commerciales. La Cour a conclu que le propriétaire a commencé à utiliser l’unité dans le cadre d’activités commerciales à la date à laquelle il a inscrit l’unité sur la plateforme Airbnb pour la louer aux termes d’un bail à court terme et, par conséquent, les règles sur le changement d’utilisation ont été déclenchées à cette date.
Le propriétaire a soutenu que les règles de changement d’utilisation ne s’appliquaient pas en raison de l’article 197, qui prévoit que les règles de changement d’utilisation ne s’appliquent pas lorsque le changement d’utilisation cumulé entre le moment où un inscrit a acquis un immeuble pour la dernière fois et un moment précis est inférieur à 10 %. Selon le propriétaire, la période pertinente pour mesurer le changement d’utilisation était comprise entre la date d’acquisition initiale de l’unité et la date de sa vente. Par conséquent, le propriétaire a soutenu que le nombre de jours pendant lesquels il a effectué des locations taxables de l’unité par rapport au nombre total de jours pendant lesquels il était propriétaire de l’unité était inférieur à 10 %, de sorte que les règles de changement d’utilisation ne s’appliquaient pas à sa situation.
La CCI a rejeté l’argument du propriétaire en faisant remarquer que l’article 206 fait référence à un changement d’utilisation qui survient « à un moment donné » et qu’il est nécessaire de considérer l’étendue de ce changement d’utilisation à ce moment pour déterminer si une fourniture est réputée avoir été effectuée ou reçue. En conséquence, la Cour a statué que les règles de changement d’utilisation doivent être prises en compte (i) à un moment précis et (ii) chaque fois qu’un changement d’utilisation subséquent survient. Bien que la Cour ait convenu que l’article 197 opère avec l’article 206 pour limiter l’application des règles de changement d’utilisation à tout « changement d’utilisation individuelle qui représente un changement d’au moins 10 % par rapport à son utilisation totale », la Cour a conclu que l’article 197 ne s’appliquait clairement pas dans le cas présent, car le changement d’utilisation à la date à laquelle l’immeuble a commencé à être utilisé pour effectuer des locations à court terme (c’est-à-dire le moment donné) était de 100 %.
En examinant si « la totalité ou la presque totalité » des baux étaient d’une durée inférieure à 60 jours, la CCI a confirmé que la décision devait être prise au moment de la vente. La Cour a rejeté l’argument du propriétaire selon lequel le critère de « la totalité ou la presque totalité » devait être appliqué à la période totale pendant laquelle le propriétaire était propriétaire de l’unité, en déclarant :
[Traduction] Je n’accepte pas l’argument de l’appelant. La définition d’un immeuble d’habitation ne contient pas d’horodatage parce qu’elle n’exige pas d’horodatage. La détermination n’est pas effectuée sur une période donnée. La question de savoir si le critère de la totalité ou de la presque totalité s’applique est déterminée en fonction de l’utilisation du condominium au moment de sa vente3.
La CCI a ajouté qu’elle devait déterminer si, au moment de la vente, la fourniture de l’unité était exonérée en vertu de l’article 2 de la partie I de l’annexe V ou taxable, ce qui dépendait du fait que l’unité était un « immeuble d’habitation ». Comme la CCI a déterminé que l’unité était semblable à un hôtel, à un motel ou à un gîte semblable énuméré dans l’exclusion d’« immeuble d’habitation » et que la totalité ou la presque totalité des baux de l’unité étaient d’une durée supérieure à 60 jours, l’unité en copropriété n’était pas admissible à la définition d’« immeuble d’habitation » en vertu de la LTA et, par conséquent, la vente de l’unité était assujettie à la TPS/TVH.
(d) Points importants à retenir
- Le moment pertinent pour évaluer l’utilisation d’un immeuble résidentiel et savoir s’il est admissible à titre d’« immeuble d’habitation », afin de déterminer si une fourniture de l’immeuble est taxable ou exonérée, est au moment où celui-ci est vendu, et non pendant toute la période où il est la propriété du fournisseur.
- Une unité résidentielle répertoriée sur une plateforme de location à court terme qui est louée meublée sera généralement considérée comme similaire à un hôtel, un motel ou un gîte semblable et ne sera donc pas admissible à titre d’« immeuble d’habitation » aux fins de la TPS/TVH.
- Tout ce qui est fait par une personne dans le cadre de l’établissement d’une activité commerciale de cette personne est réputé avoir été fait par la personne dans le cadre de ses activités commerciales, y compris l’inscription d’une unité de copropriété résidentielle sur une plateforme en ligne de locations à court terme.
- Les règles de changement d’utilisation des immeubles doivent être prises en compte chaque fois qu’il y a un changement d’utilisation d’activités commerciales à des activités non commerciales ou vice versa, car elles peuvent déclencher un droit à réclamer des crédits de taxe sur les intrants ou une obligation d’autocotisation de la taxe. Les changements cumulatifs d’utilisation doivent être pris en compte chaque fois qu’il y a un changement d’utilisation pour déterminer si la règle « de minimis » de 10 % de l’article 197 s’applique.
- Il est important que les vendeurs et les acheteurs examinent attentivement les règles de la TPS/TVH sur la vente d’immeubles résidentiels. Lorsqu’un vendeur déclare ou certifie par erreur qu’il effectue une fourniture exonérée d’un immeuble résidentiel alors que la fourniture de l’immeuble est en réalité taxable, le prix de vente sera réputé inclure la TPS/TVH à payer, ce qui réduit la contrepartie reçue par le vendeur.
Il convient de noter qu’à la date de la présente publication, la décision mentionnée ci-dessus a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale. Il sera intéressant de voir l’analyse de la Cour d’appel fédérale sur ces questions, même si nous ne prévoyons pas que la décision soit annulée.
Par Randy Schwartz, Kassandra Grenier, Hubert Cadotte.
1 1351231 Ontario Inc. v. The King, 2024 CCI 37.
2 Dans ce cas, le contribuable a été considéré comme ayant commencé à utiliser l’unité dans le cadre de ses activités commerciales au moment où il a inscrit l’unité pour une location à court terme sur Airbnb en raison des règles de présomption de l’article 141.1(3)a), qui prévoit que toute chose (autre qu’une fourniture) effectuée par une personne dans le cadre de l’établissement d’une activité commerciale par la personne est réputée avoir été effectuée par la personne dans le cadre de ses activités commerciales.
3 La Cour a noté que même si elle acceptait l’argument du propriétaire, le résultat serait le même, car la dernière acquisition de l’unité par le propriétaire serait réputée être le jour où il l’a répertoriée sur Airbnb et toute son utilisation de l’unité après cette date consistait à effectuer des locations à court terme taxables de l’unité.