L’article 224 de la Loi sur la taxe d’accise permet au fournisseur qui a rendu compte de la TPS/TVH qui lui est payable par un acquéreur, mais que celui-ci n’a pas encore payée, d’intenter une action en recouvrement de la taxe comme s’il s’agissait d’un montant qui lui est dû. Pour que ce recours lui soit ouvert, le fournisseur doit avoir indiqué la taxe payable par écrit à l’acquéreur conformément au paragraphe 223(1), disposition qui reste cependant muette quant au moment où l’avis doit (ou peut) être donné.
Dans l’affaire National Money Mart Company v. 24 Gold Group Ltd. (2018 ONCA 812), la Cour d’appel de l’Ontario devait établir si une facture produite après coup peut satisfaire à l’exigence d’indication de la taxe du paragraphe 223(1). Elle a tranché par l’affirmative.
Les faits de l’espèce étaient les suivants : National Money Mart a vendu pour quelque 12,16 M$ d’or brut à 24 Gold Group Ltd. entre juillet 2010 et juillet 2012, mais n’a pas facturé ou perçu de TPS/TVH au moment des transactions. En mai 2015, l’ARC ayant évalué la TPS/TVH non perçue à 1,5 M$, National, le fournisseur, a émis à 24 Gold deux factures ne comportant que le montant de TPS/TVH impayée évalué par l’ARC. Chaque facture indiquait la contrepartie des ventes d’or et la TPS/TVH payable pour ces transactions; il y était en outre expliqué que « la (TPS/TVH) au taux de 13 % n’a pas été facturée [à 24 Gold] par erreur », mais que ces factures venaient rectifier le tir « en raison de l’émission par le ministre d’une cotisation de vérification indiquant le défaut de National Money Mart de percevoir et de verser la TPS/TVH sur la contrepartie de fournitures taxables de bijoux. »
24 Gold refusant de payer la TPS/TVH qui lui était ainsi facturée après coup, National l’a poursuivie devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vertu de l’article 224 de la Loi sur la taxe d’accise et a obtenu un jugement sommaire contre elle (2017 ONSC 6373).
Par la suite, 24 Gold a porté le jugement en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, en faisant valoir que National n’avait pas le droit d’intenter une action en vertu de l’article 224 de la Loi sur la taxe d’accise car il ne s’était pas conformé en temps utile aux obligations d’indication de la taxe du paragraphe 223(1). Plus précisément, 24 Gold soutenait que la TPS/TVH payable aurait dû lui être indiquée au moment de la première transaction.
La Cour a toutefois conclu que le paragraphe 223(1) et l’article 224 avaient fait l’objet d’une interprétation claire dans la jurisprudence au fil des années : la TPS/TVH peut être facturée après coup, sous seule réserve de dispositions contractuelles à l’effet contraire. Cette conclusion est par ailleurs appuyée par l’Énoncé de politique P-116 de l’ARC et d’autres sources professionnelles, chacune confirmant qu’un fournisseur peut satisfaire aux exigences du paragraphe 223(1) en émettant un reçu ou une facture après avoir mené à bien la transaction.
Dans sa décision, la Cour d’appel a fait siens les commentaires du juge d’appel Bastarache (tel qu’était alors son titre) dans l’affaire OCCO Developments Ltd. v. McCauley ([1996] G.S.T.C. 16) :
[TRADUCTION] [La Loi sur la taxe d’accise] impose la taxe au bénéficiaire du service et non à son fournisseur. Il serait donc déraisonnable d’interpréter le par. 223(1) comme n’admettant l’indication du montant de TPS payable que dans les documents émis au moment où la fourniture est reçue. Ma position sur cette question est confirmée par le libellé des obligations du par. 223(1), qui ne porte aucunement à croire que le législateur ait voulu imposer une telle restriction […].
Cette décision tranche définitivement la question à savoir si le fournisseur peut satisfaire aux obligations d’indication de la taxe du paragraphe 223(1) en émettant une facture après coup. Cela dit, comme la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué que la possibilité d’émettre une facture après coup est « sous seule réserve de dispositions contractuelles à l’effet contraire », il est recommandé aux acquéreurs de faire en sorte que leurs contrats d’achat prévoient soit la facturation de la TPS/TVH à un moment précis, soit l’inclusion réputée de la TPS/TVH. Les acquéreurs qui achètent des intrants à des fins exclusives de consommation, d’utilisation ou d’approvisionnement dans le cadre d’activités commerciales peuvent également choisir de payer la TPS/TVH et de réclamer les crédits de taxe sur les intrants applicables, sous réserve toutefois de certaines conditions. Il est à noter que ces conditions sont pointues, en particulier lorsque le délai normal pour réclamer est écoulé, et donc que le récipiendaire d’une facture produite après coup aurait avantage à obtenir une aide juridique immédiate.
Robert G. Kreklewetz est avocat chez Millar Kreklewetz LLP à Toronto