La plupart des fiscalistes seront d’accord pour dire que la majoritĂ© des règlements de litiges fiscaux comprennent la signature d’un contrat ou d’une entente avec le gouvernement. Lorsque ce dernier fait fi de ses obligations prĂ©vues dans un contrat ou une entente, les contribuables tentent alors de se rabattre sur les recours de droit public (ou les redressements fondĂ©s sur la restitution), lesquels ne sont possibles que dans des cas exceptionnels. L’un de ces recours revĂŞt un intĂ©rĂŞt particulier; il a Ă©tĂ© initialement Ă©tabli par la Cour suprĂŞme du Canada (CSC) dans Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances)1 – on parle Ă prĂ©sent du recours de l’arrĂŞt Kingstreet. Ce recours admet un motif d’action en restitution pour le recouvrement de charges fiscales prĂ©levĂ©es en vertu d’une loi inconstitutionnelle, une action vouĂ©e Ă l’Ă©chec avant l’arrĂŞt Kingstreet puisque cela Ă©tait considĂ©rĂ© comme un enrichissement sans cause aux dĂ©pens de la Couronne.
RĂ©cemment, dans Canadian Pacific Railway Company v. Canada2 (« CPRC »), la Cour fĂ©dĂ©rale a pu mesurer l’aloi de cet « or » en Ă©valuant la portĂ©e de son application. Le recours de l’arrĂŞt Kingstreet s’est toutefois avĂ©rĂ© restrictif. Dans CPRC, la Cour a affirmĂ© qu’il ne pouvait s’appliquer que dans les cas oĂą l’impĂ´t prĂ©levĂ© par le gouvernement est invalide sur le plan constitutionnel (c’est-Ă -dire, prĂ©levĂ© en vertu d’une loi inconstitutionnelle), et non pour d’autres mesures administratives illicites.
Mesures constitutionnelles et gouvernementales
L’organe administratif du gouvernement doit agir selon les paramètres des pouvoirs confĂ©rĂ©s par la Constitution au Parlement et aux corps lĂ©gislatifs et n’exercer que les pouvoirs qui lui sont dĂ©lĂ©guĂ©s par une loi dans son fond. Par consĂ©quent, les charges fiscales prĂ©levĂ©es en l’absence d’un fondement lĂ©gislatif confĂ©rant le pouvoir d’exĂ©cution nĂ©cessaire Ă l’organe administratif (ce qui est invalide sur le plan constitutionnel), ou prĂ©levĂ©es par l’organe administratif sans que la loi lui en donne le pouvoir (invalide sur le plan administratif), sont rĂ©putĂ©es avoir Ă©tĂ© prĂ©levĂ©es de façon illĂ©gitime et doivent ĂŞtre remboursĂ©es au contribuable.
Dans le cas d’un prĂ©lèvement fiscal invalide sur le plan constitutionnel, le recours de l’arrĂŞt Kingstreet pourrait s’appliquer. Par exemple, dans Kingstreet, le prĂ©lèvement de « redevances d’exploitation » par la province du Nouveau-Brunswick en vertu d’une loi provinciale a Ă©tĂ© qualifiĂ© de « taxe indirecte » sur l’achat de boissons alcoolisĂ©es, donc inconstitutionnel du fait que les autoritĂ©s provinciales ne sont habilitĂ©es qu’Ă prĂ©lever des charges fiscales directes (en vertu de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867)3. Par consĂ©quent, le contribuable a pu recouvrer les montants dĂ©boursĂ©s (sous toute rĂ©serve) pour une charge fiscale inconstitutionnelle.
Inversement, le recours de l’arrĂŞt Kingstreet peut ne pas s’appliquer Ă une mesure administrative invalide, mais dĂ©coulant d’une loi ou d’un règlement par ailleurs valide. Tel Ă©tait le cas dans l’affaire CPRC, oĂą une question d’Ă©quitĂ© procĂ©durale dĂ©coulait d’un contrat entre la Canada Pacific Railway Company (la « Compagnie ») et le gouvernement du Canada (le « contrat de 1880 »), contrat ayant pour effet d’exempter la Compagnie du paiement de certaines charges fiscales. La Compagnie a invoquĂ© ce contrat pour s’opposer Ă un impĂ´t des grandes sociĂ©tĂ©s en vertu de la Loi de l’impĂ´t sur le revenu.
La Compagnie a prĂ©sentĂ© une requĂŞte Ă la Cour fĂ©dĂ©rale pour recouvrer la somme payĂ©e au titre de cet impĂ´t des grandes sociĂ©tĂ©s pendant la durĂ©e du contrat de 1880, en se reposant sur le recours prĂ©vu dans l’arrĂŞt Kingstreet, mais s’est vu refuser ce recours. La Cour fĂ©dĂ©rale a Ă©tabli une distinction entre les deux types de levĂ©es fiscales illĂ©gitimes et soulignĂ© l’application limitĂ©e du recours de l’arrĂŞt Kingstreet, dĂ©clarant qu’il ne s’appliquait qu’aux cas oĂą la mesure est fondĂ©e sur une loi ou un règlement inconstitutionnel qui ne constitue pas une base valide lorsque les autoritĂ©s fiscales adoptent une mesure administrative illĂ©gitime.
Commentaires
Les principes constitutionnels Ă la base du recours de l’arrĂŞt Kingstreet (suprĂ©matie de la Constitution et primautĂ© du droit) dĂ©notent le droit constitutionnel du contribuable Ă la prĂ©somption de validitĂ© de la loi et garantissent que l’application lĂ©gitime relève de la responsabilitĂ© de l’organe fiscal.
Le rĂ©sultat de l’affaire CPRC, qui reposait sur une question thĂ©orique incroyablement pointue, a de quoi rebuter le contribuable du point de vue pratique. L’applicabilitĂ© restrictive du recours de l’arrĂŞt Kingstreet enlève beaucoup de son utilitĂ© pour les contribuables, qui s’en remettent aux actions et Ă l’autoritĂ© administrative de la Couronne. Cela semble offrir aux gouvernements fĂ©dĂ©ral et provinciaux la possibilitĂ© de revenir sur leurs propos, leur permettant de passer outre Ă des obligations contractuelles ou dĂ©cisionnelles avec impunitĂ© sous couleur de loi lĂ©gitime.
Autoriser un gouvernement Ă prĂ©lever des charges fiscales en violation d’ententes antĂ©rieures concernant ces charges est tout simplement contraire aux principes constitutionnels et prĂ©somptions de validitĂ© sur lesquels repose le recours de l’arrĂŞt Kingstreet.
Dans les cas oĂą ce recours pourrait quand mĂŞme s’appliquer, Ă©tablir l’inconstitutionnalitĂ© d’une loi (ou d’une partie de celle-ci) est habituellement un parcours du combattant extrĂŞmement difficile, laborieux et onĂ©reux. En premier lieu, il faut des faits idĂ©aux pour le contexte afin qu’une instance compĂ©tente se penche sur cette question de droit constitutionnel, et le recours nĂ©cessitera probablement des audiences Ă diffĂ©rents niveaux, Ă©tant donnĂ© le caractère indispensable d’une analyse rigoureuse. Le seuil Ă©levĂ© nĂ©cessaire Ă l’Ă©tablissement du recours de l’arrĂŞt Kingstreet et les faibles chances de succès font que l’entreprise est trop chère, rendant ce recours (dans sa forme actuelle) peu utile pour le contribuable.
En second lieu, mĂŞme si le contribuable finit par avoir gain de cause, le gouvernement peut toujours aller modifier la loi ou appliquer des règles « rĂ©troactivement ».
Le refus de la CSC d’appliquer une action de droit privĂ© pour enrichissement sans cause contre la Couronne et de rĂ©inventer la roue par le recours de l’arrĂŞt Kingstreet est perçu comme « troublant » par certains auteurs4, car cela semble impliquer que dans ce genre de situations, les actions de droit privĂ© ne sont pas admissibles. Bien que certaines dĂ©cisions ultĂ©rieures laissent entendre la possibilitĂ© que les actions pour enrichissement sans cause restent ouvertes Ă d’autres circonstances5, les agencements de faits se prĂŞtant Ă une issue favorable sont rares.
Ă€ première vue, le recours de l’arrĂŞt Kingstreet semble ĂŞtre la « solution en or » pour les recours en restitution. Mais en rĂ©alitĂ©, c’est l’or du sot. Les contribuables n’ont gĂ©nĂ©ralement pas accès aux recours de droit public, et les redressements Ă©quitables fondĂ©s sur la restitution contre la Couronne ne sont possibles que dans des cas rarissimes. Il y a toutefois une lueur d’espoir : il peut y avoir des avenues de solution du cĂ´tĂ© des lois pertinentes, comme la Loi de l’impĂ´t sur le revenu et la Loi sur la taxe d’accise6, ou du cĂ´tĂ© du processus de contrĂ´le judiciaire. Les contribuables lĂ©sĂ©s devraient considĂ©rer tous les recours disponibles et la viabilitĂ© de ceux-ci.
Robert G. Kreklewetz est associĂ© chez Millar Kreklewetz LLP et prĂ©sident sortant de la Section de la taxe Ă la consommation, des douanes et du commerce de l’ABC. Shahrukh Khowaja est avocate chez Millar Kreklewetz LLP.
Notes de fin
1 Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, [2007] 1 RCS 3.
2 Canadian Pacific Railway Company v. Canada, 2021 FC 1014 [CPRC].
3 Loi constitutionnelle de 1867 (UK), 30 & 31 Vict, ch. 3, art. 92, réimprimée dans LRC 1985, annexe II, no 5.
4 Mitchell McInnes, “Restitution for ultra vires taxes” (2007) 123 LQR 365, para. 366.
5 Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, para. 91.
6 Merchant Law Group c. Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 184, p. 23 Ă 28.